Chapitre 20 : L'étrange infirmier
Lorsque Jade avait sombré dans l'inconscience, elle s'était imaginée se réveiller dans la douleur, des paupières lourdes et l'envie de rester endormie. Pourtant, au moment où elle ouvrit les yeux, elle ne ressentait rien de tel. Tout ce qui la préoccupait était son exploit de la veille : elle n'avait pas usé de ses dons, restant une civile jusqu'au bout. C'était incroyable.
L'Inconnu aux mille visages était allongée sur un lit d'hôpital, profitant d'une chambre seule. La pièce était commune à l'établissement de soin : murs bleus, un bip incessant, une perfusion qui gouttait doucement et pour seul meuble un chevet. Elle détestait ces endroits. Ces bâtiments sombres et imposants où la mort attendait son heure de gloire.
Elle tenta de se redresser, serra la mâchoire. Tant qu'elle était immobile, tout allait bien. Elle se laissa donc retomber sans grâce sur le coussin. Même si le choc avait été léger, son dos la tirailla. Elle leva sa main vers son visage, y distingua des coupures. Elle remonta vers ses bras, fit le même constat. Elle referma une seconde les paupières, tentant de se rappeler les événements. A aucun moment, elle ne se rappelait ce genre de blessures.
Sa tête pivota vers la fenêtre qui donnait sur la façade décorée d'un autre bâtiment. Elle soupira de cette vue si splendide. Qu'importe les efforts des médecins, Jade ne trouverait jamais cet endroit accueillant.
L'Inconnu aux mille visages se perdit dans ses interrogations. Qu'était devenu Gaétan ? Etait-il déjà prisonnier ? battu ? torturé ? Que pensait le Prédateur de ses agissements à elle ?
Elle se tourna sur le flanc, malgré les tiraillements. Le lycéen n'avait souhaité que sauver son frère, le retrouver, pouvoir à nouveau le serrer dans ses bras. Et pourtant, cette société le condamnait d'aimer. Elle ferma les yeux, s'imagina Hannah non pas morte, mais capturée. Non pas enterrée, mais prisonnière. Face au Prédateur, elle n'aurait pas ployé. Le regard fier et inflexible, elle aurait clamé haut et fort chercher sa famille. L'image de sa sœur, ses pouvoirs, sa noirceur, rien n'aurait eu d'importance. Sans hésiter, sans pleurer, elle aurait défié le Prédateur pour ces listes. Pour Hannah, elle aurait tout tenté, tout risqué.
Elle comprenait si bien Gaétan...
Jade serra les poings, détestant encore plus ces endroits. Dans ces chambres sans âme, il était facile de se perdre dans les tourments.
De l'autre côté de ses murs, un infirmier se tenait. Il se pinçait les lèvres, froissait peu à peu ses documents. L'identité sur sa fiche était certaine, ce qui le paniquait presque.
Hart Jade.
Depuis combien de temps n'avait-il pas entendu ce nom ? Malgré les années, il sentit la peine le saisir. L'appréhension aussi. Réussirait-il à garder son sang-froid face à elle ? Il inspira et toqua. Le jeune homme en blouse blanche pénétra dans la pièce, tenant fermement à la main une multitude de papiers et sourit grandement. Soli César était ce genre d'infirmier, plein d'entrain et de joie. Il aimait ses patients et se perdait parfois pour eux. Son métier était sa vie. Enfin, presque.
—Ah, tu es réveillée ! s'exclama-t-il en croisant son regard.
Jade fronça les sourcils. L'infirmier lui semblait trop heureux de la voir consciente, trop amical, trop touché. Un avertissement retentit dans son esprit.
—Plus rapidement que ce à quoi je m'attendais d'ailleurs, poursuivit le jeune homme.
La patiente le détailla un peu plus. Ses cheveux noirs étaient relevés, ses yeux verts très petits et il devait faire dans les un mètre soixante-quinze. Il n'était pas très épais, sans pour autant paraitre frêle.
L'infirmier avança jusqu'au pied du lit, se saisit d'un stylo et eut un mouvement de tête à l'égard de Jade.
—Alors, depuis quand tes yeux voient le monde ?
L'Inconnu aux mille visages n'avait aucun moyen de connaitre l'heure exacte.
—Je suis censé le noter, en fait.
—Je n'ai pas de montre.
Le jeune homme de vingt-trois ans porta son stylo à ses lèvres et sourit. Il se trouva stupide, mais c'était plus fort que lui.
—Exact ! Et tu n'avais pas d'affaires en arrivant. J'espère que t'as des copains, sinon je crains un vol.
Il hochait la tête, comme s'il ne parlait que pour lui-même. César était ainsi, à se voiler la face, à être maladroit. Déstabilisé par ce regard bleu qui lui était si familier.
L'Inconnu aux mille visages soupira. Dans son sac, il n'y avait rien à voler, rien à découvrir. Elle n'écrivait jamais rien d'autre que ses leçons, ne dessinait pas et n'avait pas d'argent. Ce fait la rassura, car elle ne doutait pas que le Prédateur jetterait un œil un peu trop curieux à ses affaires.
—Le tutoiement est normal ici ? interrogea Jade.
L'infirmier arquait un sourcil, attendant une réaction de sa part.
—Non, j'aime pas vouvoyer mes patients. Ça te dérange ?
Il pencha la tête de côté. Ses yeux verts perturbèrent une seconde Jade, comme s'ils ne lui étaient pas inconnus. Elle ne se souvenait pourtant pas d'un infirmier déjanté dans son entourage passé.
—Je ne vais pas rester longtemps.
—Très juste ! approuva César. Tu as une côté cassée, une plaie au dos et plusieurs égratignures, mais rien de trop sérieux. Tu guéris rapidement en plus de ça. Donc toutes mes félicitations !
Jade fronça les sourcils. Plus il ouvrait la bouche, plus elle trouvait qu'il détonnait dans le paysage.
—Je suis Soli César, l'infirmier en charge de tes soins. En général, mes patients m'adorent, lui sourit-il.
—Ceux condamnés à mort ? répliqua acerbe Jade.
Quelque chose la dérangeait dans la situation, un non-dit semblait flotter dans l'air.
—Tout le monde survit avec moi !
C'était à prendre au pied de la lettre, même si Jade trouva la blague ridicule.
—Bon, alors, qui es-tu exactement pour que le Prédateur fasse appel aux progues pour toi ?
Il se souvint de son regard noir, inquiet et... las. César ne l'avait jamais rencontré avant ce jour, mais l'image dépeinte dans les médias lui semblait extrêmement réaliste. Il semblait indéchiffrable.
—Personne, soutint Jade.
Une civile qui avait tapé dans l'œil du grand Nicolas, tout cela pour des actes irréfléchis après tant d'années de solitude. Elle se trouvait d'autant plus stupide.
—Navré de te décevoir, mais ta venue a fait tellement de bruit que tu risques d'avoir un ou deux projecteurs braqués sur toi.
Jade pinça les lèvres, sans être trop surprise. Il était évident qu'un moment ou l'autre elle attirerait les regards à cause du célèbre progue. Elle espérait que l'attention ne soit que passagère. C'était mal parti. Les médecins qui l'avaient prise en charge avaient paniqué, avant de se souvenir que le Prédateur ne laissait aucun Mavois se faire soigner. Il n'en restait pas moins qu'il avait franchi les portes de l'hôpital pour elle.
—Quand je peux sortir ?
—Pas avant demain, ma chère ! Tu guéris vite, mais ne pressons pas autant les choses.
Elle hocha la tête, se préparant déjà à passer une mauvaise nuit.
César soupira, avant de secouer la tête. Il n'était pas capable de l'annoncer si brutalement, sans avoir l'impression qu'elle était préparée. Il rangea ses papiers, son stylo et souffla :
—Essaie de te souvenir, d'ici ma prochaine visite.
Jade ne comprit pas où il souhaitait en venir.
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