Chapitre 19 : Matthew, le fantôme

—Vous êtes amis avec Jade ?

Aurélie s'était lancée. Comme tous les autres civils de la Lulyco, elle avait assisté à la scène. Ce n'était pas tant Jade qui l'intéressait, mais Luhan.

—Non, répliqua Jacob.

Son voisin soupira avant de répondre l'inverse. Il ne comprenait pas l'aversion qu'éprouvait son ami envers la jeune femme. Rien ne démontrait sa dangerosité.

—Est-ce que vous pourriez me donner des nouvelles quand vous en aurez ?

—Oui, bien sûr ! s'enthousiasma Luhan.

Aurélie hocha la tête, les remercia, patienta une seconde. Le silence s'installait, aucun des trois ne trouvaient une relance. Pourtant, l'étudiante sentait qu'il s'agissait de sa chance. Enfin, elle trouvait le courage, l'opportunité de venir à lui !

Dépitée, elle finit par dire au revoir. Elle ne parviendrait jamais à quoi que ce soit de cette façon.

—Qu'est-ce que tu as contre elle ? questionna derechef Luhan.

Il était un brin agressif. Il gardait l'image d'une Jade dynamique, souriante et pleine de vie. Tout le contraire du tableau que Jacob s'évertuait de dépeindre. Sombre, manipulatrice, dangereuse.

—Elle s'est jetée sur lui pour protéger le progue, souffla Jacob.

—Et alors ? C'est normal.

Jacob semblait avoir oublié que le monde n'était pas à leurs couleurs.

—Ma source est certaine, tu le sais.

Luhan grinça des dents avant de tourner les talons. Oui, elle l'était a priori. Rien ne prouvait que son frère ne pouvait pas mentir.

Jacob soupira avant de prendre la direction de chez lui. Quelques minutes plus tard, il poussait la porte du restaurant et saluait ses parents. Un an auparavant, l'un était secrétaire, l'autre comptable. A la mort de Matthew, ils avaient ressenti le besoin de changer de vie. Ils tentaient désespérément de l'oublier, mais Jacob le savait, la mort de son frère ainé ne pourrait jamais s'effacer. Dans la maison, il manquait une part d'eux-mêmes, rien ne s'estompait.

—Vous avez besoin d'aide ? interrogea-t-il.

Il connaissait la réponse, mais c'étaient les seuls mots qu'il partageait encore avec ses parents. Jacob et Matthew se ressemblaient.

—Tu peux y aller, ne t'en fais pas.

Il hocha la tête. Il avait abandonné ce combat depuis deux mois, lorsqu'il avait enfin compris que pour ne plus penser, la mère et le père devaient se perdre dans leur travail.

Jacob se rendit à l'arrière du restaurant, monta les marches menant à l'étage supérieur, s'arrêta devant la porte de sa chambre. Il fit demi-tour et hésita une seconde devant celle de son frère. Puis, il entra.

Rien n'avait changé, tout était comme deux ans auparavant. Deux longues années. C'était Jacob qui veillait à ce que rien ne change, pas même le plus petit objet. Il tenait à cette pièce, à ce souvenir, à ces rappels implicites. Il se rappelait les fous rires, les blagues, les silences, les pleurs, la vie tout simplement.

—Petite visite improvisée ? lui souffla une voix.

Jacob ferma les yeux, se laissant happer par sa plus grande blessure.

Jacob ouvre précipitamment les yeux, la boule au ventre. Il ne comprend pas sa peur, car rien ne peut la justifier. La nuit est là, tous doivent être en train de dormir. Pourtant, il saute hors de son lit et, poussé par son instinct, se dirige dans la chambre de Matthew.

Vide.

Sa chambre est vide. Automatiquement, il se dit que quelque chose s'est produit, jamais son frère ne serait parti aussi tôt ou ne serait pas rentré de la nuit sans prévenir.

Il imagine une multitude de scénario, tous plus affreux les uns que les autres. Son frère, celui à qui il se confie le plus facilement, celui dont il est le plus proche, a disparu. Que lui est-il arrivé ? Cette phrase tourne en boucle dans sa tête tandis qu'il fixe anxieux le lit défait. Ainsi, ce sont plusieurs minutes qui s'écoulent dans un silence pesant, angoissant. Et puis, d'un seul coup, il se réveille. Il se précipite vers ses parents, les tire de leur sommeil, tout semblant de calme l'ayant déserté.

—Matthew a disparu, lâche-t-il dans un souffle.

Il faut le retrouver, lancer des recherches, tout de suite, à grande échelle. S'il le faut, Jacob usera de ses dons, il n'hésitera pas.

Ses parents mettent quelques secondes à réagir, croient d'abord à une blague ou à un mauvais rêve. Puis la vérité leur tombe dessus et ils bondissent de leur lit. La différence de leurs enfants ne leur a jamais posé de problème. Très rapidement, ils se sont rendus compte que Jacob possédait un sixième sens hors norme. Il sait lorsqu'il s'est passé, se passe ou se produira un événement grave. Le tout est de savoir s'il est trop tard ou non.

Rapidement, le trio s'habille. En silence, ils sortent dans la rue, suivant le cadet. Jacob avance sans même réfléchir.

—Concentre-toi sur ton frère, Jacob. Pense à lui très fort et dis-nous où il est.

L'adolescent hoche la tête, s'efforce de l'emplir du nom de son frère. Son pressentiment enfle, grignote l'espace qu'il reste. A travers les rues, des quartiers, Jacob guide ses parents vers Matthew.

Ou plutôt son corps.

—Petite visite, oui, confirma Jacob en émergeant.

Lentement, il ouvrit les yeux. Il sourit en apercevant la silhouette familière de son frère, comme si rien n'avait changé. Sa présence comblait l'absence de son cœur.

—Pourquoi tu ne me fais pas confiance, Jacob ?

—Peut-être parce que tu es un fantôme ? se moqua le cadet.

Au moment où ses parents se reconvertissaient, Jacob se découvrait le pouvoir de voir les morts. Matthew lui avait appris à s'en servir correctement, à ne plus s'effrayer à la vision d'un être passé dans l'au-delà.

—C'est justement ce qui devrait te convaincre !

Les fantômes connaissaient le passé, le présent et l'avenir. Cependant, ils n'avaient l'autorisation de ne divulguer que certaines informations. C'était la loi des fantômes, un autre monde parmi les vivants.

—Pourquoi t'inspire-t-elle si confiance ?

Jacob y réfléchissait. Pourquoi, alors qu'il savait la parole de son frère vraie, doutait-il ? Tout simplement parce que la réalité lui donnait une version différente des faits. Oui, elle était trop proche du progue, oui, son comportement était digne d'une future recrue pour l'ennemi. Mais il suffisait à Jacob de lui adresser une parole, un regard, et il sentait qu'elle pouvait l'aider.

Son don contredisait la vérité d'un fantôme.

—Tu l'as pourtant sentie, n'est-ce pas ? insista Matthew.

Un instant, Jacob ferma les yeux. Oui, il l'avait perçue. Son aura.

—Je sais qu'elle est Mavoise, je sais. Et c'est bien pour ça que je ne comprends pas. Il y a trop d'incohérences.

—Elle...

Matthew se stoppa. Il n'avait pas le droit d'annoncer sa future traitrise, ce chemin n'était pas encore certain.

—Je ne sais pas ce qu'il te faut, tu as vu ses actes.

—Elle n'est pas une Mavoise lambda.

—Raison de plus ! siffla l'aîné.

C'était frustrant de tout savoir sans pouvoir concrètement modifier l'avenir.

Jacob réfléchit un instant. Le regard de Jade n'exprimait pas d'inquiétude particulière, pas d'insécurité. Elle était sûre d'elle et de ses choix. Elle ne semblait pas apprécier le Prédateur, sans donner l'impression de le haïr, ni de le craindre. Tout Mavois réagissait ainsi, c'était dans la logique des choses. Jacob n'avait donc que deux options : la première, Jade était une Mavoise projetant de rejoindre les progues ; la deuxième, Jade était une Mavoise renommée.

Les deux idées lui semblaient improbables.

—Méfie-toi d'elle, petit frère.

« Je t'en supplie. » ajouta mentalement Matthew. Il craignait la route qu'empruntait le vivant.

—J'essaie, j'essaie vraiment.

Il évitait la sympathie, les encouragements, ne lui adressait pas la parole. Mais, là, dans son esprit, retentissait un appel d'espoir. Son instinct lui soufflait de faire confiance à son audace, jamais il ne lui avait fait faux-bond.

—Tes pouvoirs ne sont pas infaillibles, lui souffla son frère avant de disparaitre.

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