Chapitre 18 : Acte deux

Nicolas avait changé d'avis. Il avait besoin de plus d'action que simplement rendre visite aux parents de Jade. Il voulait tester ses limites, voir de ses yeux sa rage et sa hargne. Il était encore frustré de sa mission du week-end. Calis avait joué avec eux, elle le répugnait d'autant plus.

Le Prédateur avait bien préparé son plan, son « acte deux » comme il l'appelait. Il allait confronter sa souris à la tentation. Il avait impatience de connaitre sa réaction. Allait-elle tomber dans son piège ?

A l'heure de la récréation de l'après-midi, au milieu de la cour, à l'intersection de tous les bâtiments, il héla un étudiant de cinquième grade. Tout juste dix-huit ans, Gaétan était un élève sans problème, passe-partout. Il avait néanmoins commis une faute grave, Nicolas était là pour le punir.

La victime hésita, il ne souhaitait pas paraitre trop suspect en se sentant visé par un « Hé, le voyeur. » lancé au hasard. C'était impossible qu'il soit le concerné, n'est-ce pas ?

—Je n'aime pas me répéter, asséna le progue.

Gaétan se stoppa net, conscient que ses espoirs venaient de s'envoler. Plus loin, Jade fronçait les sourcils. Les étudiants s'éloignaient tous spontanément des deux protagonistes. Un cercle se formait. La Mavoise se rappela la semaine passée et grimaça. Deux fois en si peu de temps, c'était trop.

—Pardon ? s'étonna Gaétan.

Le Prédateur lisait dans ses iris brunes la peur.

—Tu es un peu trop curieux en ton genre, lança Nicolas.

L'Inconnu aux mille visages s'approcha. Sur le côté droit, le progue se tenait. Sur le côté gauche, l'étudiant.

—Je n'ai rien fait.

Lentement, l'illustre justicier de la paix se plaça plus près de sa victime. Son esprit, lui, se demandait de quelle manière réagissait Jade. Interviendrait-elle, comme lors de son premier jour de classe ? Baisserait-elle le regard, comme tous les autres ? S'insurgerait-elle du comportement du progue ? Ou, contre toute logique, fuirait-elle ?

—Ah oui ?

Son corps envoyait le message contraire. Il tremblait. Il n'espérait que disparaitre de cette planète, où tous les regards convergeaient vers lui. Ces gens le pensaient-ils Mavois ? Le grand Prédateur ne s'en prenait qu'à eux. Et pourtant, Gaétan n'était qu'un civil. Sa seule faute était d'aimer son frère, plus que tout.

—Je t'ai malheureusement vu fouiller mes affaires.

La lueur dans le regard de la victime vacilla. « Touché » pensa le Prédateur.

—Que cherchais-tu ?

Gaétan n'eut pas la force d'ouvrir la bouche. Le regard noir le tétanisait, la suite des événements l'effrayait. Il se savait au pied du mur, qu'il parle ou non, cela revenait au même.

—Répond ! tonna Nicolas.

Jade eut un mouvement d'hésitation. L'autorité du Prédateur n'était pas feinte, ni sa cruauté. Qu'attendait-il de cette altercation ? Il aurait pu l'arrêter, pourquoi le mettre en scène de cette façon ?

—Je...

Nicolas soupira. Gaétan ne parvenait pas même à construire une phrase complète ! Ses mains le démangeaient et, un instant, le justicier du peuple envisagea de se battre, là, au milieu de tous. Les regards, il s'en fichait. Personne ne l'attaquait jamais en justice, il était la justice. C'était lui qui gagnerait qu'importe les circonstances.

—Je n'ai rien fait de mal.

Gaétan le pensait très sincèrement.

—Ah bon ?

Nicolas avança d'un pas tandis que Gaétan recula. Le premier se mit à sourit, car il notait le mouvement de Jade qui se plaçait peu à peu derrière la victime. Comme pour le provoquer. Comme pour lui demander « Qu'attends-tu de moi ? ». Le regard aux aguets, elle observait en silence.

—Est-ce normal de fouiller ? insista Nicolas.

Normal ? se répéta Gaétan. Rien n'était normal dans ce monde de pacotilles. Son grand frère n'avait commis aucun crime, aucun péché. Il était simplement différent, et il en a payé le prix de sa liberté.

La victime serra les poings, releva la tête, sentit la rage monter en lui. Non, il n'allait pas partir comme cela, tel un animal apeuré. Il n'était pas en tort.

Il toisa le progue, l'ennemi, prêt à bondir sur lui.

—J'ai rien fait qui mérite d'être menacé, asséna-t-il. Tu me traites comme un des leurs, alors que c'est pas le cas !

Quelque chose se brisait en lui, il le sentait. C'était comme une barrière, une limite qu'il s'était toujours imposé à lui-même.

Nicolas porta sa main sur l'étui autour de sa taille. La situation commençait à déraper, il le voyait à ses dents qui claquaient, à ses membres qui s'agitaient. La peur avait quitté l'être face à lui, et c'était dangereux.

—Mon frère est un Mavois et il était la gentillesse incarnée !

Le non-retour vient d'être franchi. pensa Jade. Postée derrière la cible, elle observait sans agir tandis qu'autour d'elle des cris de stupeur s'élevaient. Personne n'avait l'autorisation de défendre leur espèce. C'était un crime aux yeux de la loi.

—A genou, ordonna le Prédateur.

Sa main était passée dans l'étui, saisissant presque la Pita. Le problème : l'interdiction de la retourner contre les civils était aussi valable pour lui. C'était peut-être le seul cas où il risquait de réels problèmes.

—J'espérais trouver ces listes pour trouver mon frère. Je pensais bêtement que tu les gardais sur toi. Je suis stupide, hein ?

Nicolas sortit la Pita, espérant le faire reculer. Il sentait la menace grandir de minutes en minutes. Il pensa à sa boucle d'oreille, si petite, si discrète, qu'elle se fondait sur lui. Même de près, on pouvait la confondre avec un grain de beauté. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il avait fait ce choix : qui penserait à regarder cet endroit-là ? Le format était si peu connu de la grande population qu'il ne viendrait à personne l'idée de cette cachette. Une boucle d'oreille contenant des dossiers confidentiels, il fallait y penser.

Jade serra les poings. Elle se reconnaissait dans ces propos de façon dérangeante. Si elle n'avait pas partagé ce fardeau, d'être Mavoise, elle aurait pu désespérément chercher ces fameuses listes. Les seuls fichiers qui contenaient le nom et le numéro de ceux capturés.

Il lui aurait été si simple de retrouver ce Mavois aux cheveux noirs et cet ami capturé peu de temps avant la mort d'Hannah.

—J'ai essayé d'obéir aux lois, de le rayer de ma vie. Mais mon frère, il a vécu, il a grandi, il a ri, il a aimé. Il mérite de vieillir comme nous.

La rage semblait désormais totalement l'habiter, le désir de vengeance également. Nicolas se prépara à l'intervention.

La situation dérapa.

La victime sortit un couteau de sa poche, vif comme l'éclair. Il s'élança vers le Prédateur. Quelle stupidité ! pensa Nicolas. Même s'il était rapide, l'instinct du progue l'était tout autant. Il était déjà prêt à le mettre au tapis. Puis, contre toute attente, Jade bondit sur Gaétan. Elle voulait le retenir, l'empêcher de se faire arrêter. Il était elle, elle était lui. Un frère, une sœur. Son geste était sans issue, car quoi qu'elle fasse Gaétan serait emprisonné pour ses propos.

Jade l'immobilisa, puis passa par-dessus la victime et son dos heurta le sol. La douleur l'envahit et elle grimaça, sans parvenir à se relever. Gaétan l'ignora et s'approcha à nouveau de l'illustre progue. Ce dernier patienta. Au dernier moment, il fit basculer sa victime et le maintint au sol.

—As-tu agi pour le compte de Galila ? s'enquit le Prédateur.

Ses yeux verts scrutaient rapidement chaque membre de Gaétan, à l'affut d'un moindre changement.

—Lâchez-moi !

L'étudiant de cinquième grade se débattait, peine perdue. La poigne du justicier du peuple était forte.

—Un Mavois ne mérite que la mort.

—Toi aussi, répliqua l'acculé.

Et alors que tous avaient les yeux braqués sur sa personne, le changement que redoutait -ou espérait- le progue se produisit. Propulsant le Prédateur hors de sa portée, Gaétan se vit pousser une queue et des petits crocs. Deux oreilles poilues apparurent également. Il devenait mi-homme mi-animal.

Nicolas sourit. Voilà qui l'arrangeait fortement ! Il sortit sa Pita, analysa rapidement les atouts de l'erreur de la nature. Agile, rapide, mais faible. Il n'allait avoir aucun mal à le viser. Il nota le mouvement de sa queue, de droite à gauche, tandis que l'animal riait.

Il se stoppa.

Elle s'abattait sur Jade. La fureur s'empara du Prédateur. L'étudiante était sa victime, sa proie, son jouet. Sa main agrippait avec force son arme.

La queue s'enroula autour de Jade, inconsciente. Ses pics s'enfonçaient légèrement dans sa peau.

—Si tu me touches, elle tombe. Ce serait ballot qu'elle ait un peu mal, non ?

Qu'il était naïf ! Le Prédateur était insulté, là, devant des regards. Bien que la plupart s'était rabattu à l'intérieur du bâtiment, ils l'observaient derrière les immenses fenêtres, peut-être certains filmaient-ils ! Alors, sans une once d'hésitation, il tira.

La surprise et la douleur se lisaient encore sur le visage de l'animal lorsqu'il s'écroula inerte au sol. L'arme du progue n'était pas la plus commune. Une balle ? C'était si populaire. Sa Pita à lui tirait des fils emplis d'électricité. Une fois leur cible atteinte, la décharge était libérée.

Sur le corps de son jouet, il distingua du sang. Il eut envie d'abattra l'erreur de la nature, mais s'il perdait encore du temps, Jade pouvait ne pas y survivre. Ainsi, il appela l'ambulance des progues.

Au moment où la voiture quittait la Lulyco, un rire résonna. Rachel s'approcha calmement.

—Si beau !

De l'extérieur, la scène lui avait paru surnaturelle. Tout chez le Prédateur était contrôlé. Rachel souhaita ne jamais devoir l'affronter. Le Prédateur était sans pitié.

—Mais elle n'avait pas l'air très bien...

—Ne te mêle pas de ça, tonna-t-il.

—Une petite chose.

Rachel s'approcha agilement, puis en se penchant vers lui, elle susurra :

—As-tu remarqué ?

Elle patienta quelques secondes.

—Un feu a brûlé dans son regard...

Nicolas leva les yeux au ciel et s'en alla. Il n'avait pas le temps pour la progue.

Rachel l'observa s'éloigner, ne comprenant toujours pas les motivations de cette bête à l'apparence humaine. Elle tourna elle aussi les talons, tout en se disant que sans le Prédateur, Hart Jade croupirait déjà dans un Morcème.

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