Chapitre 16 : Le Prédateur t'observe
—Comment te sens-tu aujourd'hui ?
Calis se redressa de son lit. L'Animal lui rendait visite une fois par jour, avec toujours la même phrase en bouche. Elle était rentrée affaiblie, mais à présent elle se sentait déjà mieux. Sa blessure avait bien guéri et elle avait récupéré ses forces. L'inquiétude de son ami était stupide.
Elle sourit.
—Je suppose que c'est oui, soupira-t-il en s'installant à côté d'elle.
Ga-Eul lui tira les joues, parce que l'Animal était tout simplement trop mignon. Ses cheveux noirs étaient un peu longs pour un garçon, mais on oubliait très vite ce détail en plongeant son regard dans le sien, bleu électrique.
—Arrête ça, tu veux ? Je suis pas un bébé, bouda le plus âgé.
—Ben, tu as cinq ans de plus seulement physiquement. Dans la tête, je ne sais pas trop !
Le Mavois fronça les sourcils avant de secouer la tête. Il était plus mature qu'elle, c'était certain. Il ne se jetait jamais tête baissée comme le faisait sa camarade. Il mesurait les risques, puis il tentait une approche. Ga-Eul s'évertuait à frapper à la porte, puis à réfléchir. Le Mavois en était parfois désespéré. Et surtout inquiet. La tête brûlée se mettait toujours en danger, sans se soucier de ce que lui pensait. Il veillait sur elle depuis le premier jour de leur rencontre, il était attaché à sa personne. Mais Calis était obsédée par sa famille, emprisonnée quelque part dans le pays.
—Je sais, j'ai encore déconné, murmura-t-elle.
Cette fois, elle avait failli y passer. Si cette inconnue n'était pas apparue, elle n'aurait sans doute plus sa liberté. Elle avait déjà perdu son anonymat, ses parents, sa sœur et un toit réellement à elle. Il ne lui restait que ses allers et venues à sa guise. Elle avait eu peur, sans pour autant abandonner l'idée de repartir.
—Ga-Eul, tu ne pourrais pas faire des efforts ?
Il eut envie de rajouter « pour moi », mais se dit que la précision était inutile. Cela faisait trois ans qu'ils se connaissaient tous les deux, Calis le savait déjà.
La Mavoise garda le silence. Elle lui avait maintes fois promis sans parvenir à tenir cette promesse. Elle refusait de lui mentir encore. Dans ces chambres à Galila, mises à disposition pour les Mavois découverts, il était son rayon de soleil. L'Animal était toujours là pour elle, il méritait la vérité.
A défaut de pouvoir le rassurer verbalement, elle lui saisit la main et la serra fort.
—Je voulais tellement voir l'intérieur de ce centre, tu comprends ?
—Je sais, soupira l'Animal.
Bien que trois ans étaient passés, l'impatience de Ga-Eul ne se tarissait pas. Ni ses espoirs. Elle croyait en des retrouvailles, là où son ami ne voyait que des pleurs. La vie dans les Morcèmes était difficile, peu survivait au-delà de deux ans.
—J'ai été sauvée, c'est le principal.
—Par cette inconnue aux yeux bleus, c'est ça ?
Calis hocha frénétiquement la tête.
—Tu aurais dû la voir ! C'était impressionnant. J'hésitais à lui parler, parce que je ne sais jamais comment les gens réagissent, mais son désir de me parler était si fort que je l'ai entendue. Elle s'est proposée en otage, tu te rends compte ?
C'était effectivement impressionnant. L'Animal retenait surtout sa prestation. Avait-elle feint la peur ou l'avait-elle réellement ressentie ? Peut-être qu'elle n'avait réfléchi qu'après-coup, comme une certaine personne.
—Argh, tu m'énerves quand tu te perds dans tes pensées ! s'exaspéra la tête brûlée.
—Il faut bien que quelqu'un pense, ici.
Calis leva les yeux au ciel. En attendant, l'inconnue l'intriguait. Elle s'était approchée naturellement et n'avait pas cédé aux progues, comme la plupart des civils. Elle avait réfléchi. Et surtout, elle semblait ne pas craindre le Prédateur. C'était le seul point qu'elle n'avait pas précisé à son ami, il l'aurait traitée de folle sinon.
—Je déteste quand c'est toi qui t'isoles dans ton monde. Tu sors toujours une nouvelle à couper le souffle.
—Oh, arrête ! le taquina-t-elle. Tu connais déjà ma prochaine proposition.
—La retrouver ? suggéra l'Animal.
Calis siffla, moqueuse.
—C'est que t'es intelligent !
Même si beaucoup de flou résidait, Ga-Eul voulait essayer. L'inconnue pouvait être Mavoise, civile, victime de la société, tout comme progue. Cela ne l'empêcherait pas de tenter une approche. Elle la voulait dans leur camp.
L'Animal approcha d'un seul coup son visage du sien.
—Tu sais que ça ne me fait rien.
Ni gêne, ni contrariété. La tête brûlée se contenta de repousser sa tête un peu plus loin. Une fois que l'habitude était prise, le fait que l'Animal était tactile devenait un détail.
—La retrouver sera facile, elle doit habiter Dali.
Ga-Eul trépignait de leur futur rencontre.
# # # # #
Les murmures allaient bon train dans l'enceinte de la Lulyco. Jade s'évertuait à passer outre, à ne pas les écouter. Cependant, certaines informations filaient tout de même.
Le Prédateur la respectait.
L'idée semblait être partagée par bon nombres d'étudiants. Jade devait admettre qu'il s'agissait de la cause la plus probable à sa survie. Le Prédateur aurait menotté n'importe qui d'autre deux jours auparavant. Se confronter à lui, c'était téméraire. Un peu trop pour une banale civile. Il fallait avoir des tripes pour se frotter à l'illustre progue, craint par ses semblables. Personne ne voyait le jeu entre lui et elle. L'Inconnu aux mille visages n'allait pas s'en vanter !
Son arrivée à la cantine fit naitre d'autres chuchotements. Difficile de rater le Prédateur, à la table la plus proche du service. C'était fait exprès, évidemment. Jade lui sourit faussement avant de poursuivre sa route. Elle remarqua ensuite Luhan, lui faisant de grands signes. Il était accompagné de Jacob et Jade s'assit à côté de Luhan. Sans surprise, le Prédateur s'était tourné dans sa direction.
Ils ne s'étaient pas reparlés depuis l'incident, et Jade ne comptait pas y remédier.
—Alors ? s'enquit Luhan.
Son regard empli d'attentes et son sourire d'espoir firent oublier à Jade sa mésaventure.
—Je n'ai pas abordé le sujet que tu espères.
Son ancien ami fit une moue boudeuse avant de porter sa fourchette à sa boche. Dire que cet enfant était dans le collimateur du Prédateur !
—Tu es trop impatient, se moqua-t-elle gentiment.
—Tu es normalement super efficace...
Jade voulut lui répondre que c'était avant, mais elle se tut. Ils n'étaient pas assez proches pour évoquer ouvertement la mort d'Hannah.
—J'ai été interrompue, je te rappelle.
Elle nota le pincement de lèvres de Jacob, dans sa diagonale.
—On m'a dit.
Elle secoua les épaules et replongea dans son assiette. Si elle poursuivait ce terrain-là, l'ambiance se ternirait. De toute façon, les élèves en parlaient suffisamment !
—Elle a l'air de te connaitre, c'est un bon début.
—Oh, vraiment ? l'interrogea Luhan, les yeux pétillants.
Jade rit.
—Le Prédateur t'observe, remarqua soudain Jacob.
L'attablée se tut, Luhan y comprit. Lui aussi était au courant, même si son avis sur la question n'était pas la même que son ami. Ce n'était pas Jade que le progue surveillait, mais lui.
—Je n'ai rien à cacher.
La Mavoise s'arrêta de manger pour plonger son regard dans le sien. Elle croyait en ce qu'elle disait.
—Tu es sûre ?
Il donnait l'impression de connaitre l'un de ses secrets. Mais si le Prédateur doutait, Jacob ne pouvait rien détenir.
Bien sûr, s'il était un civil comme les autres.
—Douter n'est pas dans mon vocabulaire, merci du conseil, asséna-t-elle.
—Tu es spéciale, il ne passerait pas autant de temps avec toi sinon.
Oui, Luhan était spécial. C'était pour cette raison que le regard de l'ennemi se posait sur lui. Il avait pensé se fondre dans la masse, mais la réalité l'avait rattrapé.
—Qu'est-ce que tu essaies de me faire dire ?
—Si tu veux t'attirer des ennuis, vas-y. Personne ne te retiendra. Mais n'entraine pas les autres avec toi.
—Jacob, arrête, intervint Luhan.
—Tu devrais t'éloigner d'elle, elle est dangereuse. Je le sais.
Quelque chose troubla Jade, sans parvenir à dire quoi précisément. Peut-être cette assurance dans sa voix ?
—Si ne pas avoir peur du Prédateur fait de moi quelqu'un de dangereux, alors oui, je le suis.
Jacob secoua la tête, mettant fin à la discussion. Il la trouvait impressionnante, de s'élever ainsi face au progue. Pourtant, la mise en garde de son frère ne cessait de le tourmenter. Matthew ne se trompait jamais, quand bien même Jade en donnait l'impression inverse.
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