—Comment s'est passé ta journée ? Raconte-moi ! Je veux tout savoir ! s'exclame-t-elle en prenant place sur mon lit.
Je me retourne sur ma chaise de bureau pour lui faire face. Elle est l'impatience incarnée et c'est bien suffisant pour agir aussi lentement !
—Tu es trop curieuse, Hannah, répliqué-je en roulant des yeux.
Elle adore tellement se mêler de ma vie ! Des petits tracas au plus gros problèmes, elle quémande sans cesse un compte-rendu. Je l'aime quand même. Elle est si parfaite, avec ses courts cheveux bruns et son regard vert, avec son sourire et sa joie de vivre. Elle parait si adulte comparée à moi.
—Tu es ma sœur, il est donc normal que je m'intéresse à ta vie.
Elle prend cette voix fluette, celle qui annonce qu'elle se moque de moi.
—Pense à mon...
—Intimité, finit à ma place Hannah. Tu dis toujours la même chose, rit-elle.
Elle aussi, mais je me tais. Nous aimons ces routines entre nous, ces choses qui ne changent pas.
—Ne te moque pas de moi ! m'offusqué-je, bien qu'elle ait raison.
—Allez, dis-moi, comment était ta journée ? Qu'est-ce que tu as fait ? interroge-t-elle sans prêter attention à mes propos.
Je sais exactement pour quelle raison elle est si enthousiaste. Je la connais. Je suis si proche d'elle. J'ai besoin de sa personne à mes côtés, bien que cela ne m'empêche pas de râler !
Imperceptiblement, elle avance sa tête vers moi, comme pour mieux capter mes futurs propos. Hélas, je ne réponds rien et patiente, le sourire aux lèvres. Je trouve sa prochaine question avant même qu'elle ne la prononce.
—Tu as vu Dorian aujourd'hui ?
L'innocence dans sa voix est un leurre. C'est tout ce qui l'intéresse !
En attendant ma réponse qui tarde -je le fais exprès, bien évidemment- Hannah s'assoit correctement sur le lit. Sa position n'est plus nonchalante, mais aux aguets. Elle ne changera jamais. Et c'est ainsi que c'est le mieux !
—Oui je l'ai vu. Il m'a même accompagnée jusqu'à ma salle.
Dorian est un garçon adorable et un parfait gentleman. Ses cheveux blonds et ses yeux bleus font de lui le type idéal. C'est vrai que je rabâche à ma sœur que c'est ce que j'aime le plus chez les garçons, mais... ça ne suffit pas ! Il n'en faut pas plus à ma sœur, malheureusement...
—Formidable ! Depuis le temps que j'attends ça ! trépigne-t-elle tandis que je lève les yeux au ciel.
Hannah s'emballe beaucoup trop ! Elle est si optimiste, si joyeuse, si... elle.
—Alors vous sortez quand ensemble ? Ma petite sœur va avoir un petit copain ! Je suis tellement contente !
Je ne peux pas m'empêcher de soupirer. Dorian ne dépassera jamais le stade de connaissance, malgré ses formidables qualités.
—Pourquoi tu fais cette tête d'un coup ? Qu'est-ce qui se passe ?
Son froncement de sourcil vient gâcher le sourire qui s'affichait encore la seconde d'avant. Cependant, je n'ai pas les mots pour qu'il revienne. Bien au contraire.
—Il déménage dans deux jours.
C'est pour me l'annoncer qu'il m'a raccompagnée à ma salle. Je l'ai pris comme un pas vers moi, pour me dire qu'il était désolé.
—Quoi ! Il n'a jamais parlé de déménager avant ! Pourquoi il ne m'a rien dit ? s'indigne ma sœur.
—Je ne sais pas.
Son image me revient en mémoire et je la chasse rapidement. Dorian s'en va, je dois le supprimer de mes pensées.
—Oh... Mais ne t'en fais pas, petite sœur, je te trouverai quelqu'un d'autre ! Tu ne finiras pas vieille fille, compte sur moi ! réplique-t-elle, son sourire éclairant à nouveau son visage.
Le souffle court, Jade se réveilla. Ce souvenir la fit doucement sourire. Après ces jours de doute et de folie, cet instant joyeux n'était pas de refus. Avec Hannah, elle n'avait jamais douté de ses dons ou de son existence. Elle n'avait pas eu peur d'être démasquée, ni de mourir. Elle se sentait indestructible. Malheureusement, sa mort avait ouvert les yeux de Jade et l'insouciance l'avait quittée.
Dans l'obscurité de sa chambre, elle se rappela la date de ce souvenir. Le 16 décembre 2 338, trois jours avant la mort d'Hannah. La symbolique de ce moment était encore plus fort. Jade se sentit finalement oppressée. Elles avaient des préoccupations d'adolescentes, alors que le monde était cruel et dangereux. Alors que deux jours plus tard, Dil Dorian était emprisonné.
Jade se redressa soudain sur son lit et jeta un œil au réveil. Minuit trente. Il n'était pas trop tard. Elle pouvait passer à Galila, revenir dans trois heures et dormir encore quelques heures, pour ne pas être à nouveau un zombie. Elle ressentait le besoin de visiter la bibliothèque et de lire, enfin, les mots adressés à sa sœur.
Elle s'habilla et rejoignit le hall de l'organisation. Les couloirs étaient déserts et elle ne mit que quelques minutes à franchir les portes de la bibliothèque.
Pas une âme ne semblait présente, comme une grosse partie du temps. Peu nombreux étaient les Mavois intéressés par ces lieux. L'endroit servait d'archives et était une mine d'informations, bonnes ou mauvaises. Il y avait des rangées entières consacrées aux Mavois et à leur vie : pseudonyme, capacités, réelle identité -si elle était connue-, numéro dans le Morcème capture, famille. La masse de données était considérable, mais n'effrayait pas Jade. Elle était ici pour une raison particulière, les recherches allaient être plus simples. Elle se faufila à travers les étagères, sachant pertinemment où se rendre. A de nombreuses reprises, elle avait tenu le livre entre ses doigts, incapable d'en tourner la bonne page. Cette nuit-là, elle était décidée.
Ainsi, elle se saisit avec détermination du livre. Il était bien entretenu, sans doute grâce aux Gardiens. Ils étaient chargés de l'entretien et de l'écriture des ouvrages, tous possédaient la faculté de modifier des objets ou bien de permettre différents exemplaires à divers endroits du pays. Modifier une copier revenait à modifier les autres.
A la page du sommaire, son cœur rata un battement. Le dixième nom était celui de Hart Hannah. Sa main effleura les lettres noires et le doute l'assaillit, comme à chaque fois. La Mavoise Hannah était-elle différente de la civile Hannah ? Découvrirait-elle sa sœur sous un nouveau jour ? Était-elle réellement prête à affronter la réelle Hannah ? Par-delà la mort, sa sœur la réconfortait, la guidait. Malgré l'absence et les silences, elle restait l'un de piliers de la vie de Jade.
—Il est temps, se donna-t-elle du courage.
Elle tourna les pages. Sa main tremblait et son souffle s'accélérait. Encore quelques secondes. Là, son nom apparut.
Hart Hannah – La Pierre Illusoire
Née le 23 janvier 2 321 à Dali, la Pierre Illusoire est décédée le 19 décembre 2 338. Elle n'a pas connu l'enfermement, ayant été abattue le jour où son identité a été démasquée.
Le texte s'arrêtait là, qu'importe le nombre de fois que Jade le relut. Rien de plus n'était apposé sur le papier. Il s'agissait des seules informations qui restaient d'elle, et Jade en éprouva une forte frustration. Elle avait espéré trouver les réponses à certaines de ses questions. Quelles étaient les pouvoirs d'Hannah ? Avait-elle rejoint Galila ? Quels exploits avait-elle accomplis ? Les pauvres lignes lui paraissaient vides de sens, et improbables. Hannah lui avait peut-être cachée ses dons, mais jamais elle n'aurait pu n'être qu'une Mavoise lambda. Jade le ressentait au plus profond d'elle-même.
Elle se remémora encore une fois le soir de sa mort. Le lendemain. Puis un détail lui sauta au visage.
Jamais personne n'avait fait mention de son décès. Pas un murmure, pas une rumeur. Hannah avait disparu de Dali sans une seule insulte. Pourtant toutes les arrestations étaient évoquées un moment ou l'autre. Toutes. Alors, si aucune information n'avait filtré, que cela signifiait-il ?
La mort d'Hannah recelait-elle un secret jusqu'alors bien gardé ?
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