Chapitre 14 : Calis

Jade se mordait la lèvre. Le monde qui l'entourait n'avait que peu d'importance. La menace du Prédateur claquait dans son esprit. Elle tentait de trouver un moyen, mais n'en trouvait aucun. Pas l'ombre d'une explication plausible. Alors qu'elle marchait, un bruit métallique la fit sursauter. En relevant les yeux, elle découvrit un chat noir. Le cercle blanc sur son flanc droit lui fit froncer les sourcils. Son pelage était particulier, presque surréaliste. Puis elle avisa sa patte cassée et s'avança vers lui. Elle tendit la main, l'invitant à lui faire confiance. Néanmoins, le chat se mit en position d'attaque, comme pour lui dire de s'éloigner le plus possible.

—Tout doux, souffla-t-elle.

Son instinct lui disait d'insister, de ne pas abandonner si rapidement. Elle le suivait, comme toujours.

L'animal se braqua encore un peu. Jade avança d'un pas encore. Et gagna. Blessé, il ne pouvait pas s'enfuir bien loin. La Mavoise le prit dans ses bras, comptant l'emmener chez elle. Elle avait cessé de parler aux citoyens, pas aux animaux.

Elle recommença à marcher, quelques pas, quelques minutes. Des jets de lumières se braquèrent soudain sur elle. Elle fut éblouie et ne distingua dans un premier temps rien.

—Arrêtez-vous ! scanda quelqu'un.

Enfin, elle aperçut les progues l'encerclant. Le mur était derrière elle et ils formaient un demi-cercle. Aucune échappatoire possible. Plus loin derrière, elle aperçut le Prédateur s'approcher. Encore un test, pensa-t-elle.

Il n'en était rien. Le Prédateur l'avait simplement suivie dans l'espoir de trouver une faille. La chance lui souriait, c'était tout.

—Posez la bête doucement au sol, exigea plus calmement un second progue.

Ses cheveux roux avec ses taches de rousseurs frappèrent Jade. La surprise la laissa quelque peu pantoise avant de trouver tout ce spectacle ridicule. Nicolas ne l'aurait pas de cette façon. Malheureusement, il n'y était pour rien et les justiciers du peuple avaient une réelle mission.

—Pourquoi ? questionna Jade.

—Pose-le ou nous tirons, abrutie ! reprit le premier progue.

Lui, c'était sa coupe iroquoise qui frappait Jade. Il était musclé, grand et savait s'imposer, tant physiquement que verbalement. Sa voix portait et était ferme. Son regard d'un noir profond semblait constamment vous menacer.

—Que lui voulez-vous ?

—Pose-le ou nous tirons, bordel !

Jade soupira. Il n'avait aucune autorisation de tirer avec sa Pita. Si cela neutralisait les Mavois et leurs pouvoirs, cela pouvait paralyser à vie un citoyen. Ses armes n'étaient pas des jouets et leur réglementation était stricte.

—Arrête tes bêtises ! le réprimanda le plus petit.

Il était plus chétif, moins imposant. Jade le trouvait plus réfléchi et amical.

—Tu tiens entre tes mains un Mavois, poursuivit le rouquin.

La main de son acolyte cherchait une arme à employer contre une citoyenne. Hélas, il n'y avait rien. Les vêtements des progues étaient légers, mais robustes ; leurs chaussures souples. Leurs armes, pendues pour la plupart à leur ceinture, étaient tous destinées à des Mavois, car le Dédra les recouvrait.

L'Inconnu aux mille visages dévisagea le chat. Rien ne le distinguait des autres, pourtant, elle sut que le justicier du peuple disait vrai. Elle sut instantanément qu'elle ne pourrait pas aveuglément obéir.

—Vraiment ? feignit-elle donc.

Elle porta l'animal devant elle, lui sourit.

—Moi, je pense que tu es tout à fait normal.

Dans son esprit tournait les mille et une fins possibles à cet événement. Sa fuite ne pourrait être optimale que si Jade trouvait un autre centre d'intérêt aux progues. Elle n'était plus très certaine que Nicolas soit mêlé à cela, car il restait en retrait et l'observait attentivement.

—Vous êtes sûrs ? insista-t-elle en reprenant la bête contre elle.

—Pose-la ou je te fous dans une Prilace pour longtemps, imbécile.

Le molosse perdait patience, il trépignait sur place.

—Calis, c'est son pseudonyme. Elle est une experte en transformation animale. La tache blanche que tu vois sur son flanc est sa marque et nous la traquons depuis Vam. Je l'ai blessée à la patte, vérifie par-toi-même.

Son sang-froid impressionna le Prédateur. Il était un brin trop patient, mais sa capacité de contrôle était une qualité importante. La montagne, elle, était toujours plus nerveuse. Le progue avait sorti sa dague de Dédra et semblait se préparer à la lancer. S'il tirait, Nicolas était conscient qu'ils perdraient la Mavoise. Elle profiterait de la panique pour s'enfuir. Intervenir le démangea soudain. Cependant, il voulait voir ce que Jade était capable de faire. Jusqu'où elle était prête à aller. Il avait croisé son regard, elle savait qu'il était là. Implicitement, elle lui avait lancé le défi de ne pas bouger.

Jade fit mine de constater la blessure, puis ferma les les yeux et se convainquit d'être effrayée. Si elle la posait par terre, s'en prendrait-elle à elle ?

—Elle est blessée, elle ne fera rien.

Le Prédateur salua encore une fois les capacités de ce progue aux cheveux roux. Il semblait avoir prononcé les bons mots, car Jade se baissait tout doucement, comme pour ne pas froisser l'animal. Dans son esprit, c'était une tout autre version : elle cherchait un moyen de le sortir de là.

Le géant baissa son couteau et reprit sa Pita, prêt à tirer dès la civile à l'abri.

—Bien, maintenant, rejoins le progue le plus proche.

Jade s'exécuta lentement. « Fais-le » pensait-elle ardemment envers la Mavoise acculée. « Prends-moi en otage. » Son cœur battait plus fort, mais elle était certaine de son choix. Elle pourrait tester sa force. Elle espérait que sa lenteur donnerait à la chatte l'occasion de s'exécuter.

C'était la seule échappatoire qu'elle avait trouvée. La seule qui permettait de les sauver toutes les deux.

La bête miaula et se mit à courir. Bien que les armes étaient braquées sur elle, aucun des progues n'osa tirer, de peur de toucher la civile. Alors Calis se transforma en la femme qu'elle était, gardant ses ongles en griffes. Elle posa délicatement sa main sur le cou de Jade et fusilla du regard tous les assaillants. Sa jambe l'élança davantage, mais elle n'avait pas le choix.

L'Inconnu aux mille visages se mit à trembler, déglutit, chercha à respirer convenablement. Cette fois, Nicolas s'avança. Cette transformation n'était pas prévue et le jeu pouvait mal tourner. Il ne portait pas son uniforme de progue, mais sa Pita était toujours avec lui.

Son arrivée dans le cercle soulagea tout le monde, sauf les deux Mavoises. Calis, de son vrai nom Ga-Eul, n'avait pas prévu qu'un monstre tel que lui serait de la partie. Elle n'était plus très sûre d'avoir fait le bon choix.

—Fin de la partie, lança l'illustre progue.

Jade ferma les yeux, certaine qu'il n'hésiterait pas à tirer malgré sa présence.

—J'ai besoin de temps, murmura la jeune femme aux cheveux noirs.

Le cœur de l'Inconnu aux mille visages fit un bond. Venait-elle de quémander son aide ?

—Les Mavois comme toi m'agacent, lâcha Nicolas. Je sais bien viser, menaça-t-il.

Ni le grand, ni le petit n'osèrent le contredire. Dans la posture du progue, tout inspirait la confiance. Bien campé sur ses pieds, sa main en avant, il semblait parfaitement maitriser les tirs. Il n'avait aucun doute, aucune peur.

—Ne tire pas ! s'alarma Jade.

Les doigts glissèrent sur sa peau. La brune sentit son sang coulait.

—On fait moins la maligne, maintenant, lui reprocha Nicolas.

C'était plus fort que lui, il l'avait prévenue et elle n'avait rien écouté. Et plus elle serait acculée, plus les chances qu'elle se trahisse étaient grandes. Si elle était Mavoise, c'était le moment ou jamais de le montrer. Ga-Eul serait touchée et les deux s'allieraient pour s'enfuir.

—Calis, laisse-la partir. T'en prendre à une citoyenne ne te sert à rien.

La voix posée du rouquin suspendit un instant le temps. Si Nicolas s'était attendu à cela ! Celui-là ne devait pas venir de cette ville pourrie, aucun des progues n'osait lui parler plus de cinq minutes. Encore moins s'impliquer dans ses affaires !

—A rien ? Je serais morte si elle n'était pas devant moi !

—Tu mourras de toute manière, ajouta Nicolas.

Des perles de sueurs couvraient le front de la cible. Il lui fallait simplement quelques secondes encore. Elle pourrait alors se transformer en papillon et disparaitre à leur regard.

—Tu n'as pas d'échappatoire, relança le rouquin.

Nicolas se prépara au tir. Il compta mentalement.

Un.

Deux.

A trois, Jade donna un coup de coude dans le ventre de sa compère. Les ongles l'entaillèrent davantage, elle chuta en avant, la Mavoise en arrière. La balle de Dédra se logea dans le mur. Les progues au plus près du mur se préparèrent à tirer aussi. L'Inconnu aux mille visages était suffisamment éloignée pour le tenter. Elle n'avait plus la force de s'éloigner, haletait à genou.

Cependant, la Mavoise avait obtenu ses quelques secondes. Ainsi, elle disparut.

—Cherchez un insecte ! lança derechef le rouquin.

Malheureusement pour eux, elle s'était déjà réfugiée sous la benne à ordure de la ruelle annexe. Impossible pour eux de la trouver. C'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Le Prédateur en était conscient et préféra s'approcha de la victime collatérale. Elle n'avait pas usé de dons. Les Mavois de cette ville était pourtant fragile, comme celui-là qu'il avait capturé aux premières lueurs du matin. Un petit rien les faisait vriller, pas elle. La situation avait pourtant été réelle, la menace non feinte. Sa vie avait été en danger, sur le point de basculer dans un non-retour. Il grimaça, parce que si Jade n'était pas des leurs, cela signifierait qu'il se trompait pour la première fois. Cette perspective le déplaisait grandement.

—Du mal à s'en remettre ? se moqua-t-il.

Jade tentait toujours de reprendre une respiration normale, tandis que le sang s'écoulait de son cou. Une seule phrase se répétait : J'ai réussi. Elle se sentait si fière d'avoir agi !

—J'ai failli mourir.

Elle se retint de justesse d'ajouter « connard », les progues étaient habitués à cela. L'Inconnu aux mille visages également, mais pas Jade. Pas la civile. Elle devait garder son rôle jusqu'au bout.

—Qu'est-ce que ça te fait ? chuchota Nicolas à son oreille.

Elle sera les poings. Jouait-elle mal son rôle ? N'était-elle pas suffisamment crédible ? Elle ferma les yeux et inspira. Expira. Inspira. Expira. Lorsque sa conscience n'oscilla plus entre présent et rêve, elle se redressa, le regard noir.

—Tu veux que je saute de joie ? lui reprocha-t-elle.

—Elle t'a bien eue, rétorqua le progue.

Il passa ses doigts sur les coupures, vérifiant leur profondeur. Les blessures n'étaient que superficielles, Jade s'en remettrait.

—Ne me touche pas ! hurla-t-elle.

Elle repoussa avec force son bras.

—Tu as tiré alors que j'étais devant !

Nicolas se mit à rire en même temps que son rythme cardiaque s'accélérait de plaisir. Sa souris était digne de l'être. Bien que la peur la poussait à cette réaction, il était satisfait de sa colère.

—Je n'ai jamais raté ma cible.

Tout en l'observant, il se remémora les trois jours en sa compagnie. Tout d'abord, Jade sauvait un Mavois à la Lulyco. Puis elle s'approchait au bon moment de Luhan. Ensuite elle affirmait que les progues ne ressentaient aucune compassion. Enfin, elle tenait tête aux progues. A lui. La piste de la Mavoise semblait toute tracée, même si certaines incohérences subsistaient. Un élément lui échappait, c'était certain.

Jade reprenait son souffle et tâtait ses blessures. L'adrénaline avait masqué la douleur, mais tout retombait d'un seul coup et elle serrait les dents. Le rouquin vint alors à sa rencontre. Avant de se préoccuper de l'illustre progue, il s'intéressa à la civile.

—J'ai appelé des secours, ils vont venir prendre soin de vous.

Son ton était chaleureux, compatissant. Jade en éprouva une profonde gratitude. Elle l'observa davantage, puis hocha la tête. Le justicier du peuple se tourna alors vers son supérieur.

—Elle nous a échappé.

C'était évident.

—Tu viens de l'unité de Vam ? s'enquit le Prédateur.

—Exact.

—Ton nom.

—Hil Tom.

—Je me souviendrai de toi, Tom.

Jade aussi.

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