Chapitre 10 : La lettre

Nicolas trainait des pieds à la sortie des cours. Il aimait la Lulyco, parce qu'il s'agissait de son terrain de chasse. Il y avait des enjeux, des défis, des duels. Tout le contraire du siège des progues de Dali.

De gros panneaux noirs indiquaient avec exactitude la route à suivre pour s'y rendre, quel que soit l'endroit de la ville. Des panneaux qui étaient marqués par la vieillesse. Premier manque de la part des progues. En second, le bâtiment avait une façade sombre, d'un gris délavé. Les vitres étaient presque de la même couleur, signe que l'immeuble n'était pas régulièrement entretenu. Rien n'invitait à entrer, rien n'affirmait la puissance légitime des justiciers du peuple. Le petit commissariat était plus brillant que cela ! En dernier point, les rires. Dès le hall, l'ambiance générale était à la joie de vivre, aux blagues et aux embrassades. Ce n'était pas la conception d'un bon QG selon Nicolas.

Il fallait de l'agitation, mais pas d'amusement. De la clarté, pour optimiser le travail et surtout, surtout du calme pour se concentrer. Malheureusement, avec Rachel dans l'enceinte de l'édifice, l'illustre homme savait qu'il lui serait ardu de s'organiser convenablement.

Il pénétra le plus haut étage où un bureau lui avait été réservé. Il ignora royalement l'esclaffement de sa rivale, entourée d'autres collègues, et s'empressa de rejoindre son espace. Il s'installa confortablement sur son fauteuil, en appréciant le moelleux. Là, dans cette pièce, il était tout puissant. C'était ça être au-dessus des autres, valoir plus qu'eux. Tout n'était pas parfait, notamment ses fenêtres beaucoup trop sombres pour laisser la lumière envahir la pièce. Elles étaient pourtant immenses, composant tout le mur devant lui. Son bureau était en effet dirigé vers l'extérieur, et non vers la porte.

Le Prédateur soupira de l'état lamentable de ces vitres. Sans cette saleté, il aurait une vue sur la Lulyco, les quartiers résidentiels et même une partie des champs qui s'étendaient plus loin ! L'emplacement du quartier général était parfait, car il donnait sur l'ensemble de la ville.

Enfin, il se mit au travail. Il tira son tiroir et soupira une nouvelle fois face à la maigre pile d'informations qu'il détenait. Il y avait deux dossiers à la reliure particulière : l'une rouge, l'autre bleu. Il extirpa le rouge. En grosses lettres y était noté « WANG LUHAN ». Il passa sa main sur l'inscription tout en se remémorant les dernières quarante-huit heures. Il avait épié Luhan et ses habitudes. La description de Jade lui correspondait. Discret, studieux, timide à souhait. Le Prédateur avait cependant noté son regard attentif, comme s'il avait quelque chose à cacher. Son suspect au titre de l'Inconnu aux mille visages passait d'un lieu à l'autre sans jamais attirer le regard. Même pour le Prédateur, c'était impressionnant. Tout autant que l'absence de données à son propos. Il était né le 20 avril 2 323 à Vam, la ville la plus proche qui comportait un hôpital. Il excellait depuis toujours dans les études : les sciences, la politique, le sport, la littérature ; son seul défaut résidait en ses capacités oratoires. Sa timidité ne s'effaçait pas face à un public, ce qui le conduisait sans cesse à bégayer. Malgré son brillant parcours, peu de citoyens l'approchaient. C'était trop anormal aux yeux du progue. Dans cette société, l'excellence était un sésame, le moyen d'obtenir tout ce que l'on souhaitait. Il fallait en tirer profit.

Du côté de sa famille, il n'y avait rien de particulier non plus. Fils unique, ses parents s'occupaient de lui comme ils le pouvaient. Ils étaient peu présents, un sacrifice que bons nombres de personnes consentaient à faire. C'était agaçant que Luhan soit si innocent. Pas même une injure envers les forces de l'ordre ! Les agents de police étaient pourtant peu reconnus, au contraire des progues. La mode était aux Mavois, pas aux petites broutilles de voisinage.

Pour la énième fois en deux jours, Le Prédateur alluma son écran et passa plusieurs heures à parcourir les pages, espérant trouver un petit caillou oublié par Luhan.

Lorsqu'il eut mal à la tête -Malgré toutes les avancées technologiques, aucune solution n'avait été trouvée contre les lumières bleues.- il quitta son havre de paix pour entrer en collision avec le monde infect de Rachel. Il descendit trois étages pour arriver à la cafétaria. L'endroit était bruyant -mais quel étage ne l'était pas ?- et parsemait de trop nombreuses couleurs vives. Le progue se sentait agressé et eut envie de faire demi-tour. Il ne suivit pas son instinct et, avec toute la force du monde, commanda un café bien noir. Il touilla sa cuillère avec des mouvements lents et calculés. Ce geste permit à ses muscles de se détendre, à son esprit d'oublier le brouhaha ambiant.

Puis, le rire qui l'insupportait le plus parvint à ses oreilles et son calme s'envola.

—Oh ! Monsieur daigne nous honorer de sa présence !

Sans prendre la peine de lui demander son avis, elle s'installa sur la chaise face à lui. Les deux progues qui l'accompagnaient échangèrent un regard. L'animosité qui émanait de leur supérieur les conduisit à poursuivre leur chemin. Dans cet endroit, il n'y avait que Rachel pour lui tenir tête.

—Pas en train de t'amuser avec l'insolente ?

Son sarcasme faillit mettre à mal Nicolas. Il garda cependant une once de contrôle et lui lança un sourire faux. L'avis de Rachel sur son jouet était très arrêté : il fallait lui passer des menottes et le torturer. Quelques heures suffiraient amplement à obtenir des aveux. Bien sûr, aux yeux du Prédateur, sa concurrente avait tort. Elle ne pouvait saisir tous ses agissements : Nicolas tissait sa toile de peur et de doute, attendant le moment où la terreur ferait son entrée en scène. Il n'aurait plus qu'à la cueillir.

—Autre chose ? lança-t-il.

—Tu es tellement grincheux !

—Rachel, mettons les choses au clair : toi, moi, ce n'est que sur papier. Tu le sais, je le sais. Ne feignons pas, s'il te plaît.

Elle aura essayé.

—Une lettre à ton nom est arrivé, il y a une heure.

Une lettre ? s'étonna le progue. Qui utilisait encore ce mode de transmission ?

—Déranger sa majesté me semblait épineux, poursuivit Rachel, j'ai donc attendu ta somptueuse sortie.

Elle lui tendit l'enveloppe, qu'il s'empressa de saisir. Il congédia l'intruse avant de s'y intéresser. L'expéditeur le rendit dubitatif, puisqu'il s'agissait du Morcème de Farou. Situé à dix kilomètres de Dali, il était le plus proche de la ville. Nicolas n'y avait pas de contact, a priori. Il décacheta la lettre et débuta sa lecture.

Cher Prédateur,

J'ai bien pris soin des insectes que tu m'as envoyés, sois assuré qu'ils seront traités avec bienveillance dans mon humble demeure. Tu es le bienvenu, car je suis certain qu'ils seraient heureux de te revoir, toi et ton joli sourire. Là est d'ailleurs le propos principal de cette missive.

Parmi mes sujets, un rebelle mérite une correction. A l'heure actuelle, sa faute n'est pas commise, mais je sais qu'elle arrive. J'ai appris à le connaître, il est l'un de mes plus fidèles compagnons ! J'ai pensé m'en charger moi-même, néanmoins ton nom a résonné dans un couloir et j'ai trouvé une idée bien plus amusante.

Que dirais-tu de venir m'épauler ? Je serai ravi de faire ta connaissance, car nous avons nombres de points communs. Quoi de mieux que les poings pour discuter calmement ?

Si dans un soupçon de folie, ta volonté te pousse à décliner, répond à la lettre. Sinon, je t'attends entre mes murs chaleureux.

Le Tiran.

La proposition tombait à point nommé. Nicolas s'était vu mené un week-end d'errance dans les rues de la ville, cherchant désespérément de quoi s'occuper. Voilà qu'on lui donnait une bien meilleure perspective ! Il ne put s'empêcher de trépigner. Il n'avait jamais envisagé diriger un Morcème, parce qu'il aimait bien trop la chasse pour cela, mais quelques visites lui étaient plaisantes. A l'extérieur, sa rage devait être maitrisée. Pas dans ces endroits.

Il voulut se mettre en route sur le champ, cependant il se souvint que la faute n'était pas commise. Rapidement, il consulta via sa montre les prochains combats prévus. Chaque Morcème avait son fonctionnement, mais celui de Farou lui sembla peu complexe. Plus le numéro était petit, plus le combattant était fort. Il était aisé de le deviner à travers les sommes misées.

Nicolas se stoppa soudainement face à son écran miniature. Un faible numéro avec peu de gains ; il avait trouvé l'insecte.

Il avait hâte d'être dimanche.

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