Chapitre 1 : Un premier pas dangereux

Hart Jade n'était pas bien différente. Ses cheveux bruns jusqu'à la taille, sa petite taille d'un mètre soixante et son corps mince lui permettaient de se fondre dans la masse. Son regard bleu était sa touche d'originalité. Elle préférait néanmoins le garder rivé sur le sol, pour ne pas se faire remarquer. Pour ne pas se faire reconnaitre. Elle détestait ces moments où l'attention se portait sur elle, où ces regards la scrutaient.

Non, elle n'était pas timide.

Jade avait peur. Dans ses veines, coulait un sang qui n'était pas tout à fait le même que les autres. Là, dans ce bâtiment, elle était vulnérable. Personne ne lui pardonnerait sa différence.

Jamais.

C'était ainsi que son monde était fait : il y avait les Hommes, il y avait les Mavois. Les uns étaient normaux, les autres anormaux. Les premiers étaient communs, sans particularités. Les seconds étaient extraordinaires, spéciaux. La foudre, le feu, les métaux, d'innombrables matières et objets pouvaient répondre à leur appel. Ils étaient capables de grandes choses.

Des choses effrayantes.

Ah, les Mavois, ces êtres aux pouvoirs surnaturels, n'étaient pas appréciés. Ils étaient traqués, puis on en faisait à peu près tout ce que l'on désirait. Ils n'avaient aucun droit, aucune existence réelle. De simples numéros, voilà ce qu'ils devenaient.

Alors Jade, elle préférait s'effacer parmi les Hommes. Elle se convainquait chaque matin qu'elle était ordinaire et que la journée allait tout autant l'être. Ce jeudi 24 avril de l'an 2343, la brune y croyait encore. Même s'il y avait eu cette photo, dans cette chambre, rien ne changeait réellement. Elle savait ce qui était essentiel, indispensable à sa survie.

Et puis le drame arriva. Sans crier gare, sans frapper à sa porte, il apparut devant elle. Elle tenta de l'ignorer, évidemment.

Il y avait eu cette photo.

Alors, elle n'y parvint pas. Ses pupilles ne purent se détacher de cet attroupement, près du bâtiment à gauche. Parmi le cercle créé, il y avait un jeune homme. Dans cette journée ordinaire, il ne détonnait pas. Des cheveux noirs, des yeux verts, un sac à dos gris, un pantalon et un chemisier noirs. Peut-être était-il un peu différent au sens où il cherchait la discrétion, lui aussi.

Jade focalisait son attention sur ce spectacle et sur cet Homme acculé contre le mur du bâtiment M. Son cœur battait un peu plus fort qu'habituellement. Les armes que pointaient les hommes en uniforme en étaient la cause : quel Mavois pouvait rester de marbre face aux Pitas ? Ah, les progues les aimaient tant ! Légères, efficaces, jamais elles ne trahissaient les justiciers du peuple. Ces derniers menaient toujours leur mission avec le plus grand soin, la plus grande rigueur, et parfois la plus grande bêtise. Souvent, même. Jade se demandait si, parfois, le soir ils s'interrogeaient sur le sens de leurs actes. En quoi traquer des innocents était-il rendre la justice ? Cette question la taraudait d'autant plus face à cette situation. Ce jeune homme, ce Mavois, était en train d'être condamné. Pour quelle raison ? Parce que des pouvoirs coulaient dans ses veines ? C'était ridicule.

Jade serra les dents, se persuada que la journée était banale, tout comme elle. Hélas, rien n'était plus ordinaire. Un des siens était acculé, prêt à être capturé comme du bétail, prêt à être abattu au moindre signe de rébellion.

Et il y avait eu cette photo, ce matin-là.

La jeune femme de vingt ans s'avança. Détourner les yeux lui semblait impossible ; malgré la froideur des progues, malgré leur regard dur, malgré la détermination qui semblait les animer. Les justiciers du peuple ne tressaillaient pas face à la détresse de leur cible, leur proie. Ils restaient de marbre, concentrés sur cette dangereuse créature. Ils ne percevaient pas la foule de curieux qui s'amassait autour d'eux. Ces derniers n'étaient pas même des ombres à leurs yeux. Tout ce qui importait était cet être qui ne méritait pas la vie.

La brune fit encore un pas en avant. Elle n'avait pas d'idée sur ses futurs actes, elle était trop concentrée sur son instinct, à l'étouffer pour qu'il retourne se terrer dans son cœur. Là, dans cet établissement, la Mavoise ne pouvait pas l'aider. Ne devait pas l'aider. Elle n'était qu'une humaine, une pauvre humaine. Que pouvait-elle bien accomplir ? Pourtant, le souffle du désespoir ne se ternissait pas. Ce jour-là, il était décidé à se rebeller. Quels péchés avaient donc commis les Mavois pour subir pareil traitement ?

Pour retourner sur le droit chemin, elle jeta un œil à ses camarades tout autour d'elle. Ils chuchotaient entre eux, désignaient la chose, y allaient de leurs commentaires. Leur mépris la frappa de plein fouet, comme une gifle qu'on n'a pas vu venir. Elle serra les poings, s'exulta au calme, à la maîtrise. De telles situations, la brune en avait déjà vu. Tellement même !

Il y avait eu cette photo.

Ça ne changeait rien. Ça ne devait rien changer. Et pourtant, tout était différent. Les mots lui étaient revenus, comme une tempête qui détruit tout. « Je les protégerai. » Une fois, elle était parvenue à les étouffer, les enfouir dans son cœur. A présent... c'était trop difficile. Trop compliqué. Trop douloureux. Elle se sentait affreusement mal d'avoir oublié. D'avoir voulu piétiner sa promesse.

Jade desserra les poings et se faufila dans le cercle. Bien sûr, elle entendait ses propres battements de cœur. Elle n'avait jamais dépassé cette règle imposée à elle-même. Il était normal de ne pas être à l'aise. Peut-être paraitrait-elle plus crédible ?

L'acculé darda ses prunelles sur elle. Dans sa détresse, il la prit pour une ennemie. Ce qu'elle était.

—Arrête-toi ! hurla-t-il.

Sa voix vrilla malgré lui. Son bras en tremblait.

Il y avait eu cette photo.

Jade revit les sourires et tous ces instants de bonheur. Les Mavois n'étaient pas dangereux comme le proclamait le gouvernement. Les Mavois étaient humains, eux aussi. Un peu spéciaux, mais humains tout de même. Ils respiraient, aimaient, pleuraient, criaient, souriaient, riaient. Ils n'étaient pas si différents.

—Je n'ai pas à obéir, répliqua-t-elle fermement.

Coûte que coûte, elle lui viendrait en aide. Ce Mavois ne mourrait pas ce matin-là, devant elle, avec ce regard empli de peur. C'était au-dessus de ses forces.

Dans son esprit, elle le comprit. Peut-être qu'elle aussi, lorsque les progues l'encercleraient, elle craquerait ainsi. Elle souhaiterait pleurer et hurler que tout est injuste. Oui, peut-être. En attendant, elle n'était pas acculée et chaque cellule de son corps souhaitait lui éviter la mort. Les Morcèmes lui vinrent à l'esprit. S'il survivait, son destin était celui-là ; des endroits sombres où les Mavois n'étaient plus que des animaux. La loi du plus fort y régnait : puissance équivalait à traitement de faveur. Moins de privation, moins de coups. Davantage de combats à mort. Peut-être était-on moins chanceux, finalement. Car si les conditions de détention étaient plus douces, les combats, eux, étaient plus sanglants.

—Je mets fin à mes jours sinon ! menaça-t-il.

Un morceau de métal apparut dans sa main, se posa fébrilement sur son cou. Il était déterminé, Jade n'en doutait pas. Elle devait pourtant essayer. Elle fit donc un pas en avant.

La lame glissa sur sa gorge et du sang coula.

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