6. Dans le château

— Veux-tu que nous visitions le collège, ou préfères-tu le découvrir par toi-même ?

Cette question me fit réfléchir. Je ne réfléchissais pas à la réponse que je donnerais, non, mais plutôt à la raison qui l'avait fait poser cette question. Parce que, jusqu'ici, elle m'avait bien cerné. Je veux dire, elle aurait dû savoir que je voulais le découvrir par moi-même ! Ou bien elle avait fait exprès pour que je me demande ce qui l'avait poussé à poser à question. Et elle savait aussi que j'allais me poser cette question, ce qui voulait dire qu'elle avait déjà prévu ma prochaine question, ce qui signifiait que... Bref, je m'embrouillais moi-même.

L'expression de mon visage devait être assez éloquente pour qu'elle se passe de réponse. Elle enchaîna donc, un demi-sourire sur les lèvres :

— Question oratoire.

Euh...Quoi ? Je souris, faisant mine d'avoir compris. Un faible rire forcé s'étrangla dans ma gorge. Elle dût le remarquer, puisqu'elle précisa :

— C'est une question rhétorique.

Je n'avais toujours rien compris, mais j'approuvai vivement de la tête. Ne jamais avouer ne pas savoir, telle était ma devise. Même dans les contrôles.

Cependant, mademoiselle Aubépine lut encore dans mes pensées :

— Ils ne vous apprennent pas ça, à l'école ?

Je laissai mon air effaré répondre à ma place.

Et, je peux me tromper, mais il me semblait avoir entendu, juste après, qu'elle marmonnait quelque chose dans sa barbe – enfin, façon de parler,parce qu'elle n'avait pas de barbe.

Croyez-moi ou non, mais ça ressemblait étrangement à :

— L'école a bien changé, depuis mille-huit-cent...

Nous avions traversé, au cours de la discussion, la cour bondée d'enfants – dont certains m'avaient aimablement salué, comme si je les connaissais. Il va sans dire que ce n'était pas le cas. Cependant, répondant à la plus élémentaire des politesses et pensant ainsi rendre fière ma mère, je leur avais répondu.

Nous passâmes la porte d'entrée, une lourde porte en bois massif et sûrement vieux de centaines d'années, et là... Là... Eh bien,pour faire simple, les mots me manquèrent.

J'étais dans l'incapacité totale de concevoir ce que je voyais. Il faut dire que jamais, jamais, je n'avais seulement imaginé qu'il fût possible qu'hypothétiquement il fut probable qu'un tel lieu puisse avoir été imaginé. Et alors, construit... On était à la limite qui séparait l'impossible du jamais.

Devant nous s'ouvrait un double escalier en pierre recouvert d'un tapis rouge épais et moelleux. Lorsque nous le suivions du regard, il nous conduisait à une coursive à l'étage au-dessus, et grimpait encore et encore, et encore, et encore jusqu'à ce qu'il touche la verrière en forme de dôme, à des dizaines de mètres au-dessus de nous. Je n'exagère pas.

Du centre de cette verrière pendait, accroché par des chaînes dorées et aussi épaisses que mon bras, un lustre scintillant. Il était loin au dessus de nous, mais la hauteur de plafond était telle qu'il semblait être au ras du sol.

Tout autour de nous, le sol était carrelé et recouvert de part et d'autre de tapis multicolores. Il y avait un nombre incalculable de portraits accrochés aux murs, et lorsque je demandai à la directrice ceux qu'ils représentaient, elle me répondit que c'étaient tous ceux qui avaient eu un rôle dans la fondation du collège, depuis ses débuts vers les années 1740. Ce qui expliquait la grandeur de celui-ci.

D'innombrables salles et couloirs s'ouvraient sur le hall, dans un fouillis tel que je me demandai si je parviendrai un jour à m'y faire.

Nous montâmes directement aux dortoirs, situés dans une aile du château. D'après ce que je pouvais voir – mon sens de l'orientation étant ce qu'il est, c'est-à-dire pas très affûté – c'était l'aile droite. Gardant en tête l'idée que je n'étais sûr de rien, je me promis de mener mon enquête pour le vérifier.

Dès l'instant où elle poussa la porte, je pus voir que ces dortoirs n'avaient rien en commun avec des dortoirs normaux. Quoique, je n'en avais vu. Alors, on va dire qu'ils n'avaient rien en commun avec ce que j'avais imaginé. A bien y réfléchir,il était ironique que je me fasse encore la réflexion : rien dans ce collège ne correspondait à ce que j'avais imaginé.

Dans ce dortoir, il y avait des cases. Oui, des cases. Pour être un peu plus précis, on pourrait dire que c'étaient des rectangles. Mais je parie que vous n'êtes pas plus avancés.

Chaque lit était séparé des autres par un rideau de tissu qui l'entourait sur trois des côtés – le quatrième étant le mur. Ceux-ci montaient jusqu'au plafond et coulissaient grâce à des rails invisibles. Ils étaient de toutes les couleurs : il y en avait des bleus, des rouges, des verts... Certains étaient fermés,d'autres ouverts laissaient voir des affaires. Quelques lits étaient faits, d'autres défaits, rien dans une « chambre » ne ressemblait à l'autre. En résumé, c'était n'importe quoi.

Mais pas le n'importe quoi habituel, non – si vous ne l'aviez pas encore compris, rien n'était habituel par ici. Ca n'avait rien à voir avec le n'importe quoi de votre chambre, par exemple. Ne vous énervez pas, je plaisante. Même si nous savons bien que la même était le même état... Hum.

Le désordre ici était... rangé. Un désordre rangé. Et dans ce n'importe quoi où tout paraissait à sa place, après un simple « à bientôt, Tim », je fus abandonné.

Il ne me restait que mes yeux pour pleurer, et je m'effondrai au sol, abattu, et... Non, ça va, je plaisante, ne vous tracassez pas pour moi.

Comment ça, « ce n'était pas le cas » ?

Je vous promets qu'un de ces jours, il faudra que l'on ait une petite discussion, vous et moi... Mais pas pour le moment.

Je ne restai pas seul bien longtemps. Sitôt Mademoiselle Aubépine sortie, j'entendis des éclats de voix. Je m'orientai aussitôt dans leur direction, comme un chat est attiré par le bruit des croquettes.

Oui, bon, la comparaison est peut-être mal choisie.

Dans l'une de ces petites « chambres », assis en tailleur sur le lit, trois enfants semblaient pris dans une conversation animée.

Il y avait un garçon et deux filles. L'une d'elles me remarqua et cessa instantanément de parler. Les autres continuèrent sans se rendre compte qu'elle me fixait. Finalement, je m'éclaircis la gorge pour annoncer ma présence. Les deux sursautèrent d'un même ensemble, se retournant vers moi comme si je les avais pris en flagrant délit de je-ne-sais-quoi.

— Euh...salut, bégayais-je, gêné de me sentir au centre d'autant d'attention.



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