3. Quand la directrice arriva

Je m'extirpai de mes pensées quand ma mère s'agenouilla devant moi. Elle arrangea ma chemise – blanche et repassée pour l'occasion – tout en me donnant des recommandations :

— Écoute-moi, mon chéri. Quand la directrice arrivera, il faudra que tu fasses bonne impression, d'accord ? Tu lui dis bonjour et tu te tiens bien droit, comme ça. Si jamais elle nous parle, tu restes avec nous et tu ne commence pas à remuer dans tous les sens, c'est bien compris ?

Elle ne me laissa même pas le temps de répondre et enchaîna avec un débit à la limite du compréhensible :

— Et après, quand vous serez partis, tu n'engages pas la conversation, mais tu lui réponds poliment si elle te pose des questions. Après, si elle te demande si tu as des questions, tu n'hésite pas à lui en poser. D'accord ? Allez, vas-y, quelle question tu peux poser, par exemple ?

« Est-ce que je peux retourner à ma vraie école ? » fut la seule question qui me vint en tête, mais je savais que ça allait faire de la peine à Maman. Et j'avais tout, sauf besoin qu'elle se mette à pleurer sur ma chemise toute neuve.

— Euh... Est-ce que je pourrais appeler mes parents le soir ?

— Oui, bonne idée ! me félicita ma mère.

— Ensuite, qu'est-ce que tu peux demander ?

Si mon père s'y mettait aussi... Ils allaient finir par me faire honte. Mais il fallait que je joue le jeu pour ne pas leur faire de peine.

— Eh bien... Où est-ce que je vais dormir et est-ce que les dortoirs sont collectifs ? hésitai-je.

La vérité était que je n'avais pas d'idée. Pour moi, ce soir-là, mes parents viendraient me chercher et me ramener à la maison, et le lendemain je retournerais dans ma bonne vieille école, ma bonne vieille école aux six platanes ordonnés et aux rideaux bordeaux.

N'allez pas croire que je fais du sentimentalisme.

Mes parents n'eurent pas le temps de commenter ma proposition que nous vîmes une silhouette apparaître, encore trop loin pour être distinguable.

— Ça y est, elle est là, me chuchota Maman, encore plus stressée que moi.

Elle se redressa après avoir une énième fois lissé ma chemise. Je la rentrais discrètement dans mon pantalon : elle avait vraiment fini par lui faire prendre un mauvais pli.

Mon père m'ébouriffa les cheveux. Comme si j'avais besoin de ça en plus.

— Tout va bien se passer, me rassura-t-il.

Enfin, tenta-t-il de me rassurer. En vérité, il voulait plus se rassurer lui-même, et je crois qu'il ne s'en rendait même pas compte.

J'aurais peut-être dû le consoler. Peut-être. Mais la directrice arriva, et j'eus d'autres choses à penser.

Comme par exemple le fait que le portail venait de s'ouvrir devant elle comme par magie. Elle n'avait même pas eu à ralentir l'allure.

Lorsqu'elle fut plus près, je pus enfin distinguer ses traits. Elle n'était pas vieille, contrairement à ce que je pensais.

Elle n'était pas jeune non plus, contrairement à ce que je n'avais pas pensé.

En fait son visage n'avait pas d'âge.

Ne me dites pas que ce n'est possible, je sais quand même ce que j'ai vu ! Et je peux vous le redire : son visage n'avait pas d'âge.

Elle n'avait pas de rides, ni au coin des yeux ni sur le front, mais quelque chose d'indéfinissable émanait d'elle, qui la rendait bien plus vieille que ce que son apparence  laissait présager. Je ne sais pas si mes parents étaient parvenus à la même conclusion – il y a beaucoup de choses qui échappent aux adultes, vous savez –, en tout cas ils avaient l'air soulagés de voir que ce n'était pas une vieille dame guindée. Que ce n'était pas ma grand-mère, quoi.

Même sa tenue était détendue. Un peu passée de mode, oui, mais détendue. Quand je dis passée de mode, c'est du siècle dernier. Mais ça lui allait bien. Je veux dire, ça ne faisait pas vieille tapisserie, comme c'était le cas sur ma grand-mère.

Je l'aime, ma grand-mère.

Elle – la directrice, pas ma grand-mère – nous salua d'un grand sourire.

— Bonjour, Tim !

Correction : me salua. C'est drôle, de me faire passer avant mes parents !

Je commençais à bien l'aimer, cette directrice.

— Vous êtes les parents de Tim ? demanda-t-elle finalement.

Elle avait donc fini par s'apercevoir qu'ils étaient là. Papa et Maman étaient aussi surpris que moi d'être passés en second.

— Oui, c'est bien cela, répondit ma mère pour eux deux.

— Eh bien... Voulez-vous venir avec Tim et moi pour visiter le collège ?

Tim et moi ? C'était comme si je faisais déjà partie du collège !

Minute, madame. Dès que la journée est finie, moi, je rentre chez moi.

Eh bien, commença mon père, nous ne voulons pas vous dér...

— Mais, oui, oui, bien sûr, ce serait avec grand plaisir ! le coupa Maman avec empressement. Nous vous suivons, Tim et vous !

Visiblement, le « Tim et moi » n'avait pas été très apprécié... Heureusement que la directrice n'avait pas remarqué l'ironie ! D'ailleurs, il faudrait que j'arrête de l'appeler « la directrice ». Les répétitions, comme le disait toujours la maîtresse, c'est très mauvais, dans un texte – et dans les pensées, c'est encore pire. Mais comment s'appelait-elle ?

J'eus beau me creuser la tête, je ne me souvenais d'aucune fois où mes parents l'avaient appelée par son nom. Comme si, comme le collège, elle n'avait pas de nom.

— Si tu as des questions, n'hésite pas à me les poser, m'informa la directrice – il faut vraiment que je trouve un autre mot – comme si elle avait lu dans mes pensées.

— Euh, je... Vous vous appelez comment ?

Elle sourit et lança théâtralement :

— Je m'appelle... mademoiselle Aubépine !

Quel drôle de nom. Mais je n'allais pas le lui faire remarquer. Je hochai poliment la tête. Au moins, j'avais mon mot pour penser correctement !

Nous suivîmes donc mademoiselle Aubépine – ou devrais-je dire, mes parents suivirent mademoiselle Aubépine et moi-même – et franchîmes le portail. Celui-ci se referma dans notre dos, comme par magie.

Le claquement qu'il fit me laissa une drôle d'impression : j'avais le pressentiment qu'il se passerait longtemps avant que je ne l'entende à nouveau.

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