2. Comment tout a commencé

Le temps que la propriétaire de la voix arrive, j'eus tout le loisir de me rappeler la cause de ma présence devant ce portail en fer forgé, qui – l'avais-je déjà dit ? – était inutile.

Il y a deux semaines, le vendredi six mai, j'étais rentré chez moi tout guilleret, mon cartable sur le dos. Il était précisément seize heures quarante et une minutes lorsque j'avais franchi la porte. Je m'en souvenais parce que j'avais une minute d'avance par rapport au reste de la semaine : le vendredi soir, je faisais le trajet plus vite, pour arriver rapidement à la maison, et donc au week-end.

La porte franchie, j'avais tout de suite senti que quelque chose n'allait pas : Maman était là, et Papa n'était pas dans la cuisine. Ils étaient tous deux assis dans le canapé du salon, l'air fermé et préoccupé. Devant eux, sur la table basse, le téléphone était posé.

Au regard empli de larmes et de rancune que Maman lui lançait, j'avais tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Pour détendre l'atmosphère, j'avais tenté de lancer :

— Bonjour le week-end !

Mes parents n'avaient même pas daigné se tourner vers moi, ce qui était un affront particulièrement blessant. Mais vu la tête de Maman, je n'allais pas répliquer.

— Viens t'asseoir, m'avait demandé Papa, et je n'avais pas eu le cœur de lui désobéir.

Je m'étais donc assis par terre en face d'eux, puisqu'ils occupaient toute la place sur le canapé.

Papa avait regardé Maman, comme pour lui enjoindre de parler, mais elle ne lui avait pas retourné son regard. Il avait soupiré, et s'était lancé :

— Mon cher Tim. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais ta grand-mère Ophélie est décédée il n'y a pas longtemps.

J'avais levé intérieurement les yeux aux ciel : j'avais beau être tête en l'air, je n'allais pas oublier le décès d'un des membres de ma famille ! Quoique... en jetant un regard à la tête défaite de ma mère, j'aurais presque pu croire qu'elle venait de mourir. Mais mourir deux fois, ce n'est pas possible. Et puis, j'avais déjà hérité de la valise.

— Or, avait continué mon père, parmi ses dernières volontés, elle a demandé à ce que, si tu ne t'en sortais pas à l'école – ou, selon ses mots, si l'école ne te convenait plus –, nous t'envoyions dans une école privée spécifique, dont elle nous a transmis les coordonnées.

Il avait marqué une pause.

— Et alors ? avais-je répliqué. Je ne suis pas dans cette situation.

Tout en disant cela, j'avais pensé au zéro en français que la maîtresse venait de me donner. Mais mes parents ne pouvaient pas être au courant !

— Justement, avait repris mon père, la directrice de l'école nous a téléphoné...

Ce fut comme si un immense vide se creusait dans ma poitrine. Tout à coup, j'avais mieux compris l'état de ma mère. Ma directrice avait dû leur parler de mon zéro en français. Peut-être leur avait-elle aussi parlé de celui de maths. Et de celui d'histoire. J'espérais seulement qu'elle n'avait pas mentionné celui du comportement...

— ...Elle nous a dit que tes notes diminuaient encore et que tu perturbais ta classe. Quand nous lui avons parlé de la proposition de ta grand-mère, elle a dit que ça te serait sans doute bénéfique.

...que tes notes diminuaient...

...tu perturbais la classe...

...proposition de ta grand-mère...

...sans doute bénéfique...

— Alors ? s'était enquit Papa devant mon silence.

Le fait était que même mes pensées s'étaient arrêtées.

Comment voulait-il que je dise quoi que ce soit ? Il était simplement en train de m'annoncer que je devais quitter mes amis, ma classe, mon école, mon amoureuse, et il voulait que je dise quelque chose ? Alors même que mon monde semblait sombrer ?

J'avais demandé du bout des lèvres :

— Et Maman ?

Celle-ci n'avait pas bougé, les lèvres toujours pincées et les yeux humides. Elle avait enfin pris la parole, d'une voix étranglée et chargée d'émotion que je ne lui connaissais pas :

— Ma mère a trouvé le moyen de continuer à me donner des conseils saugrenus depuis son tombeau.

Je ne l'avais jamais vue parler ainsi de Grand-Mère.

— Mais malheureusement, je pense qu'elle a raison.

Si même ma mère était d'accord avec une telle injustice, je n'avais plus aucune chance de répliquer. J'avais tout de même tenté :

— Mais alors je vais quitter mon école comme ça, maintenant, en plein milieu d'année, sans avoir dit au revoir à mes amis ?

— Non, bien sûr, avait tempéré mon père. Demain nous téléphonerons à l'établissement recommandé par ta grand-mère, et nous verrons quand tu y iras.

— Tu sais, avait tenté de me réconforter Maman, si ça se trouve ils ne t'accepteront pas en fin d'année, et tu auras jusqu'à la rentrée prochaine pour y aller ! Ce sera ton passage au collège !

Sa voix enjouée sonnait faux, mais j'avais bien senti qu'elle voulait s'en convaincre autant que moi.

Mais bien entendu, la directrice de ce mystérieux collège n'avait pas pris cela en compte : en l'espace d'une semaine, j'avais fait mes adieux à mes camarades de classe, récupéré mes dossiers scolaires et fait ma valise – parce que, bien sûr, l'école où j'allais aller ne pouvait pas être une école normale, il fallait que ce soit un pensionnat situé à des dizaines des kilomètres de chez moi.

Et c'est ainsi que me retrouvais ici, devant cette grille en fer forgé, avec la valise de ma grand-mère, après deux heures de trajet en voiture.

C'était la première fois que j'allais quitter mes parents aussi longtemps.

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