Chapitre 4 - La céramique pré-étatique
Lorsque le soleil éclaira la pièce dans laquelle il s'était endormi hier soir, Énée se retourna sur le dos. Les jumelles dormaient sur le sol, allongées sur des coussins moelleux, recroquevillées l'une contre l'autre. Le jeune homme accommoda avec difficulté, avant de tendre la main vers la cruche posée devant lui. Il se redressa et la prit pour boire de l'eau fraîche. La douleur pulsait toujours dans son crâne, ses yeux lui faisaient mal, mais la nuit lui avait fait du bien. En arrivant à la villa, il ne tenait quasiment plus sur ses jambes et il s'était écroulé sur la couchette préparée par une domestique. Entourées de traversins et de coussins moelleux, le matelas était si confortable qu'il s'était aussitôt endormi. Énée ignorait quand les jumelles l'avaient rejoint, mais il espérait qu'elles avaient été nourries.
Il passa de l'eau sur son visage et se leva pour vérifier qu'elles dormaient bien. Alcmène avait passé son bras par-dessus Euripide, et il entendait le bruit de sa respiration. Énée les observa quelques secondes, un sourire sur les lèvres. Quand sa mère était tombée enceinte, trois ans après leur arrivée à Isthma, il avait piqué une crise de nerf, jaloux à l'idée qu'elle le remplace par un nouveau bébé. Quand les deux petites filles étaient nées, il s'était enfui dans la plaine et caché derrière un olivier pendant plusieurs heures, jusqu'à ce que son père le retrouve en train de pleurer.
— Y a deux bébés ! avait-il pleuré. Maman va m'aimer deux fois moins.
— Ta mère t'aimera toujours Énée, un cœur est assez grand pour accueillir plusieurs enfants.
— C'est moi son préféré.
Frustré, il avait cassé plusieurs branches autour de lui, avant de se remettre à pleurer. Son père l'avait pris dans ses bras, consolé et rassuré. En sanglotant, Énée l'avait écouté, avant de consentir à revenir au village. Sa mère était allongée sur sa couchette, dans la pièce à vivre, les deux bébés collés contre ses seins. Énée avait gardé la tête baissée, jusqu'à ce qu'elle l'appelle à le rejoindre. Malgré sa jalousie, il s'était assis à côté de sa mère et avait consenti à tendre sa main vers l'un des bébés. L'une des nourrissons avait alors saisi son index pour le porter à ses lèvres.
— Elle veut me manger ! s'était-il écrié.
— Mais non, avait ri sa mère. Elle dit seulement bonjour à son grand-frère.
Le bébé avait sucé son doigt d'un air goulu, avant de bayer. Énée en avait été attendri et son père l'avait installé de sorte qu'il puisse tenir Euripide contre lui. La petite s'était aussitôt endormie. À partir de cet instant, la jalousie d'Énée envers les deux petites filles s'était tue. Au lieu de leur en vouloir d'exister, il avait commencé à les aimer et vouloir les protéger. Et quand ses parents avaient disparu, il s'était juré de toujours être là pour elles. Il les observa dormir encore un moment, s'assurant qu'elles allaient bien, avant de se relever pour enfiler une chemise, un pantalon, ses gants et de quitter la pièce.
Cette dernière était séparée du vestibule par un rideau, il le repoussa et s'enfonça dans les couloirs de la villa. Tout était labyrinthique et il lui fallut rebrousser chemin à plusieurs reprises avant de tomber sur une grande pièce à vivre. Une femme se tenait à moitié allongée sur une klinê, un livre entre les mains. Ses longs cheveux bruns et bouclés – sur lesquels reposait un cercle doré - tombaient sur ses épaules et elle portait une longue robe fermée à la taille et dévoilant une poitrine proéminente. La jeune femme releva la tête en le voyant arriver et referma son livre d'un geste preste.
— Oh ! C'est toi, lança-t-elle. Cela fait bien longtemps, métoïkos.
Agnès, la sœur de Sylvan, se redressa et laissa tomber ses longues jambes sur le sol. Un tapis habillait la pièce, ainsi qu'une table au centre, destinée aux repas. Énée grinça des dents – une vieille habitude -, augmentant son mal de tête. Il avait oublié à quel point il la détestait.
— Mon frère m'a dit qu'il t'avait embauché, lança-t-elle, un air de dégoût sur le visage. Je lui avais pourtant dit de choisir un citoyen diplômé et qualifié.
— Je suis qualifié, protesta Énée. C'est la faute du conservateur si l'on ne m'a pas accordé le titre.
— Le conservateur ne fait qu'appliquer la loi. Ne te crois pas supérieur à ta condition.
— Peux-tu me dire où est Sylvan ? demanda Énée, préférant couper court à la dispute qui s'annonçait.
— Dans l'atrium, il ne le quitte presque jamais, l'esclave est avec lui.
Énée faillit la corriger en lui donnant le nom de Pénélope, mais il se rappela juste à temps qu'ici, Agnès lui était supérieure. Elle était citoyenne et la maîtresse de la villa. Même si Sylvan l'avait toujours autorisé à lui parler avec familiarité, cela n'avait jamais été le cas de sa sœur. Déjà à l'époque, quand il la croisait, elle lui accordait à peine un regard. Aujourd'hui, c'était presque la plus longue conversation qu'ils n'aient jamais eue avec elle.
— Je ne sais pas pourquoi mon frère s'encombre de gens comme vous, poursuivit Agnès.
— Vous parlez de mon statut social ou de mon don ? voulut-il savoir.
L'écœurement s'accentua sur les traits de la jeune femme. Agnès n'avait jamais caché son mépris pour les étrangers que ses parents prenaient en étude par charité, et encore plus celui qu'elle ressentait face aux Eklektos. Cela arrivait fréquemment à Énée. Même si les dons étaient tolérés à Isthma, beaucoup en avaient peur ou les méprisaient.
— Je vais aller retrouver votre frère, annonça Énée en opérant un demi-tour. Bonne journée.
Mieux valait ne pas laisser la conversation s'éterniser. Agnès lui jeta un regard noir alors qu'il s'éclipsait et disparaissait dans le couloir. Énée mit moins de temps à retrouver l'atrium qu'il n'en avait pris au préalable, son sens de l'orientation s'aiguisait. Quand il repéra l'atrium, c'est presque avec soulagement qu'il poussa le rideau. Sylvan et Pénélope se tenaient agenouillés devant la carte exposée devant eux, le morceau de vase brisé posé dessus. Le citoyen releva la tête et un sourire para ses lèvres.
— Tu es réveillé ! s'exclama-t-il. Tu vas mieux ?
Tout en triturant ses mains gantées, Énée opina.
— J'ai toujours mal à la tête, indiqua-t-il, mais ça ira.
— Je vais vous préparer une tisane de menthe poivrée, déclara Pénélope en faisant mine de se lever.
— Non ! Reste ici ! ordonna Sylvan. Nikolaos va s'en charger.
Sylvan appela un homme – ou plutôt un esclave - qui se trouvait dans le couloir et qui partit aussitôt chercher la boisson chaude. Énée faillit lui demander combien d'esclaves et domestiques comptait la villa, mais il préféra s'en abstenir et s'agenouilla sur le sol. Sans s'encombrer de manière, Sylvan poussa le morceau de céramique vers lui. Énée recula.
— Sans façon, lui dit-il.
— Je ne m'attendais pas ce que tu le lises. Je veux juste que tu l'observes. Peux-tu le dater ?
Énée se pencha vers l'objet avec réticence. Avec précaution, il s'en saisit et le retourna pour l'observer. La céramique paraissait dater de plusieurs siècles, peut-être venait-elle des temps pré-étatiques, avant la constitution des cités, lorsque les dieux vivaient autour de la Mer Eola. Il lui était difficile de donner une date précise sans lire l'objet.
— Il n'est pas récent, déclara Énée. Je pense qu'il remonte aux temps anciens, mais je ne peux le dater avec précision. Il faudrait que je le touche pour cela. Ou que je le compare avec d'autres céramiques. Je crois que le musée en possède des similaires.
Durant ses études, il avait passé beaucoup de temps à étudier des objets de toutes les époques. Il était presque sûr que celui-ci datait de l'époque des dieux, mais il ne pourrait le confirmer qu'en effectuant des comparaisons précises.
— Très bien, tu n'as qu'à aller au musée alors, déclara Sylvan, si tu penses que ça peut aider.
— Cet après-midi ? proposa Énée.
Maintenant qu'ils s'étaient embarqués dans l'aventure, autant poursuivre jusqu'au bout.
— Je ne pourrais pas t'accompagner, répondit Sylvan à sa grande surprise. J'ai un rendez-vous en ville. Mais je compte sur toi pour me faire un compte rendu.
— Tu veux que j'y aille seul ?
— Tu es un grand garçon Énée, tu vas t'en sortir. Emmène Pénélope avec toi sinon.
Énée grinça des dents. S'il adorait le musée, il n'y avait plus remis les pieds depuis que le conservateur l'avait empêché d'obtenir son titre et que sa candidature avait été refusée.
— C'est d'accord, accepta-t-il.
Sylvan lui sourit, ravi d'être parvenu à arracher un accord avec Énée, la fatigue empêchant ce dernier de le contrer. Pendant qu'il dormait, Sylvan n'avait pas lésiné sur ses recherches. La carte étalée devant lui comportait plusieurs croix, apposées au crayon. Cela fit sourire l'historien. N'était-ce pas Sylvan qui expliquait la veille qu'une croix ne pouvait pas indiquer aussi facilement l'emplacement d'un trésor ?
L'esclave prénommé Nikolaos choisit ce moment pour revenir, les bras chargés d'un plateau qu'il déposa sur le côté. Sylvan le remercia et Énée prit sa tasse fumante, elle fleurait bon la menthe. Pénélope, la main posée sur la carte, les yeux dans le vide, ne perçut pas le regard que l'esclave porta sur elle. Un regard chargé de convoitise et de jalousie. Nikolaos ne devait pas apprécier les privilèges dont Pénélope bénéficiait, ce qui se comprenait aisément.
— Pourquoi conserves-tu des esclaves ? ne put s'empêcher de demander Énée, tandis que Sylvan trempait ses lèvres dans son verre de vin.
Le galeriste haussa les épaules tout en récupérant des biscuits au miel et au gingembre.
— Par habitude, nous avons toujours eu des esclaves, répondit-il en croquant dans un biscuit.
— Les habitudes se changent, non ? maugréa Énée.
À nouveau, Sylvan haussa les épaules, avant d'avaler son biscuit et de boire une autre gorgée de vin. Énée, le regard rivé sur lui, trempa ses lèvres dans sa tisane pendant que Pénélope rouvrait les yeux. Elle aussi fixait Sylvan, dans l'attente de sa réponse.
— L'esclavage est une institution, reprit Sylvan. Et c'est moins cher que des domestiques.
— Ce n'est pas très humaniste.
Énée savait qu'il parlait dans le vide en disant cela, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Même si les esclaves existaient dans toutes les cités, depuis petit, il méprisait ce système qui assujettissait les hommes et les femmes. Le jeune homme se souvenait encore des conversations enflammées menées avec Sylvan sur la plage. À l'époque, Sylvan voulait être magistrat et changer les lois. Ses idées étaient avant-gardistes. Il souhaitait offrir un véritable statut aux métoïkos et abolir l'esclavage. Quand avait-il changé d'avis ?
— Où sont passées tes rêves et tes promesses ? murmura Énée.
— Ils se sont enfuis avec mes responsabilités, soupira Sylvan, un sourire triste sur les lèvres.
Ses yeux violets rencontrèrent les siens. Lui aussi semblait se souvenir de leurs vieilles conversations, lorsqu'ils n'étaient encore que des enfants rêvant de changer le monde.
— Agnès n'apprécierait pas que je libère tous nos esclaves, expliqua-t-il, ni mes parents.
— Où sont-ils ?
— En voyage, éluda-t-il. Tu veux des biscuits ? Ils sont délicieux.
À la façon dont Sylvan détourna la conversation, Énée sentit qu'il s'engageait sur un terrain glissant. Il prit un biscuit et croqua dedans. Pénélope fit pareil, alors que le citoyen se relevait en époussetant sa toge pleine de miettes.
— De quoi ai-je l'air ? demanda-t-il en écartant les bras.
—- Dois-je vous donner une réponse sincère, maître ? questionna Pénélope.
Un sourire étira les lèvres d'Énée. Il aimait la façon dont l'esclave lui parlait et le fait que Sylvan ne relève jamais la pointe d'insolence dans sa voix. Un instant, ses yeux s'attardèrent sur la jeune femme. Il faudrait qu'il la questionne sur son histoire, afin d'en apprendre plus sur elle. Comment s'était-elle retrouvée esclave ? Vue ses manières et la façon dont elle s'exprimait, il était clair qu'elle n'avait pas toujours été ainsi et il aurait aimé connaître son passé en la touchant, comme les objets. À la place, il faudrait qu'il lui pose des questions pour en savoir plus.
— Tu devrais resserrer la cordelette, répondit Énée à la place de Pénélope. Sinon ta toge va s'ouvrir et...
Ses mots se suspendirent entre eux, alors que le sourire de Sylvan s'agrandissait. Énée détourna le regard en se sentant rougir et reprit une gorgée de tisane. Le poivre lui brûla la gorge.
— Parfait alors, déclara Sylvan en resserrant sa toge pour préserver son intimité. Je vous laisse déjeuner et vous rendre au musée. Nous nous retrouverons ce soir.
— Ce soir ? s'étonna Énée. Mais je dois rentrer au village.
— Pourquoi es-tu si pressé ? Qu'est-ce qui t'attend là-bas ?
Énée haussa les épaules, ne sachant quoi répondre. Il savait seulement qu'il ne désirait pas s'attarder trop longtemps dans la villa. Alcmène et Euripide bénéficieraient certainement d'une meilleure éducation ici qu'au village, mais il ne tenait pas à ce que les Patricis financent une nouvelle fois leur éducation. Il voulait s'occuper des jumelles à sa manière. Lorsqu'il serait citoyen, il pourrait leur offrir une vraie place dans la société.
— Cléanthe et Thétis m'attendent, expliqua-t-il.
— Dans ce cas, je leur ferai porter une missive indiquant que tu séjournes ici quelques temps.
Sylvan avait toujours eu cette tendance à régler les choses à sa façon, comme si tout était toujours simple. Le problème, c'est qu'il oubliait de demander aux autres ce qu'ils souhaitaient réellement et leur imposait souvent son avis. Énée aurait aimé parler lui-même à Thétis et Cléanthe, plutôt que de disparaître chez Sylvan comme cela avec les jumelles.
Le citoyen s'éclipsa, laissant Énée et Pénélope seuls pour déjeuner. Nikolaos revint bientôt, les bras chargés d'un repas plus fourni. Quand il trouva la jeune femme et Énée, ses doigts se resserrèrent à s'en faire blanchir les phalanges. Il posa le plateau avec rudesse.
— Tu lui as ouvert tes cuisses, avoue ?
— Tu es jaloux, Nikos. Il te plaît ? rétorqua Pénélope en réponse.
— Espèce de salope.
— Ne lui parle pas comme ça ! s'écria Énée. Et sors d'ici.
L'historien se leva, le doigt brandi, et fit signe à l'esclave de s'en aller. Nikolaos baissa les yeux, même si on sentait dans son regard la haine qu'il éprouvait, aussi bien envers sa condisciple qu'envers Énée. Les métoïkos ne pouvaient pas posséder d'esclaves, mais en tant que personnes libres, ils restaient supérieurs aux andrapodon. Étonnée, Pénélope releva ses yeux dorés vers Énée alors que Nikolaos quittait la pièce.
— Je n'ai pas besoin de vous pour me défendre, lança-t-elle.
— Un simple « merci » aurait suffi.
— Énée ! Tu es là ! s'écrièrent soudain deux voix aux notes aigues.
Deux petites filles, les cheveux tressés, débouchèrent dans la pièce et se jetèrent sur leur grand-frère avant qu'il n'ait le temps de réagir. Pénélope s'écarta juste à temps devant les deux furies qui firent basculer l'historien. En pestant, Énée se redressa, attrapa Alcmène et écarta Euripide qui éclata de rire.
— Où tu étais hier soir ? lui reprocha Alcmène.
— Alcibiade nous a raconté une histoire sur la déesse Vela.
— Plus tard, je serai déesse, affirma Euripide.
— On peut rester ici pour toute la vie ?
Les petites filles parlaient sans discontinues, n'attendant aucune réponse de leur frère qui finit par les prendre chacune sur ses cuisses pour les gaver de salade d'orges trempée dans de l'huile d'olive. Les jumelles finirent par s'arrêter car elles eurent la bouche pleine, puis relevèrent leurs yeux aussi clairs que les siens vers Pénélope.
— T'es qui toi ?
— C'est une esclave, regarde son poignet, chuchota Euripide à sa sœur.
— Je m'appelle Pénélope.
— Comment t'es devenue esclave ? demanda Euripide.
— Est-ce que t'es une déesse ? voulut savoir Alcmène. Tu as des cheveux comme Vela.
Pénélope esquissa un sourire alors qu'Énée s'excusait pour leur absence de politesse et de manière. La jeune femme ne semblait pas indignée, au contraire, elle s'amusa de leurs bavardages et répondit à chacune de leurs questions, expliquant qu'elle avait été vendue avec sa famille, avant d'être conduite dans un bateau.
— J'ai eu plusieurs maîtres avant d'être racheté par Monsieur Patricis, avoua-t-elle.
Les petites filles semblaient passionnées, Énée aussi, même s'il tâchait de ne pas trop le montrer. Pénélope resta vague sur sa vie d'avant. Lorsque le repas fut terminé, Énée envoya les jumelles rejoindre le précepteur. Elles semblaient aller bien et prendre plaisir à l'étude, c'était tout ce qui comptait. Pendant que Pénélope récupérait son voile pour se préparer, le jeune homme glissa le morceau de céramique dans sa poche. Sylvan ne lui en voudrait pas de le prendre, il le rapporterait en revenant.
Ils quittèrent l'atrium et traversèrent le couloir rejoignant l'entrée. Énée et Pénélope s'apprêtaient à sortir quand le jeune homme se figea en entendant des voix. Il reconnut le timbre de Sylvan, ainsi que celui de sa sœur et ses yeux tombèrent sur la pièce servant aux dîners. Une jeune femme aux cheveux blonds se tenait assise sur la klinê, à côté d'Agnès. Sylvan se trouvait face à elle, ses longues jambes allongées devant lui, une grappe de raisin à la main. Il discutait avec un homme dans la même position, pendant que les deux femmes étaient penchées l'une vers l'autre.
— Qui est-ce ? demanda Énée.
Pénélope se pencha pour observer discrètement.
— C'est Théa Petricien, la fiancée de Monsieur Patricis.
— Quoi ?
Son sang se liquéfia. Qu'avait dit Pénélope ? La fiancée de qui ?
— Sylvan va se marier ? demanda-t-il bêtement.
— C'est en projet, oui, confirma Pénélope.
Sylvan avait annoncé ne pas être disponible cet après-midi, mais Énée n'imaginait pas qu'il puisse avoir autre chose qu'un rendez-vous d'affaires. Le jeune homme pensait que le citoyen avait une course à faire pour sa galerie, une pièce ancienne à acquérir, peut-être une vente aux enchères. Comment aurait-il pu imaginer que Sylvan les abandonner pour aller charmer sa fiancée ? L'historien avait l'impression qu'on lui enfonçait un pique dans la poitrine.
— Il ne m'a rien dit, murmura-t-il.
— Vu votre façon de vous parler, cela ne m'étonne pas. Ils sont fiancés depuis plus d'un an, à ce que j'ai compris.
Ce n'était pas possible. Énée refusait d'y croire. Sylvan ne pouvait pas être fiancé avec une femme. Un instant, le souvenir de sa main, sur la sienne, deux ans en arrière, revint à son esprit. Une plage ensoleillée. Un coucher de soleil. Le bruit des vagues. L'odeur des embruns. Les doigts de Sylvan repoussant une de ses mèches blondes derrière son oreille. Énée secoua la tête, s'arrachant à ses souvenirs. Sylvan ne pouvait pas épouser cette femme, Sylvan n'aimait pas...
— Vous venez ? l'appela Pénélope.
L'historien s'arracha au spectacle qui s'offrait devant lui et à ses pensées. Bien sûr que Sylvan pouvait épouser une femme. C'était un citoyen de bonne famille, influent. Il aurait dû se douter que cela finirait par arriver. Ravalant son amertume et les larmes qu'il sentait poindre pour les étouffer sous une vague de rancœur – effaçant par-là ses souvenirs de la plage et du coucher de soleil – il suivit Pénélope et quitta la villa.
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