Chapitre 15 - Le collectionneur endormi
TW : Mention de scènes de sexe
Lorsqu'Énée ouvrit les yeux, Sylvan dormait contre sa poitrine. Allongé sur le sol, le dos perclus de courbatures, ils étaient nus, leurs corps uniquement recouverts de la toge du citoyen. Énée ne bougeait pas. Il écoutait le bruit de la respiration de son ami et profitait de son souffle chaud. La main de Sylvan recouvrait son cœur, sa toge drapait seulement une de ses jambes, laissant l'autre nue, et un bout de ses fesses dépasser. Énée esquissa un sourire, tout en remontant sa main le long du dos nu du citoyen. Des petites marques, comme des cicatrices blanches, imprégnaient son dos. Énée fronça les sourcils en passant sa main dessus. Il les avait à peine aperçus hier soir et n'avait pas souvenir qu'elles étaient là par le passé.
Dans son sommeil, Sylvan poussa un gémissement. Énée esquissa un sourire.
Le souvenir de leur nuit restait très présent dans son esprit. Au début, cela avait été empressé, passionné, dévorant. Le résultat de plusieurs années de séparation. Énée savait exactement où poser ses lèvres pour faire gémir Sylvan, il savait exactement où glisser ses doigts, quoi caresser, quel geste effectuer, pour lui faire perdre pied. L'inverse était vrai. Quand les doigts de Sylvan s'étaient immiscés en lui, quand sa langue avait retrouvé son passage favori, lui arrachant un soupir de plaisir, les lèvres de citoyen s'étaient étirées, triomphantes. Lorsqu'ils s'étaient emboîtés l'un dans l'autre, lorsque Sylvan avait aspiré sa bouche de ses lèvres, tout en s'enfonçant doucement en lui, Énée avait fermé les yeux. Les souvenirs de leurs étreintes d'antan sur la plage, du corps chaud de Sylvan contre sa peau, s'imbriquaient avec cette nuit. C'était doux, c'était beau, c'était réconfortant.
Énée avait délaissé la plage pour se concentrer sur ses nouvelles sensations. Il avait laissé les mains de Sylvan le redécouvrir, tandis que les siennes parcouraient son dos. Plus ferme, plus adulte, plus musclé aussi. Le corps couvert de sueur, Sylvan s'était écroulé sur lui, ses cheveux collants sur son front. Énée l'avait caressé. Sa main montait et descendait sur sa peau nue. Ils avaient plongé dans le soleil, pour se réveiller quelques heures plus tard, fébriles, les corps de nouveau chauds et brûlants de désir. La virilité du citoyen frottait contre son ventre. Énée s'était glissé entre ses jambes, ses doigts avaient caressé ses cuisses, ses lèvres avaient retrouvé – avec une étonnante facilité -, ce membre dur et imposant qu'il avait mille fois léché. Sylvan avait hurlé de plaisir. Énée suçotait, aspirait, reprenait ses mouvements, d'abord lents, puis plus forts. Sylvan le suppliait d'arrêter son jeu langoureux et douloureux, Énée continuait, s'amusant de ce mélange entre désir et torture qu'aimait son amant d'une nuit. Quand Sylvan s'était déversé dans sa bouche, il avait avalé le fruit de son désir, avant de revenir unir ses lèvres aux siennes, pour tout partager.
— Je t'ai menti, ce ne sont pas tes mains que j'aime le plus chez toi, avait susurré Sylvan.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ta langue.
— Et mes fesses ? Tu aimes mes fesses ?
— Oh, oui.
Non rassasié, le citoyen l'avait agrippé par les épaules pour l'embrasser encore, tout en caressant ses cuisses et son pénis. À son tour, il s'était agenouillé pour le prendre en bouche. À son tour, Énée l'avait supplié et Sylvan avait obéi. Il avait toujours été le plus obéissant au lit. Le citoyen l'avait caressé et léché avec délectation, en suivant ses indications, jusqu'à ce que ses doigts glissent dans son antre étroit. Un doigt, deux, trois.
— Prends-moi ! avait hurlé Énée.
Il s'était retourné, les fesses offertes. Sylvan avait obéi.
À ce souvenir, une larme roula sur la joue de l'historien. Il n'avait jamais rien aimé de plus que lorsque Sylvan était en lui. Dans ces moments, il se sentait complet, comblé. Il n'était plus seulement lui-même, ils étaient un tout, deux êtres n'en formant plus qu'un, deux corps imbriqués l'un dans l'autre, deux hommes brûlants de désir. Énée aurait voulu que cela dure pour toujours. Il regrettait déjà d'être au lendemain. Cette nuit, il avait fait taire ses pensées, mais elles revenaient, plus fortes, plus violentes, plus angoissantes. Qu'arriverait-il ensuite ? Sylvan ferait-il comme si de rien était ? Allait-il se relever, ne pas le regarder, se rhabiller et annoncer qu'il partait retrouver Théa Petricien ?
— Mmm...
Un grognement lui fit relever la tête. Sylvan se tourna sur le côté, faisant tomber la toge qui révéla son corps nu. Énée fit taire ses pensées pour rattraper la toge qu'il plaça sur le corps de son ami, pour qu'il ne prenne pas froid. Une attention qu'il prît uniquement pour cette raison car Sylvan tremblait. Au contraire, lui n'était pas gêné par sa nudité et se sentait dans un cocon chaud. Il n'aimait rien de plus chez Sylvan que son corps nu.
— T'as bien dormi ? entendit-il marmonner.
Un sourire étira ses lèvres. Cette réponse était difficile à donner. Énée se sentait ailleurs, son corps totalement alangui par le sexe et la jouissance. Il se sentait fatigué, comme un marathonien ou un soldat, revenant de guerre.
— Je n'ai pas beaucoup dormi, répondit-il.
— Moi non plus, marmonna Sylvan.
Le citoyen cligna plusieurs fois des yeux. Énée avait toujours aimé son air bougon au réveil, les petits cernes sous ses yeux bouffis, ses yeux violets toujours aussi brillants. Incapable de se retenir, il déposa un baiser sur ses lèvres.
— Il faut qu'on se lève, marmonna Sylvan.
— On est obligé ?
— Oui... J'ai dit à Pénélope de venir pour neuf heures.
— Quelle heure est-il ?
— Je sais pas. Regarde le cadran solaire.
— Il est dehors.
— Bah lève-toi.
— Tu es allongé sur moi.
— Mmm...
Sylvan ne fit pas mine de se lever. Malgré son envie de rester contre lui, Énée se dégagea de son étreinte. La pièce était dans un désordre sans nom. La poterie se trouvait toujours sur la table – dieux merci, ils ne l'avaient pas cassée -, avec son morceau manquant. Quoi que, cela aurait peut-être été la solution ?
D'autres objets attendaient que l'on s'occupe d'eux, parmi lesquels se trouvaient des artefacts. Énée chercha sa chemise du regard et la trouva sur un masque en argile. Comment était-elle arrivé là ? Il ne se souvenait pas de Sylvan le déshabillant. Il se rappelait juste s'être retrouvé nu sur le sol. Il la récupéra, l'enfila avec son pantalon, puis se retourna vers Sylvan qui, assis par terre, tentait de remettre sa toge. Le citoyen peinait à passer le tissu par-dessus son épaule. Énée lui tendit la main pour l'aider à se relever, puis fit de son mieux pour l'habiller. Il n'était pas aussi doué que les esclaves et domestiques ayant l'habitude de cela et Sylvan finit par éclater de rire devant le piètre résultat.
— Tu es nul pour m'habiller.
— Dans ce cas, débrouille-toi, répliqua Énée.
Il fit mine de partir, mais la main de Sylvan saisit son poignet, et le citoyen le ramena contre lui. Il posa ses doigts sur ses joues et se pencha pour obtenir un baiser. Énée le lui rendit, laissant sa langue jouer avec celle de son ami. Son ami ? Son amant ?
Il recula, mettant fin au baiser. Sylvan eut un regard troublé.
— Tu ne veux plus ? demanda-t-il d'un air boudeur.
— Nous n'avions parlé que d'une nuit, s'entendit-il répondre.
— Ah ... Oui... C'est vrai.
— Tu es fiancé, rappela Énée.
— Ah ... Oui... C'est vrai.
Le silence flotta entre eux. Énée attendit que Sylvan poursuive, qu'il argument et se batte pour obtenir plus. Une part de lui attendait cela : une déclaration d'amour. Qu'il était niais ! À la place, le citoyen remit dans l'ordre dans sa chevelure bouclée, puis haussa les épaules d'un air désinvolte.
— C'était bien, en tout cas.
— Oui, c'était bien, répéta Énée.
— C'est quand même mieux sur la plage. Le sable est plus mou, j'ai mal au dos.
— Au moins ici, je n'ai pas de grains de sable dans les fesses ! répliqua Énée.
— Qui a des grains de sable dans les fesses ? répéta une voix.
Ils sursautèrent, au moment où Pénélope passait son visage dans l'annexe, un sourire amusé sur les lèvres. Énée baissa aussitôt les yeux, gêné. Sylvan, lui, se contenta d'éclater de rire.
— Énée n'aime pas le sable.
— Ce n'est pas le sable que je n'aime pas, c'est le sable dans...
Il s'interrompit, les joues rouges.
— Peu importe.
— Il est déjà neuf heures ? demanda Sylvan, l'air de rien.
— Il est même dix heures et demie, leur apprit Pénélope. Cela fait plus d'une heure que je tourne en rond dans la galerie.
Les yeux de la jeune femme parcoururent la pièce. Elle ne portait pas de voile, ses cheveux étaient noués en une longue natte qui entourait sa tête et elle avait revêtu une longue tunique lui arrivant jusqu'aux chevilles. Énée s'aperçut qu'elle ne portait plus de bracelet de servitude à son poignet. Il se demanda comment Agnès avait réagi à cette annonce. La citoyenne n'avait sûrement pas apprécié que son grand-frère lui rende sa liberté. Pénélope capta son regard et un sourire étira ses lèvres.
— Je suis libre, lui apprit-elle.
— Oui, Sylvan me l'a dit.
— D'ici quelques jours, je prendrai la mer et j'irai botter le cul à mon cousin. Et pas avec du sable, c'est moi qui te le dis.
Énée imaginait sans mal la jeune femme sautant du navire, un glaive à la main, comme les guerriers. Pénélope avait tout d'un soldat, malgré son allure de princesse. Nul doute qu'elle réussirait à reprendre ce qui lui appartenait. Elle était déterminée, mais aussi généreuse et aimée par son peuple. Énée ignorait le régime politique que son cousin avait instauré, mais s'il était aussi belliqueux que son père, cela ne devait sûrement pas être une royauté bienveillante, ni une démocratie. Peut-être que les habitants de Ségeste soutiendraient le retour de Pénélope ? Peut-être qu'eux aussi pourraient faire quelque chose pour l'aider ? Ségeste et les cités du sud avaient été soumises par la ligue, mais il existait bien des fonds de soutien. Peut-être que les citoyens élus d'Ishtma accepteraient de lui prêter main forte si elle le leur demandait ? Sylvan pourrait appuyer sa demande, non ? Tout à ses pensées, Énée ne s'était pas aperçu que Pénélope s'avançait dans la pièce, ses yeux dorés parcourant l'annexe d'un air curieux.
— Vous avez dormi ici ? demanda-t-elle.
— Non ! répondirent-ils d'une même voix.
— Vous avez couché ensemble ici ?
— Non ! répondit Énée.
— Si, répondit Sylvan.
Énée ouvrit la bouche, offusqué.
— Eh ! s'exclama l'historien.
— C'est la vérité, s'écria Sylvan.
— C'est mon intimité.
— C'est aussi la mienne.
— Non, c'est dans la mienne que tu es rentré.
— Tu as mis la mienne dans ta bouche.
— Stop ! s'écria Pénélope. Je n'ai pas besoin de détails.
Pénélope siffla pour les faire taire et se plaça entre eux. Énée et Sylvan se défièrent du regard et la jeune femme poussa un profond soupir.
— Cessez de vous disputer pour si peu. Nous avons plus important à faire.
— Retrouver la dernière partie du vase ? proposa Sylvan en revenant à lui.
— Terminer le rangement que j'ai commencé dans la galerie ? ajouta Énée.
— Non ! les interrompit-elle, agacée. Sylvan, votre père est revenu.
— Quoi ? cria-t-il.
Sylvan s'était figé. Étonné, Énée arqua un sourcil et échangea un regard avec Pénélope. L'ancienne esclave se contenta de hausser les épaules, puis elle expliqua qu'il s'était présenté à la villa dans la matinée. Il était arrivé à l'aube, avec des bagages et un esclave. Sylvan demanda si sa mère l'accompagnait, Pénélope répondit par la négative. Apparemment, Cléon Patricis était revenu seul.
Soudain fébrile, Sylvan quitta l'annexe pour retourner dans la galerie. Énée et la jeune femme le suivirent, et l'observèrent récupérer quelques affaires qu'il glissa dans un sac. L'endroit manquait d'ordre. La veille, Énée n'avait pas fini son classement. Seuls quelques objets s'alignaient sur les étagères, avec des étiquettes presque illisibles. Il aurait dû demander à Sylvan d'écrire à sa place. Les mains du citoyen tremblaient tandis qu'il empilait ses affaires dans le désordre. Sa toge pendait sur son bras gauche. Pénélope alla le rejoindre et le força à se calmer et s'arrêter pour qu'elle puisse la renouer correctement.
— Tout va bien ? demanda Énée en s'approchant.
Il marchait sur les œufs, craignant qu'un geste trop vif n'affole Sylvan.
— Oui oui, répondit Sylvan d'un air évasif. Enfin... Je ne sais pas ... Tu devrais peut-être rentrer. Reviens demain. Ou plus tard. Je t'enverrai une missive.
— Je dois récupérer les jumelles.
— Ah ! Oui, les jumelles. Euh... Pénélope les raccompagnera.
— Sylvan ! Qu'est-ce qui se passe ?
Le citoyen évitait son regard. Visiblement, il n'avait aucune envie qu'Énée se rende à la villa avec lui. Cela avait-il un rapport avec son père ? Est-ce qu'il souhaitait éviter que Cléon ne le voie et lui reproche d'avoir renoué avec lui ? Après tout, son père était à l'origine de leur séparation, il ne prendrait peut-être pas bien le fait que Sylvan soit revenu le chercher. Le citoyen leur fit signe de sortir, puis ferma la boutique à l'aide de sa clef enchantée. Il la glissa dans sa poche et accéléra le pas en direction du forum, sans se retourner. Pénélope et Énée le suivirent en courant pour se maintenir à sa hauteur.
Les Isthmathénée commençaient demain, les festivités étaient quasiment prêtes. Un homme leur proposa des masques à l'effigie de la déesse pour deux oboles de cuivre. Sylvan n'y prêta pas attention et s'enfuit dans une impolitesse totale. Quand ils arrivèrent à l'embranchement vers le quartier des villas, marquée par la statue de Petrova, au phallus dressé, il stoppa net et se plaça devant Énée.
— Rentre chez toi, insista-t-il.
— Dis-moi ce qui ne va pas, répliqua Énée.
— Je t'expliquerai tout plus tard. Va-t'en. S'il te plait.
Ses yeux violets l'imploraient de ne pas faire d'esclandre, ni poser d'autres questions. Énée hocha la tête. Pénélope échangea un regard avec lui et il les regarda partir, le laissant seul dans la rue baignant d'activité. Quelque chose n'allait pas. Sylvan n'était pas dans son état normal, l'historien le sentait. Il resta planté là un moment, se demandant s'il devait vraiment rentrer au village ou le suivre. Il pouvait très bien attendre quelques minutes, puis rejoindre la villa, pour espionner. Dès que cette pensée le traversa, il sut que c'était une mauvaise idée. Sylvan lui avait demandé d'attendre, il devrait lui faire confiance. Oui, mais...
Et si Sylvan lui cachait quelque chose.
Et si Sylvan était en danger.
Et si cela avait un rapport avec la mère du citoyen.
Et si Cléon avait trouvé quelque chose par rapport au vase, à Elpis, à la cendre, à Clausius.
Et si Sylvan avait besoin de lui.
Face au choix qui s'offrait à lui - le village ou la villa – Énée décida d'écouter son cœur au lieu de sa raison. Il prit le second chemin.
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