Chapitre 9

Oui. Bien qu'il semble que ce soit moi qui vous ai trouvée.

C'est lui. Le hacker.

« Prouvez-le » envoyé-je néanmoins.

Après quelques instants, je reçois une série de lignes que je parcours des yeux, estomaquée. C'est la carte d'identité du virus.

C'est vraiment lui.

Malgré l'étrange excitation qui m'envahit, je reste lucide. Je parle avec un meurtrier. Avec ma cible, plutôt. J'ai moi-même un statut d'ancienne criminelle, alors qu'il soit qualifié de meurtrier n'est qu'une information comme une autre. Ce qui importe, c'est que ma cible m'ait contactée. Ce qui me semble complètement insensé.

« Pourquoi me contacter ? Tu ne devrais pas être occupé à tuer des gens, voler leurs données, ce genre de choses ? »

Je n'ai pas arrêté. Mon virus se propage toujours.

« Tu sais que tu tues des êtres humains ? Le gouvernement va t'enfermer à perpétuité une fois que quelqu'un t'aura trouvé. Peut-être ce quelqu'un sera-t-il moi »

Je ne tue pas d'êtres humains.

Je fronce les sourcils.

« L'homme du bar, la victime de la KnochenStraße sont des humains »

Non. Ce sont des machines greffées sur des corps de chair. Je tue des systèmes technologiques.

« Nous restons humains. Nous sommes des êtres vivants. »

Les androïdes aussi sont vivants. Pourtant, sont-ils réellement humains ?

Qu'est-ce qu'être humain, de nos jours ? Avoir des émotions ? Les androïdes en éprouvent. Avoir des organes, un cœur, un cerveau ? On les remplace à tour de bras par des systèmes artificiels. Alors dites-moi si je tue de vrais humains, ou de simples machines perfectionnées. Pour ma part, j'estime ne tuer rien d'autre que des amas de câbles et de données. Des ordinateurs.

« Nous restons humains. »

Vous vous répétez.

Je pince les lèvres. Cette conversation me met mal à l'aise, surtout après mes réflexions sur notre dépendance vis-à-vis des SEN.

« Pourquoi m'avoir contactée ? »

J'étais curieux de connaître ta manière de penser. Mais tu me parais attachée aux mensonges proférés par le gouvernement. Tu ne vois pas que le monde se peuple de robots, que les soi-disant humains disparaissent. Que tout devient machine. Même moi, je suis devenu une machine de métal et de plastique. Alors j'ai décidé d'exploiter mes nouvelles possibilités.

L'hypocrisie que je lis dans ces mots me tire un rictus méprisant.

« Dans quel but ? »

Rendre ce monde aux vrais Hommes. Et pour cela, il faut ouvrir les yeux de ceux qui peuvent encore voir la vérité. Je n'arrêterai pas mon virus. Les SEN sont l'instrument de la métamorphose des êtres en robots. Alors ils disparaitront. Peu à peu, inexorablement, sans que personne ne puisse rien y faire.

Et lorsqu'enfin les humains en seront libérés, j'aurai réussi.

Un bref signal de mon SEN m'apprend que je ne peux pas répondre à ce correspondant. Mes doigts se serrent et je peste contre ce foutu hacker hypocrite. Quelle machine cherche à détruire ses semblables ?

Et ce charabia sur l'humanité...

Je reste persuadée que nous sommes encore humains. Même affublés d'organes artificiels, de systèmes ultra-perfectionnés, nous restons humains.

Je vide mon verre d'un trait et me lève, soudain remotivée.

D'ailleurs, je lui ferai ravaler ses insinuations. Je ne suis en aucun cas du côté du gouvernement !

*

Malgré mes essais pour traquer l'émetteur des messages, je fais chou blanc. De quoi augmenter mon ressentiment vis-à-vis de ce type qui se paie ma tête.

Je déteste être tenue en échec.

Mais notre conversation ne cesse de se rejouer dans ma tête. J'ai fini par remarquer qu'il n'a pas réellement parlé des données qu'il dérobait. Il n'a parlé que des morts.

Ces données sont-elles un écran de fumée ?

Serait-il possible qu'il fasse croire à un vol pour que personne ne se rende compte que son réel but est l'assassinat ?

Cela expliquerait les attaques apparemment aléatoires. S'il compte tuer la majorité des habitants de la ville, l'ordre n'a aucune importance.

Je fixe le plafond plongé dans la pénombre en me mordant la lèvre. La lueur de la lune filtre à peine par les interstices des fenêtres. Le vent souffle dehors, frôle les bâtiments, charrie la poussière des rues et porte les rares bruits nocturnes jusqu'aux oreilles des quelques personnes encore éveillées.

Je soupire et ferme les yeux. La respiration d'Azur à côté de moi, dans le lit poussé contre le mur, m'aide à me calmer. Son souffle régulier me berce presque.

Je suis la plus âgée, pourtant on dirait qu'il me console. Un petit sourire m'étire les lèvres.

Mais aussitôt, la pensée qu'il pourrait être la prochaine victime du hacker s'invite, pernicieuse, dans le brouillard de mon esprit fatigué. Mon sourire fane et je sombre dans un sommeil inquiet, la boule au ventre.

*

— Syna, bordel, on mange !

Je cligne des paupières, déstabilisée. Dans l'embrasure de la chambre, une mécanicienne aux pupilles rouges me fixe, les poings sur les hanches.

— Que...

— Ça fait une demi-heure que je t'ai appelée. Azur est déjà en bas. Dépêche-toi !

Je marmonne des excuses et frotte mes yeux, émergeant du sommeil lourd et presque comateux qui m'avait emprisonnée. J'ai visiblement été prise par surprise, car sur mes cuisses repose encore un petit écran rempli de lignes lumineuses. Y figure ma messagerie, mais aucune trace de l'hypocrite depuis deux jours. J'aurais espéré pouvoir grappiller des indices sur son identité, mais visiblement, il ne parle que lorsqu'il a envie, puisque je ne peux toujours pas le joindre moi-même.

Je place l'écran sur le bureau et descends en bâillant. Je fais des nuits blanches, ces derniers jours, mais cette traque commence vraiment à m'énerver plus qu'autre chose. J'ai surtout envie d'envoyer le gouvernement se faire cuire un œuf, mais mon stupide égo m'empêche de laisser cette mission à quelqu'un d'autre. Je dois trouver son identité, surtout maintenant qu'il me nargue d'une manière plus directe.

Une fois dans la cuisine, je m'assieds à côté d'Azur et face à Petra, qui semble n'avoir pas entièrement décoléré. Je fais donc profil bas durant toute la dégustation de la soupe agrémentée de morceaux de divers légumes et viandes de synthèse, évitant ses yeux aux reflets écarlates.

Azur ne dit rien non plus, mais ça n'a rien d'inhabituel. Il semble toujours plongé dans ses pensées.

Lorsque nous avons tous les trois fini, Petra se lève et commence à débarrasser la table, mais avant qu'elle ne se saisisse des assiettes, je les subtilise et les range dans le lave-vaisselle avec un visage repentant. La mécanicienne fronce les sourcils, mais ne dit rien et mon sourire s'agrandit lorsque je distingue un rictus qu'elle tente de camoufler au coin de ses lèvres.

Lorsque tout est rangé, je m'apprête à remonter m'user les yeux et me liquéfier le cerveau, mais alors que je pose le pied sur la première marche, un grand bruit retentit dans la cuisine et je fais volte-face.

— Oh, c'est pas vrai, râle Petra en se penchant pour ramasser des verres en mille morceaux sur le carrelage.

— Ça va ? interrogé-je en approchant de quelques pas.

— Oui, oui, juste un étourdissement...

Lorsqu'elle se redresse et pose les débris sur la table, je remarque qu'elle n'a vraiment pas l'air bien. De grosses gouttes de sueur coulent sur son front et son souffle est haché, lourd. Sa peau a pris une teinte rougeaude assez peu naturelle.

— Tu es peut-être malade, lâché-je en réprimant l'horrible sentiment d'urgence qui me transperce la poitrine. Viens, on va appeler les urgences. Assieds-toi.

— Je vais bien, c'est juste...

Elle ne termine pas sa phrase, plaquant ses mains sur son crâne avec une grimace de souffrance.

— Petra ?

J'ai juste le temps de distinguer deux pupilles d'un blanc paniqué, avant que ma vision ne s'obscurcisse et que les murs soient aspergés de pourpre. 

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