Chapitre 8
— Donc, qu'est-ce qu'on cherche, exactement ?
— Un virus informatique dont la carte d'identité ressemble à ce que je t'ai envoyé. Il faut trouver comment il fait pour être intraçable, tout d'abord. Ensuite, on trouvera qui le propage.
— Compris.
Azur fait voyager ses doigts sur les écrans avec agilité, le regard concentré. J'ai obtenu du gouvernement la permission de travailler avec un assistant, alors j'ai embauché l'adolescent surdoué sans réfléchir. Il me sera d'une grande aide, n'en déplaise à mon égo. Tous les moyens sont bons pour trouver ce hacker. Il n'aura pas la chance de nous leurrer à nouveau !
Nous passons toute la journée dans la chambre, analysant les données, les traces, les dysfonctionnements des systèmes infectés. Rien ne nous échappe. Je me force même à revoir tout ce que j'ai déjà examiné il y a cinq ans.
Le soir venu, je repousse mon fauteuil loin du bureau et soupire, basculant la tête en arrière. Je frotte mes yeux un moment, le front enserré dans un étau sans pitié. Je devrais mettre des lunettes, ça m'épargnerait toutes ces migraines...
Dire que ceux qui ont des yeux artificiels n'ont aucun problème à passer leur journée sur des écrans... Certains modèles voient même dans le noir...
Mais bon. Je ne passerai jamais sur une table d'opération pour une raison aussi futile. Pas après avoir vécu les désastres des ratés.
Azur me jette un coup d'œil, les doigts toujours actifs sur les petites touches lumineuses.
— Tu veux aller te reposer ?
— Ne me parle pas comme si j'étais une grand-mère, râlé-je sans rouvrir les paupières. Je peux encore un peu bosser.
— D'accord.
Il retourne à ses analyses, les yeux passant des chiffres aux symboles à une vitesse étonnante. Je soupire. Je ne suis pas capable d'aller aussi vite, mais c'est pour ça que je lui ai demandé de m'aider. Deux têtes valent mieux qu'une.
Je fais craquer ma nuque et me secoue un peu, prête à reprendre.
*
Après les incidents de la KnochenStraße et du bar du quartier de la Gare de Kappa, le gouvernement recommande aux habitants de limiter leurs déplacements. Les dirigeants mettent tout en œuvre afin de trouver l'origine de ces décès, mais ils tiennent à rappeler qu'il peut tout à fait s'agir d'incidents isolés et qu'il ne faut pas céder à la panique. Ils assurent fournir des réponses bientôt et en attendant, ils recommandent de suivre les actualités sur la chaîne officielle afin de ne pas alimenter les rumeurs qui se propagent déjà.
Nous vous parlons à présent de l'apparition d'une harde de cerfs non loin de la ville. Pour la première fois en cinquante ans, ces animaux-
Je chasse le bulletin d'informations de ma vision, un rictus au coin des lèvres. Évidemment que le gouvernement apportera de nouveaux éléments à l'enquête, dussent-ils les inventer de toutes pièces pour garder leur image de contrôle inébranlable.
Pendant qu'ils donnent des conférences de presse, Azur et moi nous usons les yeux sur nos écrans, passant des centaines de données en revue.
Ce virus continue de se propager. Une femme est décédée d'une surchauffe de son SEN il y a quelques heures et je pense qu'il s'agit d'un autre cas d'infection. Le hacker ne perd visiblement pas de temps.
Après son passage, plus aucune donnée ne subsiste. Il n'y avait plus rien à constater dans les mémoires touchées. Comme il y a cinq ans, les traces sont ténues et aucune réelle piste ne se dessine.
Les informations qu'Azur et moi avons collectées esquissent une sorte de toile d'araignée, un réseau qui connecte plusieurs personnes entre elles, comme si elles s'étaient coordonnées pour attaquer les SEN ; or, lorsque j'ai été les interroger et observer leurs comportements, j'en ai déduit à un autre piège, une nouvelle fausse piste semée par le hacker de génie.
— Il doit utiliser les puces ID de ces gens pour transmettre le virus, suppose Azur, un petit bâton couvert de chocolat dans la bouche – un des rares plaisirs que je lui ai accordés en remerciement de son aide.
— Et comme ça, impossible de le trouver lui, soufflé-je en m'étalant sur mon matelas, épuisée. Au moins, on sait comment il se rend intraçable, maintenant. Il se fait passer pour d'autres...
— On va avoir du mal à le trouver.
Le ton d'Azur me fait me redresser. Il semble préoccupé, ce qui ne lui arrive pas souvent.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Eh bien...
Il pince les lèvres, réfléchissant à ses mots.
— Il est très fort. Ça prendrait beaucoup de temps de le trouver.
— Sûrement. Mais on nous a engagés dans ce but, alors on va le faire, répliqué-je en m'asseyant sur ma chaise de bureau, lui faisant face.
L'adolescent me lance un regard peu convaincu.
— Nous devons au moins essayer, lâché-je en haussant les épaules. Si on n'y arrive pas, eh bien, tant pis. Mais j'aimerais vraiment prendre ma revanche. Il m'a baladée il y a cinq ans. Je mentirais si je disais qu'il n'y a pas un peu de rancune dans mon acceptation de la mission du gouvernement. Ce n'est pas un gentil acte de civilité.
Azur hausse les épaules à son tour.
— Moi, je le fais juste parce que tu me l'as demandé.
Je souris, puis plaque mes mains sur le bureau, juste devant les écrans où défilent nos indices.
C'est l'heure de la revanche.
*
— Tu penses qu'il vole ces données pour arriver à obtenir des informations sensibles ?
— Peut-être.
— Les codes de la couche magnétique ?
— Qui sait.
— Ça ne semble pas t'inquiéter.
— S'il y arrive et la désactive, nous mourrons tous instantanément puisque rien ne nous protègera plus de l'espace. Et on ne pourra rien y faire. Je préfère me concentrer sur la recherche de son ID.
Lorsqu'Azur reprend ses tâches, je m'interroge. Je ne lui ai pas fait part de mes soupçons, mais on dirait que les attaques ne sont pas ciblées. Qui attaquerait une employée de bas étage lorsqu'il a les moyens d'obtenir ces informations sensibles mentionnées par Azur ? Les SEN des membres du gouvernement ne sont pas tellement mieux protégés.
Au fond, nous sommes tous vulnérables.
Ces SEN constitueraient-ils la plus grande avancée technologique, mais également notre plus grande faiblesse... ?
*
Je n'arrive pas à sortir cette hypothèse de mes pensées.
Sommes-nous asservis à cette technologie ? Dépendants de ces entrelacs de câbles et puces, de ce système dont on nous dote à la naissance ? Est-ce plus une faiblesse qu'un avantage, s'il est possible de percer ses défenses ?
Je soupire et bascule la tête en arrière.
— C'est la vingt-troisième fois que tu souffles, Syna. Tu es sûre que ça va ?
— Oui, ça va, éludé-je en reprenant mon travail, malgré le vagabondage de mon esprit.
Azur fronce les sourcils, mais ne dit rien, continuant à pianoter agilement sur son écran.
Quant à moi, je ne parviens pas à me concentrer sur les différentes stratégies que nous avons décidé de tenter pour trouver le hacker. Nous faisons notre possible, mais des pensées parasites m'envahissent et me compliquent la tâche. Vraiment, j'aimerais pouvoir réfléchir en paix !
J'essaie encore une fois de me reconcentrer, mais un message reçu se met à clignoter dans un coin de ma vision. Je fronce les sourcils en voyant « émetteur inconnu ». Qui possède mes coordonnées sans que je le connaisse ?
Je décide de faire une pause et me lève pour aller me servir un verre d'eau. Je m'installe au rez-de-chaussée, attablée devant ma boisson avec les bruits de l'atelier de Petra en fond sonore. Là, après une gorgée rafraîchissante, j'ouvre le message.
« Voix velours, cœur de pierre,
Petite poupée nacrée ;
Dentelles rouges, œil de verre,
Si jolie et bien codée ;
Voix velours, cœur de pierre,
Petite poupée tachée ;
Dentelles rouges, œil de verre,
J'entends les anges chanter ;
Voix velours, cœur de pierre,
Petite poupée cassée ;
Dentelles rouges, œil de verre
Pourquoi les as-tu tués ? »
Je reconnais ces vers, mais cela fait bien longtemps que personne ne chante plus cette comptine.
Je ne devrais sans doute pas répondre. Pourtant, la curiosité prend le dessus.
« Cette chanson est démodée. Qui êtes-vous ? J'apprécierais que vous ne m'envoyiez plus de messages »
Vous savez qui je suis.
Une petite minute... Quelqu'un qui parvient à m'envoyer des messages sans avoir mes coordonnées...
Je dois vérifier quelque chose.
Sans répondre, j'essaie de supprimer la conversation et de bloquer l'émetteur.
Lorsque mon SEN affiche « action impossible », une sueur glacée me coule dans la nuque.
Je compose ma réponse en priant pour me tromper, mais... peut-être que si ça s'avère vrai, ça me donnera un avantage ?
« Êtes-vous celui que je dois trouver ? »
Lorsque la réponse me parvient, mes doigts se crispent sur mon verre.
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