Chapitre 10
Tout n'est que silence.
Silence, silence, silence.
Et encore ce foutu silence qui me tue de l'intérieur.
J'ai occulté, grâce à ma mémoire artificielle, les images insoutenables qui m'ont été jetées à la figure hier. Quand Petra est morte.
Assassinée.
Et son corps a été emporté à peine quelques minutes plus tard. Sous prétexte qu'on ignore de quoi elle est décédée – officiellement -, on n'a pas pu lui dire au revoir. Ils l'ont emmenée.
Elle n'aura pas droit non plus à une cérémonie d'adieu.
J'ai envie de hurler, mais je n'arrive pas à sortir le moindre son.
C'est comme si mes cordes vocales étaient cassées. Peut-être que j'aurais dû me sentir effondrée de chagrin, pleurer à m'en briser la voix, laisser couler des torrents de larmes.
Mais à la place, je ne ressens rien. Mon cerveau est éteint.
Non, en vérité, je ressens une seule chose. Une seule émotion qui me consume l'esprit, me brûle le cœur, carbonise mes pensées.
La colère. Le besoin de vengeance. Une rage froide et calculatrice.
Il l'a tuée. Elle.
Parmi toute la ville, il a fallu que le virus la touche, elle.
Il aurait pu faire exploser le crâne du voisin qui hurle la nuit sur son épouse, de la femme aigrie dans la rue d'à côté, même celui du Gouverneur. Pour ce que j'en ai à faire.
J'aurais gentiment continué ma mission, parce que je n'ai pas pour habitude d'abandonner.
Je l'aurais peut-être trouvé, peut-être pas, mais même si ça m'aurait agacée, ça se serait arrêté là. Ce n'est qu'un boulot. Ça ne signifie rien.
Mais il a fallu qu'il commette l'impardonnable.
Alors même si ça ne ramènera pas Petra, je m'assurerai que ce hacker sache ce que signifie la souffrance.
Cette émotion que même les androïdes peuvent ressentir, je la lui montrerai. Qu'il vienne me dire que je ne suis pas humaine. Qu'il vienne me dire que Petra n'était pas humaine, qu'elle n'était qu'une machine, que des câbles et des puces.
Moi, j'ai une nouvelle énigme à lui proposer.
Qui de la machine ou de l'Homme est le pire bourreau ?
*
La pluie crache sur les trottoirs, sur les murs de béton et les exhalaisons des égouts remontent jusqu'aux rares passants sortis par ce temps. Le soleil a été avalé par les nuages grisâtres dans un ciel sombre et opaque.
Mes cheveux sont déjà imbibés, mais je m'en moque. L'eau glaciale ruisselle sur mon visage, sur mes vêtements, sur ma peau. Mais je continue d'avancer dans la rue.
Le tonnerre gronde au-dessus de Berlin-Zwei. Il paraît faire écho au tourbillon d'émotions qui vibre dans mon cœur.
Lorsque j'entre dans le bar de Kam, il n'y a aucun client. L'androïde m'observe avancer avec un air étonné, qui se transforme en inquiétude en s'apercevant de mon état.
— Syna, ça va ? Tu aurais dû prendre un parapluie ou mettre une veste...
— Non, je vais bien. Ce n'est que de l'eau, rétorqué-je d'une voix sèche.
Elle me jette un regard étrange, mais je n'ai pas le temps pour les politesses. Je suis venue dans un but précis.
Je m'assieds sur l'un des sièges au bar et lui fais face, les coudes posés sur le comptoir de bois. Je laisse des flaques partout où je passe et sur chaque surface que je touche, mais je préfère directement en venir aux faits plutôt que m'excuser pour des futilités.
— Kam, j'ai besoin d'informations. Tout ce que tu pourras me dire sur un hacker androïde.
— Pourquoi ? s'étonne-t-elle.
— Parce que, m'agacé-je. Je recherche quelqu'un.
La barmaid me fixe d'un air suspicieux.
— Tu devrais surtout aller dormir. Tu as une mine affreuse et d'immenses cernes. Reviens lorsque tu te seras reposée...
— JE N'AI PAS LE TEMPS DE DORMIR. JE DOIS LE TROUVER LE PLUS VITE POSSIBLE ! hurlé-je, au bord de l'hystérie, les ongles plantés dans le bois du bar.
A la vue de mon regard halluciné, Kam a un mouvement de recul.
— Écoute, je sais que tu as du mal à accepter la disparition de Petra, mais en quoi-
— Oh, je l'ai très bien acceptée ! éclaté-je de rire. Je suis parfaitement au courant que Petra est morte ! Merci bien !
Mon rire s'étrangle aussitôt qu'il a débuté, me laissant pantelante, le souffle court, les yeux dans le vague.
Tout le monde meurt, de toute manière. Mes parents, emportés à cause d'une stupide opération ratée.
Puis Petra, à cause d'un salaud qui prêche un génocide hypocrite.
Une seule larme coule sur ma joue, alors que Kam pose doucement sa main sur la mienne. Sa peau est brûlante.
— Syna. Je ne veux que ton bien.
— Alors dis-moi ce que tu connais. Tu as beaucoup de contacts parmi les androïdes, tu es capable de me trouver cette information... murmuré-je.
La barmaid a une hésitation, puis soupire et hoche la tête.
— D'accord. Je vais chercher. Mais rentre chez toi, lave-toi à l'eau brûlante et va dormir. S'il te plaît.
J'acquiesce mollement, simplement soulagée par sa réponse. Mes pensées s'arrêtent là, brièvement calmées. La fatigue m'assomme alors et ma tête heurte le bois avec un choc sourd.
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