Chapitre 1
Bonne lecture... <3
Le vent souffle bruyamment dehors. Je l'entends s'infiltrer dans les interstices du toit de tôle. Je sais que le soleil d'hiver perce à peine la couche nuageuse, puis vient s'échouer sur le béton et le métal. Il baigne toute la ville dans une lumière claire, quoiqu'un peu froide, presqu'irréelle.
A l'intérieur règne une douce tiédeur confortable, de celles qui s'enroulent autour des corps et les cajolent dans un cocon où le temps paraît se figer. C'est la sensation que j'ai en cet instant, allongée sur mon lit, les yeux clos. Mais cette quiétude est bien vite rompue.
Message entrant. Statut : prioritaire.
Je soupire. J'aurais dû désactiver les notifications...
— Syna !
— Je bosse...
Enfin, plutôt, je suis censée le faire, mais puisque personne ne fait appel à mes services depuis quelques jours, je commence à me demander si je ne devrais pas envisager une reconversion. Comme serveuse, ou réparatrice de robots dans l'atelier qui se trouve en bas des escaliers. Mais avant de songer à une situation aussi dramatique — je hais le cambouis—, lisons ce message qui a eu l'audace de me réveiller. Peut-être sera-t-il mon salut.
Lentement, je me redresse et presse ma tempe de l'index, encore engourdie de sommeil. Le texte se met à défiler dans mon champ de vision, petites lignes de lettres bleues en surbrillance.
Message adressé à : Chasseuse n°26, Miss-S.
Message envoyé par : M. Krumm, Gouverneur de Berlin-Zwei.
Je fronce légèrement les sourcils. Le Gouverneur ? C'est peu commun.
Miss-S. Nous avons une mission pour vous. Il s'agit d'une tâche d'une importance capitale. Si vous l'acceptez, vous serez rémunérée gracieusement, et contribuerez à notre société. Si vous la refusez, veuillez nous renvoyer ce message sans délai. Les données liées à cette missive s'effaceront de vos mémoires.
Tant de mystère, de protection, de précautions... Un frisson ravi m'agite et je m'apprête à lire la suite avec curiosité.
— Syna, arrête de dormir !
— Je bosse, bordel !
Mon hurlement ne persuade visiblement pas mon interlocutrice.
— T'as rien eu depuis une semaine alors ramène-toi ou je te fous à la porte !
Je lève les yeux au ciel, peu impressionnée. Petra ne m'a jamais laissée dormir dehors depuis que j'ai commencé à squatter son grenier. Parfois, je descends l'aider dans son magasin de mécanique/garage/atelier/entrepôt de pièces détachées. Mais ce n'est pas mon métier : je suis enregistrée auprès du gouvernement comme « chasseuse », terme assez imagé pour désigner mes activités de hackeuse légale. Je récupère des données, je pénètre dans des systèmes, tout cela pour des clients qui me payent en échange et qui assurent bien entendu le cadre légal de mes activités. Je ne fais rien d'illégal, même si ça n'a pas toujours été le cas. Pour l'instant, je vis de ces services, mais la dernière semaine fut très pauvre en demandes. D'où mes réflexions sur ma reconversion.
Cependant, ce message reçu il y a quelques instants pourrait me mettre à l'abri du besoin pour un moment.
Je me concentre et affiche la suite du texte. Les lettres codées tapissent ma vision et je souris. Vraiment, ils prennent tant de précautions... Qu'est-ce que ça cache ? Ils ne vont certainement pas me demander de nettoyer un de leurs immenses serveurs obsolètes, cette fois.
Je m'empresse de décoder le message grâce à la clef fournie et m'étends sur le matelas, les mains croisées sur le ventre. Alors, nettoyage de serveur ou mission intéressante, monsieur le Gouverneur ?
Mission : identifier l'émetteur d'un virus informatique qui attaque les SEN. Conséquences de l'infection : fuites de données.
>> Nous ne disposons à l'heure actuelle d'aucun moyen de bloquer l'attaque de ce virus. Il progresse lentement, mais il s'agit d'une situation préoccupante.
>> Trouvez le criminel responsable de ces failles dans la protection des données personnelles.
>> Un SEN infecté vous attend au Reichtag. Le code à donner à la sécurité est le suivant : SVoKfZZ87400.
>> Confirmer <<
— Wow.
Je reste interdite un instant, alors que l'icône « Confirmer » scintille.
Non, ce ne sera pas le nettoyage d'un serveur. Et ce message est un véritable scoop... Les SEN sont réputés impénétrables. Et heureusement, puisqu'ils sont directement reliés au cerveau et au système nerveux de leurs hôtes.
Quelqu'un aurait découvert un point faible et s'amuserait à dérober des données ? Que les autorités souhaitent s'en débarrasser est parfaitement compréhensible... Qui sait ce qui se cache dans leurs mémoires ? Sont-elles remplies de jolis petits secrets ?
Plus que cela, me raisonné-je, ce virus menace la ville entière.
Je me redresse et pose mon menton dans ma paume, les coudes sur les genoux. Traquer ce virus ne se fera pas sans difficultés si le Gouverneur en est réduit à faire appel à une chasseuse. Les autorités possèdent leur panoplie d'experts, d'informaticiens, de médecins, de chirurgiens... Moi, je ne suis qu'une hackeuse repentie. Même si, avouons-le, entre nous, je suis plutôt douée.
Il y a quelques mois, j'aurais sans doute été tentée de fourrer mon nez dans cette affaire pour mon propre compte ; après tout, peut-être y a-t-il quelques petites choses à apprendre de ce virus capable d'infiltrer des SEN, de passer outre les filets et les murs se dressant autour des données convoitées, de percer les barrières numériques les plus puissantes...
Je soupire et secoue la tête. Non, c'est terminé tout ça. Je ne referai pas les mêmes erreurs que par le passé.
Je me lève et attrape ma veste de cuir délavé, la passe par-dessus mon t-shirt puis saute dans mes bottines. Je sors du grenier me servant de chambre, dévale les escaliers et choppe dans le mouvement mon sac que je passe en bandoulière. En bas, les odeurs d'essence et de graisse saturent l'atelier ouvert sur la rue où passent des Berlinois pressés.
— Toi ! C'est pas trop tôt !
J'offre un sourire insolent à la patronne du commerce de mécanique. Les poings sur les hanches, elle me fixe d'un regard rouge intense.
Oups.
— J'ai reçu un message pour le travail, déclaré-je rapidement dans l'espoir de la calmer.
— Ah oui ? Ça ne te dispense pas d'aider de temps en temps, ingrate. T'as rien à faire en attendant tes missions ! Je te nourris, te loge, et j'ai quoi en échange ? Le privilège de voir ton petit cul foutre le camp pour ne revenir que lorsque le repas est prêt ?
— Désolée, Petra...
La mécanicienne renifle, peu convaincue. Ses longues mèches brunes méchées de gris passent devant son regard redevenu bleu. Un sourire dédaigneux courbe ses lèvres alors qu'elle s'approche de moi, le doigt levé et barbouillé de graisse noire.
— Quand tu seras de retour, ramène au moins des courses. On arrive à court de protéines pour le fabrique-steak.
« Fabrique-steak » se nommant en réalité « Catalyseur de tissus organiques à visée alimentaire », mais Petra ne s'embarrasse pas de mots inutiles.
Je prends le billet qu'elle me tend avec un sourire, alors qu'elle dégaine ce qui ressemble à une disqueuse crantée surmontée d'une perceuse où elle a visiblement greffé quelques clefs anglaises. Le tout me fait penser à un couteau suisse excentrique, mais je ne dis rien, habituée aux outils étranges qui parsèment son atelier.
Petra se détourne et se dirige vers un petit robot en forme de poney stylisé, juché sur des roulettes roses, alors que je sors dans la rue.
Je rattache rapidement mes cheveux et débouche à la lumière du soleil. Les rayons se font timides sur ma peau, comme une caresse à peine tiède. Fourrant le billet dans ma poche, y laissant ma main, je me mets en route vers le Reichtag.
Voyons voir ce qui va me faire gagner mon salaire du mois... Merci, petit hacker, songé-je ironiquement.
« Merci », hein ? A croire que l'avenir aime me la faire à l'envers.
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