Je n'aurais jamais pensé que les couloirs de la Demeure pourraient un jour être un labyrinthe pour moi. Pourtant, là, je ne sais plus où je suis. J'ignore jusqu'à l'étage où je me trouve, comme si tous mes repères géographiques habituels avaient été retirés.
J'avance à tâtons, main droite contre le mur comme je l'ai si souvent entendu. À l'exception faite que je ne suis pas dans un labyrinthe, mais dans un château au milieu de nulle part, entourée de membres d'une secte qui m'a pris mon père.
Cette fois, les grincements et le bruit du vent entre les pierres me fait frissonner de peur. La Demeure, qui jusque-là avait été comme une seconde maison pour moi, m'effraie tant que j'en perd mon calme ordinaire. Je me force à respirer posément, tout en continuant à mettre un pied devant l'autre. L'obscurité m'étreint, me fait redouter la suite.
Étrangement, je ne sens aucune intersection, comme si le chemin suivait un but précis, qu'il voulait m'emmener quelque part. Plus j'avance et plus il se rétrécit. Je suis déjà à quatre pattes quand un éclat lumineux me fait plisser les yeux. Mon cœur se met à battre plus rapidement, espérant une sortie. Je tente de le ralentir, pour prévenir la déception, et accélère le pas. Mes genoux râclent le sol, la pierre écharpe mes mains, mais je n'y fais plus attention. Je me concentre sur la lumière et avance, encore et encore...
Une luminosité soudaine me fait porter la main à mes yeux et il me faut quelques secondes pour retrouver une vision normale. Je me retourne tant bien que mal, j'aurai sûrement des dizaines de bleus demain, et glisse mes jambes par l'ouverture étroite avant de m'extirper complètement de l'obscurité.
Sous mes pieds, je retrouve le reconnaissable tapis rouge qui couvre les couloirs des étages dortoirs. Reste à savoir si je suis au premier, avec les carreaux et les cœurs ; ou au deuxième, avec les trèfles et les piques. Derrière moi, la sortie du couloir obscur a disparue, comme par magie, mais je sais que c'est l'œuvre de la Demeure. Face à moi, l'immense escalier semble vouloir me rappeler que des participants peuvent arriver à tout moment.
Les caméras sont à peu près au même niveau dans les deux couloirs, ce qui me facilite la tâche pour les éviter. Je m'assure toutes les cinq secondes que ma capuche couvre bien ma tête. Je ne me suis jamais retrouvée aussi à découvert depuis le début de l'émission. Mon esprit me rappelle sans cesse que le moindre faux pas peut me coûter cher.
J'avance à petits pas rapides, silencieusement. J'ai opté pour la gauche. Pique ou Cœur. Je ne sais pas encore. Je me souviens d'un passage dans la salle de bain, que j'utilisais avant l'arrivée des garçons. Si j'arrive à le rejoindre, je pourrais remonter tranquillement dans ma chambre. Arrivée à quelques mètres de la dernière pièce, des bruits de pas et de discussion animée résonnent dans le couloir.
Une boule se niche au creux de mon ventre et remonte dans ma gorge. Je me force à respirer calmement, sans pouvoir dévier mes pensées de l'idée que dans quelques secondes ils seront là et alors, adieu Star.
Sans réfléchir plus longtemps, je m'élance et ouvre la porte la plus proche avant de m'engouffrer dans la pièce. Tant pis pour le bruit, si personne ne m'a vue, tout va bien. J'ai fait de mon mieux pour éviter les caméras de sécurité et au pire, on me prendra pour un des garçons. Adossée à la porte, je tends l'oreille et tente de calmer mon cœur. Ces poussées d'adrénaline ne sont décidemment pas faites pour moi.
— Salut.
Je sursaute et manque de faire un arrêt cardiaque. Face à moi, allongé sur le lit, un des participants me fait face. Et merde. Je tourne la tête et aperçoit un masque noir sur le bureau, juste à portée de ma main. Sans trop savoir ce que je fais, je l'attrape et le colle sur mon visage avant de me tourner vers l'occupant de la chambre. Je le reconnais tout de suite. Néo. D'un geste machinal, je rajuste ma capuche pour m'assurer qu'elle couvre bien mon visage.
— Tu ne m'as jamais vue, jamais entendue, je ne suis jamais venue ici et ce n'est qu'une hallucination créée par ton esprit parce que tu étais trop pris dans ton roman.
Il se redresse, observe la couverture de son livre et me réponds, bien trop calmement par rapport à mon ton pressant :
— Je ne suis pas certain que Baudelaire ait déjà écrit à propos de filles qui se faufilent dans la chambre des garçons en les menaçant, mais d'accord.
Il attrape son marque-page et le pose délicatement dans l'ouvrage avant de se tourner vers moi et de m'observer plus attentivement. Il lève un doigt vers mon visage et je prends conscience que je devrais être partie depuis bien longtemps. Au lieu de ça, je l'observe me faire son numéro.
— Au fait, c'est à moi, ça. Mais tu me le rendras quand tu n'en auras plus besoin, si tu veux.
Je porte une main à mon visage et rencontre une matière froide. Le masque. Je l'avais presque oublié. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. S'il me permet de garder mon anonymat, tant mieux. De toute façon, ce n'est pas le moment de chercher un miroir.
Je prends une grande inspiration et colle mon oreille à la porte en tournant le dos à Néo. Je ne peux pas me permettre de prendre le passage de sa chambre sous ses yeux, il faut absolument que je retourne dans le couloir. Derrière la porte, à quelques mètres si j'en crois le volume, des rires et des voix résonnent. Je soupire. Je ne suis pas près de sortir d'ici s'ils restent au milieu du couloir.
Un souffle derrière moi me fait pivoter et je me retrouve face à face avec Néo. Je ne peux pas reculer et il n'a pas l'air de vouloir s'écarter non plus, alors je me force à le fixer droit dans les yeux. Enfin, dans celui que j'aperçois du moins. J'ai presque envie de dégager sa mèche de son visage pour dévoiler entièrement son regard, observer quelqu'un avec un œil unique est assez déstabilisant.
Après quelques secondes, il déclare :
— Tu es venu ici pour observer nos corps de rêve ? Ou, ce qui me paraît le plus logique, tu es ici pour une toute autre raison ?
J'affiche un petit sourire et lui répond doucement, en faisant un pas en avant :
— Qu'est-ce qui te dit que je ne suis pas venue pour te soutirer un baiser ?
Il pose un doigt sur le masque qui n'a pas bougé de mon visage et je me force à ne pas remuer, alors que mon premier réflexe aurait été de lui attraper le poignet. Si je fais quoi que ce soit de trop violent, ça risque de se retourner contre moi. J'ignore pourquoi il ne l'a pas encore fait, mais il peut crier à tout moment et faire rappliquer les autres participants. C'est tout sauf ce dont j'ai besoin dans cette situation.
— Ce masque. Dès que tu m'as vu, tu l'as attrapé, comme pour cacher ton visage. Pourquoi une... fan (il prononce ce mot avec un légère grimace) voudrait dissimuler son identité ? À mon avis, tu n'as rien à voir avec une admiratrice. En plus, elle se serait jetée dans mes bras plutôt que de rester collée à la porte pour guetter une échappatoire. D'ailleurs, tu es habillée tout en noir, capuche sur la tête. Tu ne veux pas te faire repérer et il y a une bonne raison à ça.
— Ok, petit génie et c'est quoi cette raison ?
— Je ne sais pas, mais si tu me le dis, je t'aide à sortir d'ici.
Je lâche un ricanement peu amical. Je n'avais jamais approché un participant d'aussi près et cette rencontre ne me donne pas envie de retenter l'expérience. En dehors d'Elias, bien sûr. Pourquoi Néo se la joue-t-il si intelligent ?
— Je n'ai pas besoin de toi pour sortir d'ici.
J'espère que mon ton froid le décidera à laisser tomber, mais c'est peine perdue. Il est aussi têtu que moi.
— Ils ne partiront jamais d'ici et même s'ils le font, ils n'iront pas loin. Avec toutes ces caméras qui t'ont vue rentrer dans ma chambre quelques minutes après moi, sans que j'en sois ressorti, je doute que tu sois vraiment passée discrètement. À ta place, j'accepterais. Je ne te demande pas grand-chose en échange, en plus.
Je soupire et reporte le regard sur le lit derrière lui. Si j'accepte, qui sait ce qu'il va me demander en échange ? Et d'un autre côté... Un nouvel allié ne me ferait pas de mal. Elias n'a plus les mêmes capacités depuis qu'il a quitté la compétition. De toute façon, je suis bloquée ici tant que les autres n'ont pas dégagé le passage.
L'exemplaire des Fleurs du Mal de Néo est toujours posé sur les draps. Comme le disait si bien Baudelaire : « Dans la brute assoupie, un ange se réveille ».
— D'accord, je dis. Qu'est-ce que tu veux en échange ?
Il tend une main vers moi et sourit.
— Je veux que tu me dises ce que tu sais sur la Demeure.
Je serre sa main et scelle notre pacte d'une phrase.
— Ce soir, minuit, je viendrai te chercher. Tiens-toi prêt.
~~~
Ça y est.
Star est découverte.
Que pensez-vous que Néo va faire ? Va-t-il en parler aux autres ? Ou va-t-il garder la présence de cette fille dans le château pour lui ?
N'hésitez pas à me donner vos pronostics sur la fin de ce tome et/ou ce que vous aimeriez voir par la suite 🤭
Bonne semaine ☀️
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