39. Il est temps de se jeter à l'eau
Alexandre dégage quelque chose d'étrange. Lorsqu'il est près de vous, une sensation d'étouffement vous saisit, comme si vous étiez trop petit, trop faible face à lui. Comme s'il pouvait vous détruire d'un regard. C'en est presque plus puissant que Jasper, parce que, Alexandre, son visage ne montre rien de tout cela. Il n'est certes pas très souriant, mais rien dans sa voix ou ses gestes ne laisse présumer le monstre qui se cache en lui. Il faut l'écouter attentivement pour percevoir tout ce qu'il ne dit pas réellement, tout ce qu'il cache entre les lignes de ses monologues.
- Lucas ! Attention !
Je tourne la tête et, avant d'avoir pu comprendre ce qui m'arrive, me retrouve face contre terre.
- Bon sang ! Tu as des réflexes vraiment nuls.
Je me relève et fixe Alexandre, debout devant moi, qui lève les yeux au ciel. Félix nous a laissé seuls tous les deux. Il ne nous a pas servi d'excuse bidon, du type « Mince, je viens de me rappeler que j'ai un truc tout à fait urgent à faire et j'ai totalement oublié. » ; non, ça n'est pas du tout son genre. En revanche, il nous a bien fait comprendre que nous avions quelque chose à régler, tous les deux, même si j'ignore encore quoi réellement.
- À ton avis, c'est quoi ce truc entre nous, qu'on est censé régler ?
Alexandre se fige et m'observe un instant. Non pas pour me juger, comme il le fait d'habitude, mais plutôt pour me jauger. Comme s'il cherchait à décider si je suis digne des mots qu'il va m'adresser, ou non. Il doit encore hésiter, parce qu'il me lance, comme une énigme :
- J'avais prévenu Elias.
Malgré moi, mes sourcils se soulèvent. Je ne suis pas certain de comprendre ce que veut dire Alexandre, pour le coup. Prévenu Elias pour quoi ? Ou de quoi ?
Comme s'il percevait mes questionnements, Alexandre soupire et s'assois à même le sol, on dirait que me répondre le fatigue déjà.
- Pour te répondre... commence-t-il.
- Je ne t'ai posé aucune question.
Si le fait que je le coupe de la sorte le dérange, il n'en laisse rien paraître et répond avec sa nonchalance habituelle :
- Tes yeux l'ont fait à ta place.
Ses réponses sont toujours aussi étranges. Je m'assois face à lui. Même à terre, la différence entre nous se fait sentir, immense. Alexandre occupe toute la place, comme si le maître des lieux, c'était lui. Moi, au contraire, je cherche à me faire tout petit, comme si je n'avais rien à faire ici. Ce qui n'est sans doute pas totalement faux.
- J'ai prévenu Elias, répète-il. Je lui ai dit que nous étions ennemis. Que tous ceux qui sont ici étaient ses ennemis. Je lui ai rappelé que ceci n'était pas un stage de vacances, mais une compétition entre seize personnes. Une bataille, même. Une guerre.
Je ne réponds rien. Qu'est-ce que je pourrais dire ? Qu'il a tort ? Ce serait mentir et il le sait.
- J'aurais peut-être dû te le dire à toi aussi. Elias et toi, tous les deux, vous avez eu le malheur de vous dresser contre Jasper. Je l'ai vu dans son regard. Crois-moi, tu es le prochain sur sa liste.
S'il croit m'effrayer ou m'apprendre quelque chose, il se trompe vivement. Ses paroles ne font que réveiller un sentiment de peur enfoui en moi depuis plusieurs jours.
- Je sais déjà tout ça.
Il hoche la tête et m'adresse un léger sourire. Venant de sa part, un sourire et tout sauf un signe de bonne augure.
- Je sais que tu le sais. Tu en es encore plus conscient que moi. Je me tiens à l'écart depuis le début, mais chaque nouveau départ me met un peu plus sur le devant de la scène. Je vais bientôt devoir entrer en piste. Je tiens juste à m'assurer que j'ai toutes les armes en ma possession avant de commencer à me battre.
Il pose son doigt sur le sol et dessine une ligne imaginaire entre nous. Je ne sais pas s'il le fait consciemment ou non, mais ce geste et les mots qui le suivent résonnent trop profondément en moi pour que je songe à les oublier un jour.
- Elias et toi, vous êtes bien trop gentils. Vous croyez encore que le monde est rempli de magie et de miracles. Pourtant, et c'est sans doute ce que j'ai le plus de mal à saisir, vous avez vécu des choses terribles.
Il redresse la tête, quitte la ligne du regard, la faisant disparaître de son imagination et vrille ses yeux aux miens.
- Comment pouvez-vous songer encore une seule seconde que le monde est beau et que la vie vaut la peine d'être vécue ?
Sa question m'ébranle plus que je ne lui avouerai jamais. Je m'efforce de lui répondre, le plus posément possible :
- Quelques fois, on s'efforce de vivre pour les personnes qui nous aiment. Parce qu'on n'a pas le droit de partir avant elles.
Alexandre pince les lèvres et se lève doucement. Sans me regarder, il ajoute :
- Et comment on fait quand personne ne nous aime ?
Je tente de ne pas m'appesantir sur le tremblement qui a ponctué sa phrase et réponds spontanément :
- On reste pour les personne qu'on aime, nous. Ce sont elles qui nous font encore croire aux miracles.
Un sourire triste étire les lèvres d'Alexandre qui ne me regarde toujours pas. Fuir le regard des autres n'est pourtant pas dans ses habitudes.
- Cole a de la chance de t'avoir.
Je souris à mon tour, plus sincèrement.
- C'est surtout moi qui aie de la chance de l'avoir.
Je me relève tandis qu'Alexandre attrape son sweat et se dirige vers la sortie. Je lui emboîte le pas et, juste avant d'ouvrir la porte, il se retourne et me dit :
- Vous méritez vraiment d'exister, Elias et toi.
Je reste figé, incapable de le suivre alors qu'il disparaît dans le couloir. Félix avait raison, nous avions quelque chose à régler tous les deux. J'étais cependant loin de m'imaginer que ça se finirai comme ça. Un détail me frappe plus que tout ce qu'il m'a dit, ses paroles se mélangeant en un brouillard insaisissable dans mon esprit : il n'a cessé de citer Elias. C'est comme si celui-ci avait brutalement changé toute la vision du monde qu'avait Alexandre. Comme s'il avait su toucher Alexandre là où il se croyait protégé par sa carapace.
- Lucas !
Le sourire de Cole envahi mes pensées et il me saute au cou avant de m'étreindre. Ses cheveux humides me chatouillent. Je peux sentir l'odeur du chlore mélangée à son parfum habituel. Il est encore plus mignon comme ça. J'ignorais que c'était possible. Je ne peux pas m'empêcher de l'embrasser.
Ses mains se glissent dans les miennes tandis que l'espace autour de nous disparaît. C'est peut-être lui mon portail, après tout.
Lorsqu'on se détache, il ne perd pas de temps et m'entraîne derrière lui. Je le suis sans poser de questions. Nous nous mettons à courir à travers les couloirs et ce n'est que lorsque nous arrivons devant la porte d'entrée que je commence à m'interroger sur l'endroit où Cole est en train de m'emmener.
Il lâche ma main, s'appuie sur la grande porte sur l'ouvrir et s'écrit :
- Allons danser sous la pluie !
Je ne peux retenir l'immense sourire qui se dessine sur mes lèvres et suis Cole qui m'entraîne sous l'averse. Sans lui, je n'aurais même pas su qu'il pleuvait. Les bras levés, hurlant sous l'averse, j'ai la sensation de n'avoir jamais été aussi près de Cole qu'à cet instant. Mes pieds s'enfoncent dans l'herbe et la terre mouillées, nos cris s'échappent sous les nuages, mais je n'y prends pas garde. Tout ce qui compte en ce moment, c'est Cole, son sourire, sa joie, ses yeux qui se plissent et mes lèvres qui se collent aux siennes sans s'arrêter.
Tout autour de nous est gelé. La pluie me frigorifie, je tremble sous mes vêtements détrampés par l'eau. Mais la bouche de Cole contre la mienne, nos souffles qui se mélangent, ses mains sur mes hanches, tout brûle plus fort que le soleil.
J'ai envie de l'embrasser jusqu'à ce que le ciel se taise, jusqu'à ce que la nuit tombe, jusqu'à ce que le monde meure et qu'il ne reste que nous en vie. Ensemble à jamais. Comme deux amants liés à l'infini.
Mais mon nom, qui retentit encore, trop fort sous la pluie qui arrose nos lèvres, brise la magie.
- Lucas ! Il faut que tu viennes ! Maintenant ! Ta mère a appelé ! C'est ton grand-père ! Tu dois rentrer, tout de suite !
Et alors, tandis que ces mots se fraient un chemin dans mon esprit, je ne sais plus si je tremble à cause de la pluie et du froid ou à cause du terrible présentiment qui me saisit et que même la voix de Cole ne parvient pas à faire fuir.
~~~
Coucouuu
La fin de rapproche dangereusement 😭 On en apprend un peu plus sur Alexandre dans ce chapitre, que pensez-vous de ce personnage ? À quoi vous fait-il penser ?
Je vous retrouve dans une semaine pour un nouveau chapitre, profitez bien ☀️
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