31. Elias, disons que je ne la déteste pas
Dire que je ne l'aime pas serait un mensonge. En réalité, elle est très gentille. D'ailleurs, il paraît qu'elle m'a sauvé d'une mort certaine. C'est encore à prouver, mais une petite voix ne cesse de me souffler que c'est la vérité.
En fait, le seul problème, c'est son visage. Comment faire confiance à quelqu'un dont le visage nous est tout à fait inconnu ? Les yeux, le nez, la bouche... C'est ce qui fait tout l'être humain. Comme on le dit si bien, les yeux sont le miroir de l'âme. Comment puis-je m'assurer de ses intentions sans voir les mimiques qu'elle effectue sous sa capuche sombre ? D'ailleurs, comment veut-elle que j'accepte de lui faire confiance si elle-même n'accepte pas de me montrer sa tête ?
Elle s'arrange toujours pour garder son visage dans l'ombre, même lorsqu'elle n'est qu'à quelques centimètres de moi. Sans arrêt, elle rajuste ses cheveux, sa capuche, les lumières. C'est à peine si son nez dépasse de toute cette obscurité ! Tous ces secrets m'agacent au plus haut point.
Si seulement elle se contentait de me cacher son visage, peut-être que je pourrais faire un effort, mais je sens bien qu'il y a plus que ça. D'ailleurs, je ne sais même pas ce qu'elle fait là. Elle s'est décrite comme une grande fan de l'émission qui a voulu venir nous voir de plus près et qui m'a aidé lorsqu'elle m'a vu en danger parce que j'étais son préféré. Mon œil, tiens. Elle ne m'aura pas avec si peu. Je sais reconnaître les menteurs presque aussi bien que les faux skateurs. Bon, c'est un peu la même chose, c'est vrai.
J'ai beaucoup de mal à croire que ce soit la véritable raison de sa présence et j'ai autant de mal à croire que Star est son vrai prénom. Peut-être à cause de l'étrange sensation de déjà-vu qui m'a saisie la première fois qu'elle m'a parlé. Même si cette impression s'est estompée depuis, j'ai eu la sensation d'avoir déjà entendu sa voix quelque part.
Tant qu'elle ne me dira pas tout, je ne pourrai m'empêcher d'imaginer qu'elle est de mèche avec Snakelace. Peut-être que tout ceci fait en réalité encore partie de l'émission. Je dois rester sur mes gardes et trouver quelqu'un à qui me fier dans tout ce fatras.
Cette lettre adressée aux Trèfles et signée de mon nom m'a plus déstabilisé que je ne l'aurais cru. Je ne peux plus faire confiance à personne. Pas tant que j'ignore lequel des candidats à rédigé cette fausse lettre.
Star vient de partir. J'ai l'impression qu'elle passe ses journées à espionner les participants. En fait, non. Ce n'est pas une impression, c'est un fait. Il n'y a qu'à observer sa chambre pour en être certain.
Les murs et le sol se mettent à trembler, à nouveau. Je ferme les yeux et m'agrippe au pied du lit. Il y a vraiment quelque chose qui cloche avec ce château. Lorsque les secousses cessent, je me relève et m'assois sur le matelas. Je me demande bien où Star a récupéré tout ce mobilier et, surtout, comment elle a découvert cet endroit. Cette fille est définitivement suspecte.
Je me tourne vers le mur, couvert de feuilles de papier et de photos de nous. Enfin, des participants. Je n'en fais plus partie maintenant. Même dans son sommeil, on dirait qu'elle pense à nous. Finalement, elle est peut-être vraiment une grande fan de l'émission.
Qu'est-ce qu'elle m'a dit, déjà ? Ah, oui, je dois l'aider à trouver qui sera le prochain éliminé pour le sauver. Cette demande, ou plutôt cet ordre, me fait encore ricaner. Sérieusement, cette meuf se prend pour une super-héroïne. En plus, je vois mal de quoi elle voudrait nous protéger. Du monde extérieur ? D'une future météorite ? D'une invasion d'aliens ? D'une attaque de zombies ? Faites-moi rire.
Je m'approche des photos. Elle aurait pu en choisir des mieux. Sincèrement, celles que Snakelace a prises sont les pires images que je n'ai jamais vu. Heureusement que nos followers savaient déjà à quoi nous ressemblions, sinon tous les spectateurs nous auraient pris pour des monstres.
J'examine chaque visage, retrouve des airs familiers, d'autres un peu moins. Je prends le temps d'observer chaque trait et chaque imperfection des participants. Les photographies s'arrêtent au buste, mais c'est bien assez pour saisir la personnalité de chacun, surtout avec ce que je sais déjà d'eux.
On ne connaît jamais vraiment un skateur avant d'avoir vu sa planche. On aura beau l'avoir vu dix fois, lui avoir parlé pendant trois heures, on ne saura jamais qui il est réellement sans avoir examiné consciencieusement son skate. Chaque dessin, chaque rayure, chaque impact, en dit cent fois plus que des paroles échangées.
Je suppose que c'est à peu près pareil dans la vraie vie : tant qu'on n'a pas exploré le visage de quelqu'un attentivement, on ne pourra jamais savoir qui il est vraiment. Même s'il nous a peint, qu'il rigole à nos blagues ou qu'il nous a confié sa vie.
Je chasse ces idées de mon esprit et me reconcentre sur les clichés devant moi. Star les a rangés par équipe. Je m'approche des Trèfles. Sur mon visage, une gommette verte écrase mon nez. Je plisse les yeux. On dirait qu'il y a quelque chose d'écrit derrière. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je détache l'image du mur, en prenant soin d'en noter l'emplacement exact pour que Star ne remarque pas que je l'ai bougée quand je la replacerai. On ne sait jamais.
Je me rassois au bord du lit et retourne la photo. Des lignes d'écriture manuscrite s'alignent sur tout l'espace libre. Les lettres sont rondes et légèrement penchées, les mots séparés par de grands vides. Star s'est appliquée, même si on voit bien qu'elle a écrit vite ; aussi, je n'ai aucun mal à déchiffrer ce qu'elle a rédigé :
Elias M... Né le 12 août 20 ??, 17 ans
Il n'a pas l'air de s'en rendre compte, mais chaque fois qu'il entre dans une pièce, tous les regards se tournent vers lui. Il a le don de mettre les gens à l'aise, de forcer le monde à lui obéir. C'est le genre de garçon qui cherche sans cesse sa place, mais qui considère que c'est à lui de la créer. Sa place n'est pas quelque part sur Terre, elle est quelque part entre ses mains.
Il n'a pas honte de lui, il aime faire rire les autres, même s'ils rient de lui. L'humour est son crédo, il lance des blagues à tout va, juste pour espérer étaler un sourire sur les lèvres des gens qui lui font face.
Elias est le genre de personnes dont on ne se rend compte qu'elles sont si spéciales qu'une fois qu'elles sont parties. Le genre de personnes qui pensent que nul ne les remarque, nul ne les apprécie, parce qu'on n'a pas le temps de se rendre compte de tout ce qu'elles nous offrent et de les remercier pour ça. Il donne, sans rien attendre en retour. Parce que c'est ça la vie, pour lui : sourire, toujours. Faire sourire les autres, sans cesse, quitte à se briser.
Elias rêve d'un monde où il pourrait chanter, danser, éclater de rire au milieu de la rue sans que personne ne le regarde de travers. Et même mieux, d'un monde où les passants viendraient le rejoindre pour vivre avec lui cette existence qu'ils ont oubliée. Il songe souvent que les adultes ne sont pas assez fous. Pourquoi, dépassé un âge, on n'a plus le droit de sauter dans les flaques, plus le droit de donner libre cours à son esprit devant les autres, plus de droit de vivre sans avoir à se soucier des regards extérieurs ?
Qui a décidé que l'âge adulte devait comprimer chaque mouvement de joie trop fort, chaque pas de travers, chaque parole hors de la ligne ? Qui a décidé que la vie ne devait suivre qu'un seul chemin et qui a décidé de le suivre en premier ?
Elias est le genre de personne dont le monde aurait bien besoin. Mais il se restreint, comme les autres, parce que les gens autour de lui le regardent trop mal, qu'ils le jugent, et que, parfois, ces regards sont trop forts. Plus forts que nous. Et qu'ils nous font sombrer bien malgré nous.
Je ne me rends compte que je pleure que lorsqu'une larme s'écrase sur les derniers mots. Merde, alors. Cette fille est trop forte. Je tente de reprendre le contrôle de mes émotions quand la pièce se remet à trembler et que la porte s'ouvre en coup de vent.
Je n'ai pas le temps de cacher la photographie avant que Star ne s'engouffre violemment dans la chambre et se poste face à moi, essoufflée. Heureusement, elle n'a pas l'air de s'intéresser beaucoup à ce que je tiens entre les mains. À la place, elle hurle :
— Elias ! Cole et Lucas sont ensemble !
Ensemble ?
J'en lâche ma photo. Ben mince, alors !
~~~
Bonjour / Bonsoir !
Ce chapitre arrive un peu en retard, mais j'espère que son contenu permettra de me faire pardonner 🤭
Dites moi tout : votre avis, vos ressentis, votre amour pour Elias /20
(Pour moi ce sera un mariage/20 😌)
Bisous et à bientôt ❤️🖤
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