Je m'oblige à descendre au sous-sol, mon livre entre les mains, même si j'ai tout sauf envie de cuisiner avec les deux super-glues qui ne me lâchent pas d'un pouce. Lorsque j'ouvre la porte de la cuisine, il est encore tôt et la préparation du dîner ne commence pas avant une heure. Juste le temps qu'il me faut pour mitonner une quiche Lorraine, en comptant la cuisson.
Je m'avance et repère le cuisinier au fond, la tête plongée dans un des larges réfrigérateurs, sans doute en train de chercher quoi faire pour le repas de ce soir. Je m'approche et lance :
— Bonsoir !
Le cuisiner sursaute et s'écarte avant de claquer la porte et de se tourner vers moi. Son visage s'illumine tout à coup.
— Lucas ! Je t'ai déjà dit de me tutoyer, voyons.
Il se penche sur le côté et observe Néo et Friedrich avant de me demander en les désignant d'un mouvement de tête :
— De nouveaux amis ?
— Je n'ai pas d'amis.
Il éclate d'un rire franc et pose un bras autour de mes épaules pour m'obliger à faire face aux deux Piques. Je retiens un soupir et me force à sourire, rictus qui n'a pas l'air de contenter le cuisinier, puisqu'il s'exclame :
— Comme l'indique ma grosse bedaine, je suis le cuisinier de ce château. Je m'appelle Jérémie, mais certaines personnes me surnomment Garfield.
J'ai l'impression qu'il jette un léger coup d'œil vers le mur en terminant sa phrase, mais son regard revient si vite vers nous que je me demande si je n'ai pas rêvé. En tout cas, il ne m'avait jamais parlé de ce surnom. J'aimerais bien savoir qui a eu l'idée de lui donner un nom pareil.
Néo affiche un grand sourire et tend une main que Jérémie s'empresse de serrer.
— Moi, c'est Néo. Et lui, c'est Friedrich, ajoute-il en désignant celui-ci dans son dos.
L'intéressé se contente d'un léger geste de la main et continue son exploration minutieuse de la cuisine, ses yeux ne semblant pas s'arrêter une seule seconde sur ce qui l'entoure mais tout englober d'un seul coup.
Je brandis le livre que je tiens dans les mains et déclare, à l'attention de Jérémie :
— Je voudrais faire une quiche Lorraine, si ça ne t'embête pas.
Il sourit et s'essuie les mains sur son tablier, libérant mon dos d'un poids au même instant. Je prends une grande inspiration avant de poser le livre sur le plan de travail et d'aller me laver les mains. Je sais très bien qu'il ne dira pas non, j'espère juste qu'il demandera à Néo et Friedrich de partir pour limiter le nombre de personnes dans la cuisine. Malheureusement, mes prières ne semblent pas avoir été entendues.
— Mais bien sûr ! Je suis sûr que tes nouveaux amis sont des as en cuisine, en plus. Vous pourrez peut-être m'aider à préparer le repas quand vous aurez fini.
Je lui lance un regard rempli de sous-entendus et demande :
— Tu n'as pas déjà des commis pour ça ?
Il me lance un clin d'œil, se penche vers moi et chuchote à mon oreille.
— Les caméras te surveillent. Saisis ta chance, Lucas. Ne te laisse pas distancer à cause de ton introversion.
Je ne saisis pas bien ce qu'il veut dire par « distancer », mais je décide de l'écouter et de rester ; sa première phrase bien ancrée dans la tête. Les caméras me surveillent. J'avance vers le lavabo, suivi par mes compagnons de ce soir. Jérémie a raison sur un point : mon introversion m'a déjà beaucoup coûté. Elias appréciait Néo, je n'ai plus qu'à faire de même. Je lui tends la serviette pour qu'il s'essuie les mains et il me retourne un sourire pour me remercier.
— Attendez moi là, je vais chercher ce qu'il faut. Prenez des tabliers, dans le placard du bas.
Je les observe fouiller au milieu du tas de tissus et m'éclipse vers l'un des frigos. Jérémie passe derrière moi et souffle :
— Tu t'en sors très bien, Lucas.
J'ignore pourquoi il est aussi gentil avec moi, mais je le remercie d'un sourire et retourne auprès des deux Piques, les bras chargés d'ingrédients. Je dépose tout sur le plan de travail et leur expose la recette. Elle n'est pas très complexe, rien qui nécessite trois paires de mains en tout cas, alors je demande à Jérémie s'il y a autre chose à préparer pour ce soir. Je me retrouve ainsi les mains pleines de sauce, à jongler entre une quiche lorraine et des lasagnes. Ici, au moins, je suis dans mon élément. Je ne me sens jamais aussi prêt à affronter la semaine qu'en ayant les doigts occupés à cuisiner.
Demain, je serai opérationnel pour la première émission de cette deuxième semaine. Prêt à gagner ma place pour un troisième round, même si cette idée implique qu'un autre que moi sera inévitablement exclu de la compétition.
Nous avons presque terminé lorsque Cole débarque dans la cuisine et hurle au milieu des bruits d'ustensiles :
— Lucas ! J'ai trouvé un truc ! Il faut absolument que tu vois ça !
Le voir fait naître un irrépressible sourire sur mes lèvres, que je dissimule tant bien que mal. Puis, il semble se rendre de compte de la présence de Friedrich et Néo et ajoute, plus doucement :
— Vous aussi vous pouvez voir, bien sûr.
Il me tend une feuille et je m'apprête à la prendre, mais c'est sans compter sur l'arrivée de Peter et Lysandre.
— Cole ! Arrête de courir partout comme ça !
Jérémie nous rejoint à ce moment-là et nous regarde d'un drôle d'air, les mains sur les hanches. On dirait qu'il essaie de se fâcher, mais sa gentillesse innée l'en empêche.
— Bon, les garçons, déclare-t-il. Ça commence à faire beaucoup de monde dans ma cuisine, je vais vous demander de partir. D'autres personnes vont commencer à arriver pour préparer le dîner et je ne vous veux pas dans nos pattes. Et rendez-moi ces blouses !
On lui sourit et je défais mon tablier avant de le poser dans ses mains. Je le remercie rapidement, comme à mon habitude, puis entraîne les autres dans le couloir.
— Où on va ? demande Cole.
— Dans le Salon ? propose Néo.
Tout le monde acquiesce d'un mouvement de tête et nous nous lançons à sa suite. Cole tient la feuille entre ses mains, si fort que je demande s'il ne risque pas de la déchirer. Elle doit être vraiment importante pour qu'il craigne ainsi de la lâcher.
On arrive enfin devant le Salon et Néo pousse la porte. Nous nous engouffrons comme un seul homme et nous asseyons sur les canapés bleus. Leur couleur m'étonnera toujours. Cole a l'air excité à l'idée de nous montrer sa découverte et il se dresse, debout, au milieu de la pièce. Il ouvre la bouche et secoue la feuille, désormais froissée, sous nos yeux. Nous nous penchons vers lui, prêts à l'écouter. Néo lève un doigt et nous rappelle la présence des caméras. Cela n'arrête pas Cole qui s'élance :
— Ceci, dit-il, est une lettre d'Elias.
Sa déclaration est accueillie par des cris de surprise, plus ou moins discrets. Elias ? Mon cœur se met à battre plus vite et je hurle pour me faire entendre :
— Lis la !
Il sourit et je souris à mon tour. Les plis à côté de ses yeux sont moins visibles à cette distance. Les autres garçons se taisent et Cole commence à lire :
— Salut. Je n'ai jamais su comment commencer une lettre, j'espère que vous ne m'en voudrez pas. Je vais aller droit au but, ça m'épargnera une tendinite au poignet.
Je lâche un gloussement, bientôt repris par Peter à côté de moi. L'humour d'Elias m'avait manqué.
— Vous savez tous que mon départ n'a rien d'hasardeux, continue Cole. À vrai dire, je suis certain que vous avez tous une idée de qui a poussé les spectateurs à voter contre moi. Mais peu importe. Si je suis parti, ça laisse quinze d'entre vous à la Demeure. C'est pour ça que je me dois de vous faire part de mes impressions.
Ce château est étrange. Logique, c'est un château (nous rions à nouveau), mais celui-ci à quelque chose de plus. Une obscurité qui m'a laissé sur mes gardes. Il y a des ombres qui se déplacent entre les murs et entre nous. Je les ai senties. Cette émission n'est pas juste une question d'argent, c'est aussi une question de pouvoir. Et qui a-t-il de plus facile à manipuler que seize jeunes garçons qui ne savent pas tout à fait ce qu'ils font là ? Il est encore plus simple de modifier leurs paroles et leurs gestes. Les images et les mots ne sont pas infaillibles, surtout avec une bonne connaissance de l'informatique. Ne l'oubliez pas.
Néo commence à chuchoter à l'oreille de Friedrich, qui hoche la tête. Peu à peu, les murmures se répandent et, bientôt, il ne reste plus qu'un large bourdonnement qui résonne à mes oreilles. Cole les fait taire d'un geste.
— Il dit aussi que... qu'il est plus facile de modifier les mots que les dessins, ajoute-il.
Avant que les murmures puissent reprendre, une voix s'élève derrière moi.
— Il écrit bien votre pote, dites donc.
Je me retourne et découvre celui à qui appartient cette voix.
Thomas.
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Bonjour à tous ! 🥰
Bienvenue aux nouveaux lecteurs 💕
Et aux autres, ravie de vous retrouver 🤭
Dans ce chapitre, c'est le retour de Garfield et Thomas ! (Mais où range-t-il donc sa cape d'invisibilité ?)
Mais ce n'est pas le plus important...
Que pensez-vous de cette lettre ? 👀
Et que croyez-vous que les garçons vont faire après ça ?
Vous le découvrirez dans le prochain chapitre !
En attendant, je vous souhaite à tous une belle semaine ❤️✨
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