19. Les livres délivrent
Son visage s'éteint, comme si j'avais appuyé sur un interrupteur imaginaire. Après quelques secondes qui me paraissent extrêmement longues, il finit par hocher la tête, difficilement.
Je m'en veux immédiatement d'avoir posé la question. Il y a certaines phrases, certains noms, qui prennent du temps à être entendus et j'aurais dû le savoir. Je tente de changer de sujet :
- Alors, tu lisais quoi ?
Il relève la tête et me montre la couverture en me fixant, ce qui a le don de me mettre mal à l'aise. J'observe le titre du roman : Sa Majesté des Mouches. Evidemment.
Lorsque je quitte des yeux l'ouvrage, Cole me fixe toujours. Je tente de me reculer un peu, mais il me tire par la manche, m'empêchant de partir. Il pointe du doigt ce qui se trouve derrière moi :
- Si tu recules encore, tu tombes.
On se fixe un moment. Je n'ose pas bouger. Sa main tient toujours fermement ma manche. Nous restons un moment sans rien dire, à écouter nos souffles s'accorder. Puis, finalement, il se décide à me lâcher et je déplie mes jambes qui commençaient à s'engourdir.
- Elias t'aimait bien.
Je relève les yeux vers Cole, étonné. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me dise ça tout à coup. Je ne peux m'empêcher de sourire.
- Toi aussi, il t'aimait beaucoup.
Cole sourit à son tour.
- Je sais. Il aimait tout le monde.
- Sauf Jasper.
Il éclate de rire. De petites rides apparaissent aux coins de ses yeux. Il pose son livre sur la pile avec les autres et se recule au milieu des coussins colorés.
- Alors, dit-il, qu'est-ce qui t'amène ? Un nouveau livre de cuisine ?
Je le fixe avec de grands yeux, comme si j'étais étonné et gêné qu'il m'ait découvert, alors qu'en réalité je n'en ai rien à faire qu'il le sache ou non. Je ne me rends compte de cette réaction exagérée que trop tard.
- Comment tu sais ?
- Les seuls rayons où il manque des livres sont ceux-là. Et il n'y a que nous deux d'assez fou pour s'aventurer dans la bibliothèque.
Je souris et change à nouveau de position. Le bois des étagères me paraît plus inconfortable que jamais et j'envie la tonne d'oreillers sur lesquels Cole est avachi.
- En fait, je te cherchais.
Je vois le haut de ses joues rosir avant qu'il ne se reprenne.
- Pour quelle raison ?
- Je voulais parler d'Elias.
Son visage se referme d'un seul coup. Je m'en veux pour mon manque de tact mais je vois mal comment m'y prendre autrement. Il n'est pas mort, après tout. Juste parti. Et c'est peut-être le problème en réalité.
- J'ai l'impression qu'il m'a abandonné, chuchote Cole.
Je me redresse et me penche vers lui. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris et, d'ailleurs, je vois mal pourquoi il me dirait ça alors qu'on se connaît à peine. Il tourne son visage vers moi et plisse les yeux, puis articule :
- Elias te faisait confiance.
Je recule et me frotte le front d'une main. Un vieux tic hérité de mon grand-père.
- C'est marrant, parce qu'on pourrait croire qu'il faisait confiance à tout le monde. Mais en fait, non. Il savait choisir exactement les bonnes personnes.
Je frotte mon front un peu plus fort. Je vais avoir une grosse marque rouge dans quelques minutes et je m'en veux déjà, mais je ne peux pas m'en empêcher.
- Tu sais ce qu'il m'a dit le soir de la première émission ? Que si je n'étais pas capable d'être assez courageux en étant moi-même, je n'avais qu'à devenir un des personnages de mes romans.
Il cesse de me fixer et tourne le regard vers les rangées de livres en face de nous, le menton entre les mains.
- Si j'avais su, je n'aurais pas choisi Ralph mais Katniss ou Newt.
- Il est encore temps de changer, je dis.
Il se décale, s'assoit au bord de la bibliothèque et attrape un coussin qu'il étale minutieusement sur ses cuisses. Je le regarde faire sans rien dire, j'ai déjà l'impression d'en avoir trop fait.
- Ce n'est pas aussi simple.
Il ne dit plus rien pendant quelques minutes et semble perdu dans ses pensées. J'en profite pour m'asseoir sur le bord de la bibliothèque à mon tour. À plusieurs mètres du sol, je scrute le carrelage. Je n'ai jamais eu le vertige, mais je dois avouer qu'une telle hauteur est effrayante. Je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il m'arriverait si je tombais d'ici.
- En fait, tu as raison.
Je me tourne vers lui, surpris.
- Moi ?
Il hoche la tête. Je ne vois pas du tout de quoi il veut parler, mais je suis heureux que quelqu'un m'ait écouté, pour une fois.
- Il est encore temps de changer. Il reste des tas de livres que je n'ai pas encore lu. Peut-être que je me trouverai dans l'un d'entre eux.
Je laisse mon regard dériver sur les rangées de livres face à nous. J'ai envie de lui dire qu'il s'est déjà trouvé, dans chacun de ses romans, qu'il est constitué de chacun d'entre eux, mais je me retiens. Ma mère m'a bien souvent répété que ma philosophie ne s'appliquait pas au monde dans lequel les autres vivaient. Juste au mien. Et dans celui de Cole, je suppose que personne n'est constitué de milliers de morceaux du monde, comme moi.
- C'est lequel, ton livre préféré, au fait ?
Je cligne des yeux un peu plus fort que nécessaire. Cole s'est penché vers moi, le coussin toujours serré entre ses bras. Je mets quelques secondes à comprendre qu'il s'adresse à moi et quelques-unes de plus pour trouver une réponse.
- Je ne sais pas vraiment. Est-ce qu'on peut en avoir un ? C'est comme les gens, les amis, la famille. On ne peut pas préférer l'un d'entre eux.
- Je ne suis pas d'accord. Je ne vois pas les choses comme ça, moi.
J'observe ma main se porter machinalement à mon front. Je ne sais pas. J'ai envie d'argumenter, mais je n'ai pas d'argument. D'un autre côté, je crois qu'il a raison. Je me contente donc de hocher la tête. Il sourit et me pousse d'un coup d'épaule. Je suis tellement surpris par ce geste que je manque de tomber et m'accroche au bord de l'armoire comme si ma vie en dépendait alors que je suis toujours solidement assis.
- T'es arrangeant toi, pas du genre à argumenter pour rien.
Je hausse vaguement les épaules. Je ne cesse de me repasser son geste en boucle, avec la sensation de nos bras qui se touchent. Je crois que si je tente d'ouvrir la bouche, je ne parviendrai qu'à dire des bêtises. Il se tait et laisse errer son regard. Je fixe ses yeux bruns, lumineux, tandis que ses pupilles vagabondent et se posent sur chaque détail de l'immense bibliothèque.
- D'habitude, je ne parle pas autant, tu sais ?
Je ne sais pas, mais j'hoche tout de même la tête. J'aurais aimé le savoir.
- C'est juste que... Enfin, c'est comme-ci, ici... De toute façon je partirai à un moment ou à un autre.
Il lâche un soupir théâtrale et se laisse tomber en arrière. Dans un réflexe, j'avance mes mains, de peur qu'il tombe, mais il atterrit doucement sur un tas de coussins.
- Ici, j'ai l'impression de pouvoir devenir super-Cole.
Il sourit et je l'imite.
- C'est l'effet Elias.
Il rit et les plis aux coins de ses yeux apparaissent à nouveau. Ses bras se glissent sous sa tête et il ferme les paupières, comme s'il était au bord d'une plage. J'aimerais pouvoir faire de même, mais un cri inattendu me fait sursauter et me maintient accroché à la réalité :
- MERDE !
~~~
Coucou 🥰
Comment vous portez-vous en cette jolie journée ?
J'espère que la rentrée s'est bien passée pour ceux qui sont retournés en cours cette semaine et je vous souhaite à tous bon courage pour cette année ❤️
Passons à des choses plus réjouissantes et dites moi ce que vous avez pensé de ce chapitre 🤭 L'histoire vous plaît toujours autant ?
J'attends vos retours avec impatience !
Bon weekend 💕🌈
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