14. Et la vie, alors ?
Certaines choses ne se passent jamais comme on les avait imaginées. On a eu beau les retourner cent fois dans sa tête, examiner toutes les possibilités, il faut croire qu'une d'entre elles nous a échappé. Les variables sont imprévisibles et si tu ne prends pas le risque d'oser, tu tombes à coup sûr.
Alors voilà, j'ai pris le risque. J'ai osé. Je suis tombé tout de même. Ça fait à peine cinq jours qu'on est là. Trois de plus depuis que Jasper m'a poignardé dans le dos. C'est peut-être à ça que servent les boucliers : à nous protéger du futur. Comment on se protège du passé alors ? Et comment on protège notre présent ?
Je glisse au milieu du couloir, le dernier endroit où le soleil ne m'éblouit pas trop et où je sais encore dans quelle direction je vais. C'est comme si, d'un seul coup, j'avais perdu tous mes repères.
Coup. Cou. C'est lui que j'aurais préféré me tordre tout de suite. Pourquoi est-ce que ça implique forcément un choc, à un moment ou à un autre ? Pourquoi ce mot, coup, montre-t-il la collision inévitable entre deux choses qui ne se toucheront jamais au niveau atomique ? Est-il possible de se cogner contre soi-même ?
- Elias !
Cole.
J'arrête mon skate, le rattrape et le coince sous mon bras avant de taper dans le poing de mon ami.
- Bien ou bien ?
J'ai rattrapé mes vieux dialogues de skateur. Autant les reprendre tout de suite puisque, d'ici deux jours, j'aurais dégagé de ce stupide château.
- Écoute, je crois avoir trouvé un truc. Aucun de nous n'a envie que tu partes. Ce soir, c'est ta dernière chance. Montre aux spectateurs qui tu es et ce qui te fais sourire !
Je désigne les caméras autour de nous.
- Ils le savent déjà. Tout le monde sait qui je suis. C'est bien le problème. Te bile pas, Cole. Il faudrait un miracle pour que je sois encore avec vous la semaine prochaine.
- Moi, je crois aux miracles.
Il hoche la tête comme pour approuver ses propres paroles et me tire jusque dans l'Insulaire. C'est le nom qu'on a finalement choisi pour notre salon d'équipe. Un truc qui sent les vacances, le soleil et la plage, aux antipodes de la Demeure.
Je me laisse tomber sur le fauteuil derrière Lysandre et Peter, qui jouent aux cartes sur le sol. Trèfle, Pique, Cœur et Carreau. Quatre têtes : Roi, Reine, Cavalier, Valet. Lequel tombera en premier ? Sûrement moi.
Je les observe, les yeux dans le vague. À côté de moi, Cole me balance des tas de plans pour faire remonter ma cote de popularité auprès du public. Il n'a pas encore compris que c'était fini pour moi.
Jasper m'a complètement ridiculisé à l'atelier cuisine, il y a deux jours. Je ne sais pas qui est vraiment ce gars, mais il est sacrément doué pour se faire passer pour une victime alors qu'il est le pire bourreau de tous les temps. Même le cuisinier, qui avait pourtant assisté à toute la scène de ses propres yeux, s'est laissé convaincre de ma culpabilité après le discours de Jasper. Comme si c'était moi qui avais foutu le feu à sa fichu cuisine. À croire que les caméras ne servent vraiment à rien. Je hais ce gars, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est un sacré génie. J'ignore d'où il tient ça, mais il est dangereux. Et je suis presque heureux de partir en premier juste pour m'éloigner de lui.
En même temps, je ne peux m'empêcher de penser que si ce n'est plus à moi qu'il s'en prend, ce sera forcément à quelqu'un d'autre. Ce mec est du genre à avoir besoin d'un bouc émissaire. De tout façon, je suis certain qu'il ne s'arrêtera pas avant d'être le dernier en lice. C'est bien ce qui me fait peur.
D'un autre côté, je serai peut-être plus utile aux Trèfles derrière l'écran. J'aurais une vision d'ensemble sur la Demeure, accès à toutes les caméras. Il me suffira d'envoyer un message à mes amis pour les prévenir des moindres faits et gestes suspects de Jasper. S'il y a bien quelque chose que les films m'ont appris, c'est qu'il est toujours important d'avoir un contact dans la zone adverse. Ici, ce sera moi.
Trois coups résonnent à la porte et me sortent de mes pensées. Cole, qui n'a pas cessé de me parler, se tait soudain.
- Oui ? lance-t-il.
- C'est Lucas. Je voudrais voir Elias.
- Lucas ! Mon pote ! je lance. Entre donc, ne fais pas ton timide.
- Euh... Je n'ai pas le droit je te rappelle. Je ne suis même pas sûr d'être autorisé à me balader dans votre couloir.
- Ah, c'est vrai. J'arrive, alors.
- Pas besoin de prendre ton skate.
Je baisse les yeux sur ma main qui tient fermement mon meilleur ami. Me balader partout avec mon skate est devenu un véritable automatisme. Si Lucas ne me l'avait pas fait remarquer, je serais sorti avec sans hésiter.
- Mec, t'es trop fort. Comment tu savais ?
- Tout le monde sait que tu ne le lâches jamais.
- Pire que Peter avec sa meuf.
La remarque de Lysandre me prend de court et j'éclate de rire.
- Eh ! s'exclame Peter. C'est privé.
- Comment elle s'appelle déjà ? Sécilia ? Emilia ?
- Camélia... grogne-t-il.
J'ouvre la porte pour que Lucas puisse suivre la discussion et observe Peter qui abat les cartes avec fracas, le rouge aux joues, tandis que Lysandre continue de l'asticoter.
- Arrête de faire semblant, mec. On t'a capté depuis longtemps. Tes descentes à heures fixes dans le Salon, ton petit sourire derrière ton écran. On a tout vu. Et les spectateurs aussi.
Lysandre lance un clin d'œil à la caméra et Cole se met à pouffer alors que Peter se renfrogne un peu plus.
- Allez, je lance, boude pas. T'es moins mignon comme ça. Ta petite fleur ne va pas apprécier.
Il me lance un regard noir et Lucas éclate de rire. Je pousse ce dernier au milieu du couloir et fais un geste d'au revoir à mes camarades.
- Prenez soin de mon skate les gars ! S'il a une rayure, je la reproduis sur votre belle figure.
- Tu te mets aux rimes en plus ?
- Et ouais ! Appelez-moi, Shakespeare.
Je claque la porte et rejoins Lucas. Il se met à marcher en direction des escaliers et je lui emboîte le pas.
- Alors ? Tu voulais me parler de quoi ?
- Pas ici, souffle-t-il si bas que je dois tendre l'oreille pour le comprendre. Trop de caméras. Allons dehors.
Nous descendons rapidement au rez-de-chaussée et Lucas pousse la grande porte d'entrée. Heureusement, parce que je ne l'aurais pas fait moi-même. Je déteste cette porte presque autant que Teresa dans Le Labyrinthe. C'est-à-dire, beaucoup.
Lorsque nous débouchons enfin dehors, le vent souffle si fort que je note dans un coin de ma tête de prévenir Cole de ne pas sortir, au cas où il s'envolerait au loin. Même les brins d'herbes ont l'air de lutter pour rester attachés au sol.
Lucas se courbe pour lutter contre les rafales et m'entraîne de l'autre côté du château, près des terrains de sports. Il se glisse contre le mur et je lui emboîte le pas. Les pierres ont au moins le mérite d'apaiser les souffles de vent. Devant nous, une autre silhouette se détache. Je reconnais rapidement Zhao, dont les cheveux blonds cachent la moitié du visage.
- Vous en avez mis du temps ! Je ne sais pas jusqu'à quand Thomas va pouvoir retenir Jasper, vous auriez pu vous dépêcher un peu.
- Désolés, s'excuse Lucas.
Je tends la main et Zhao frappe dans ma main avec un signe de tête.
- Alors ? je demande. Qu'est-ce qui nous amène ici ?
Je dois presque hurler pour me faire entendre à travers les bourrasques. Lucas lève un doigt vers le ciel.
- Le vent. Il va couvrir nos paroles, impossible que les caméras comprennent ce que nous allons dire avec ce souffle.
Je hoche la tête. S'ils prennent ces précautions, c'est sûrement que ce qu'ils vont me dire doit rester secret. Je ne sais pas si ça m'effraie ou si ça m'excite un peu plus.
Lucas se tourne vers Zhao qui répond d'un mouvement de tête. Il s'avance vers moi, se penche pour s'assurer que je l'entende et s'écrit :
- On a de bonnes raisons de croire que Jasper va tenter un sale coup ce soir, pour te faire tomber une bonne fois pour toutes. On ne sait pas exactement ce qu'il prépare, mais ce n'est pas bon pour toi, pas du tout...
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Hey 🌹
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre 🥰
J'ai adoré l'écrire, j'éclate de rire à chaque fois que je relis la scène avec Camélia 😂
Bref, à votre avis, que va faire Jasper ? 👀 Elias va-t-il rester dans la course ?
À la semaine prochaine pour en savoir plus !
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