🥀CHAPITRE 6🥀

Lucienne avait pour habitude d'être assise là, sur ce banc situé dans un coin de l'imposant hall d'entrée. Elle y voyait maints messieurs et gentils hommes lui passer devant, certains la regardaient avec dédain, car bonté divine ! Que pouvait bien faire une femme dans une banque ? D'autres l'admiraient comme on admire un jouet ou bien une douceur sucrée. Personne ne lui adressait jamais la parole, car sait-on jamais que si elle venait à leur parler en retour, alors qu'elle les toucherait d'une étrange maladie que l'on dénomme "conversation". Tout ce qu'elle savait faire fut de patienter sagement, sur ce banc, attendant que son époux se charge des discussions, des négociations, des redites, des signatures, et ce, sans préalablement la consulter. Frédérick avait une sainte horreur de venir ici et pourtant, en tant qu'héritier ayant une petite fortune à son compte, il y venait autant de fois que cela fut nécessaire et bien évidemment, partout où il allait... Lucienne suivait. Elle suivait, mais restait bien sagement derrière. Dans son ombre.

Aujourd'hui, Lucienne se tenait assise dans un fauteuil, confortablement installée, attendant qu'un verre d'eau lui soit apporté. Aujourd'hui, elle venait en tant que principale héritière des Galaway et c'était entre ses petits doigts boudinés que reposait toute la richesse d'une famille pratiquement dépossédée grâce à ses bons soins.

Elle ne comptait plus le nombre de fois où Monsieur Fritch, son banquier, tenta de la dissuader de faire tel ou tel placement. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle le menaça alors de retirer tous ses biens de son établissement, après tout... Pourquoi ne pas utiliser la menace ? Cela fonctionnait à merveille sur les hommes. Les petits hommes en particulier, car Henri Fritch était un petit homme se pensant important.

– Que me vaut votre douce visite, Madame ? Je ne m'attendais pas à vous revoir de sitôt depuis notre dernière conversation. Vous avez réfléchi à ce que je vous ai dit concernant... ?

– Nullement, l'interrompit-elle d'un geste de la main, je viens ici pour m'entretenir avec vous concernant une affaire dont j'aimerais prendre la main.

– Une affaire ? releva le banquier visiblement piqué de curiosité.

Comment ne pas l'être ? Voilà des mois que Lucienne Galaway ne s'était pas montrée et pour le peu d'apparitions que la jeune femme s'autorisait, cela ne concernait que les affaires. Encore et toujours les affaires. Restée enfermée chez elle commençait à la peser malgré le fait que cela soit la conséquence de ses propres décisions et Lucienne désirait plus que tout s'amuser, mieux encore, elle désirait plus que tout de rajouter le piquant à sa vie qui lui manquait tant.

– J'ai pour projet d'ouvrir, un commerce, disons, et j'aimerais savoir quels sont les fonds restants afin que je puisse m'organiser ?

– Oh... Eh bien, il n'est pas courant qu'une dame de votre rang s'intéresse à ce genre de chose, mais je présume que... Puis-je savoir de quel genre de commerce parlons-nous ici ?

– Je vous ferai rougir si je venais à vous le dire Monsieur Frith, avoua Lucienne, non sans cacher un petit sourire amusé à l'idée de découvrir quelle tête ferait ce petit homme qui se cache derrière sa grosse moustache.

– Voyons Madame, je suis un homme d'affaires, j'ai aidé plusieurs dès plus grandes affaires du centre-ville à se faire, vous savez ?

Comme si cela l'intéressait. Toutefois, Lucienne joua le jeu uniquement afin de découvrir la surprise et le choc qu'elle lirait sur son visage.

– Comme c'est impressionnant, répondit la jeune femme, Je n'ai guère cette prétention pour l'instant, mais il est bon de réaliser que mon argent est entre d'excellentes mains !

– Oui, tout à fait. Il l'a toujours été, je peux vous en assurer.

– Dans ce cas, je désire tenir une maison close.

Elle sortit cela de but en blanc, sans détours, sans fioritures, sans cacher davantage son idée.

– Je vous demande pardon ? s'étrangla le banquier.

Il desserra d'un petit geste subtil le nœud de sa cravate avant de plonger son regard sur Lucienne qui demeura fière. Droite. Elle ne clignait même pas d'une paupière.

– Ah, oui, oui, je vois. Madame est d'un humour rare ! reprit-il en essayant de faire face.

– Ai-je dit que je plaisantais ? Ne suis-je pas suffisamment sérieuse ?

– Vous ne pouvez pas sérieusement à songer à ce genre de chose voyons. Je suis certain qu'une Dame peut trouver aisément des occupations plus dignes de votre...

– Sexe ? glissa Lucienne.

– Rang, s'étouffa-t-il, j'allais dire "de votre rang" Madame ! Décidément, vous me prêtez des mots qui ne sont pas les miens.

Pendant de longues minutes, ils restèrent à se contempler en face à face tel un lion, attendant que sa proie émette le moindre mouvement avant de lui sauter dessus et de l'égorger.

– Vous ne pouvez pas, voyons ! insista le banquier.

– Et puis-je savoir qui vous êtes, vous, pour me dire ce que je peux ou ne peux pas faire ? piqua la jeune femme.

– Je vous conjure de penser à votre réputation, ainsi qu'à celle de votre défunt mari, Madame. Si les gens viennent à apprendre que vous êtes à la tête d'un établissement, ma foi...

– De plaisir ? Voyons, Monsieur Fritch, je suis une femme, pas une imbécile. Ne pensez-vous pas que je ne sache pas déjà que vous, ainsi que tous vos congénères, seraient mes premiers clients ? Vous vous cachez derrière un masque de bienséance quand je sais d'ores et déjà qu'il ne vous faudra pas moins d'un mois pour me rendre une petite visite et vous savez quoi ? Je ne peux pas vous en vouloir ! Grand dieu que non, je sais ce qu'est un mariage malheureux, croyez-moi. Vous aussi, n'est-ce pas, vous cherchez à mettre un petit peu de piquant dans votre vie, non ?

– Voyons Madame... bafouilla le banquier, rougissant jusqu'à la pointe de ses oreilles.

– Je suis une honnête femme cherchant à donner du travail à d'autres femmes pour qu'elles deviennent toutes aussi honnêtes que moi. Quel mal y'a-t-il à cela ? Voyez là une sorte de... charité ? N'est-ce pas une pratique courante pour les personnes de mon sexe ? releva Lucienne.

– De votre rang ! Bon sang, combien de fois vais-je devoir vous le dire... Toutefois, je ne peux...

– Si vous ne voulez pas m'aider à concrétiser ce projet afin de bénéficier de certains... avantages, car cela travaillerait beaucoup trop votre conscience de simplet, ne vous en faites pas pour moi : je trouverai un partenaire.

Lucienne prit sa pochette, remit ses gants et s'apprêtant à quitter le bureau, marqua tout de même un arrêt sur le seuil de la porte de celui-ci :

– Après tout, je suis peut-être une femme, Monsieur Fritch, mais vous savez quel est mon autre talent ?

– Non...

– Je suis riche.

Puis, satisfaite de son entretien, Lucienne finit par partir, laissant le petit homme avec toutes ses pensées les plus obscènes qui devaient d'ores et déjà le titiller profondément.

– Cinq... Quatre... Trois... Deux...

– Madame Galaway, un instant, s'il vous plaît ! s'écria Henri Fritch à bout de souffle, comme s'il venait de passer dix minutes à la poursuivre à travers le couloir.

Étrange, non ? Comme les hommes, peu importe ce qu'ils prétendent être, ne sont qu'au final des animaux aux besoins primitifs. Il était si facile d'en jouer. Si aisé de faire naître une image, de souffler une idée, d'inspirer un désir.

– Qu'y a-t-il Monsieur Fritch ?

– Peut-on vous et moi nous entretenir en privé à propos de vos... avantages ? chuchota-t-il comme s'il y avait le moindre secret entre eux.

– Et moi qui pensais que vous vouliez à tout prix être le défenseur de ma réputation ! Me voilà étonnée, fit Lucienne.

– Justement à ce propos... Ne m'avez-vous pas dit que vous tentiez d'aider d'autres femmes ? C'est là une entreprise louable.

– Suffisamment louable pour vous ?

– Je présume que nous pouvons... trouver un terrain d'entente ainsi qu'un arrangement que nous garderons bien entre nous.

– Une sorte de quoi ? De secret partagé ?

Comme c'était mignon de croire que cela allait rester un secret bien longtemps. Il n'y avait rien de secret dans ce monde et encore moins dans la Haute Société qui savait toujours tout mieux que tout le monde et avec trois ou quatre coups d'avance. À croire que certaines marâtres s'ennuyaient tellement que jouer les marieuses ne leur suffisait plus, il fallait aussi qu'elles soient diseuses de bonne aventure.

– Revenez donc dans mon bureau, je suis certain que nous avons beaucoup à nous dire concernant votre "petite" entreprise.

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