🥀CHAPITRE 16🥀

Si depuis la mort de Frédérick, Lucienne avait arrêté de se montrer lors des divers évènements organisés pour et par la haute société, préférant largement sa propre compagnie à celle d'autrui, ses récentes apparitions à divers endroits en compagnie de la Comtesse Norght continuaient d'attirer la curiosité. Depuis plusieurs jours maintenant, elle avait pu entendre les diverses rumeurs et autres ragots courants à son sujet et même si elle ne voulait point l'admettre, il y avait dans toute cette agitation quelque chose de terriblement amusant pour elle.

Certes, elle avait eu, jadis, l'habitude d'être au centre des conversations, mais cette fois-ci, c'était différent. Elle n'entendait ni jalousie, ni fausse admiration, mais plutôt une sorte... d'inquiétude planant à son sujet. À croire que les gens se demandaient ce qu'une jeune veuve comme elle pouvait bien faire de son temps libre à présent qu'il était devenu plus facile et surtout plus fréquent de l'apercevoir en ville.

Inquiétude, qui d'ailleurs, ne manqua pas de faire travailler l'esprit de Louis.

— As-tu fini ton affaire avec la Comtesse ? lui demanda-t-il en pleine leçon.

Lucienne soupira. Avec Louis, tout n'était qu'une immense et lassante répétition des choses et même si cela devenait usant, elle préféra maintenir son visage neutre, posant son fusil à peine chargé dans un coin avant de se retourner vers ce dernier.

— Allons-nous avoir la même conversation encore et encore toi et moi ? Combien de fois t'ai-je déjà dit de ne pas mettre ton nez dans mes affaires et que même si tu venais à me poser des questions indiscrètes, je ne te répondrais pas. Tu n'as pas à savoir ce que je fais de ma vie et par pitié, épargne-moi la façon réprobatrice que tu as de me regarder. Le peu de droit que tu penses avoir sur moi, tu l'as perdu il y a bien longtemps.

— J'essaie simplement de te protéger. De te préserver. Tout le monde sait que la Comtesse n'est pas une dame dès plus... facile ou bien même fréquentable.

— Parce que je le suis ? Ne me fais pas rire. Ne t'ai-je pas fait douter de moi la dernière fois ?

— Même si... Dit-il en marquant un temps d'arrêt, Même si tu avais tué Frédérick, je suis certain que tu avais tes raisons. De bonnes raisons, Lucienne.

Hélas, elle aimerait sans convaincre. Même si ces derniers jours avaient été particulièrement bien remplis, laissant très peu de temps à son esprit pour vagabonder et invoquer le spectre de son défunt époux, Lucienne ne put s'empêcher d'y repenser. Encore. C'était sa croix, son poids, sa malédiction.

— Malheureusement, nous n'en saurons jamais rien, reprit-elle avec un demi sourire, Et je te rappelle que tu n'as pas besoin de me préserver.

— Par égard pour ce que nous étions...

— Un jour, Louis, tu arrêteras de vivre par et pour le passé. Tu te réveilleras un beau matin et enfin, tu avanceras. Tu iras de l'avant et c'est là, la seule chose que je puisse te souhaiter, car tout compte fait, le jour où ça se passera, peut-être alors que je ne te verrai plus.

— Je t'ai dit ô combien j'ai regretté la façon dont je t'ai traité et les mots que j'ai eus pour toi lors de notre dernière conversation cette nuit-là, lui rappelle-t-il, amer de posséder un tel souvenir.

— Tu me l'as dit, oui, mais je dissocie la parole et les actes.

— Ne suis-je pas présentement à tes côtés ? Ne suis-je pas là, à me tenir devant toi en essayant de te mettre en garde contre les folies que tu t'apprêtes à réaliser dans je-ne-sais quel but ?

— Et penses-tu qu'un mois de compagnie suffit à rattraper des années de trahison ?

— Lucienne...

— Ne le sais-tu donc pas ? J'ai la rancœur facile et je n'oublie que rarement les choses.

Oh ça, Louis ne le savait que trop bien, puisqu'il en avait fait les frais à plusieurs reprises par le passé. Mais une fois de plus, ses souvenirs semblaient appartenir à un monde qui n'était pas prêt d'exister de nouveau malgré tous les efforts qu'il déployait. Lucienne était devenue différente, comme changée... marquée par quelque chose, un événement ou peut-être même une personne et elle avait glissé bien malgré elle assez de sous-entendus pour que le jeune homme comprenne que tout ceci, elle le devait à son défunt mari.

Que lui avait-il fait et jusqu'où était-il allé ? Jamais Louis n'aurait la réponse à cette question et au fond, jamais, il ne souhaiterait l'avoir. Le passé de Lucienne lui était propre.

— Je suis ton ami, Lucienne. Je l'ai toujours été et le serait à jamais. Mon amitié est tienne depuis l'instant où nous nous sommes rencontrés et malgré tout ce que nous avons traversé, j'espère que cela, au moins, compte pour toi.

— Il fut un temps où j'ai eu besoin d'un ami. D'un véritable ami. Mais aujourd'hui, comme tu peux le constater, je ne suis que très peu entourée et ma propre compagnie me suffit à moi-même. Je n'ai que faire d'une personne gravitant autour de moi. Je trouve même cela... Encombrant disons.

Elle était volontairement piquante et méchante. C'était sa façon de ne pas... de ne plus reproduire les erreurs passées. Il l'avait trahie une fois et elle en avait souffert terriblement. Cependant, cela avait été également la plus grande des leçons que la vie avait pu lui enseigner. À présent, Lucienne avait grandi. Pas tant en âge, mais elle savait qu'une personne vous trompant une fois le ferait une seconde fois et elle n'était pas assez naïve ou idiote pour tendre l'autre joue.

Certes, elle aurait pu se débarrasser de Louis et le sortir du paysage, cela aurait même été certainement plus simple que de l'entendre jacasser, se vanter d'avoir un présumé droit sur elle ou de le voir se pavaner d'être son chevalier servant, mais elle ne l'avait pas fait par égard pour le passé.

Par égard pour ce que la jeune fille qu'elle était... avait un jour éprouvé pour cet homme se tenant présentement à ses côtés. Des sentiments naïfs et vains.

Aujourd'hui, dans son esprit particulièrement abîmé et tordu, Louis n'était rien de plus qu'un chiot abandonné. Il était probablement dans son entourage afin de fuir ses potentiels usuriers et tant qu'il lui serait utile, elle l'utiliserait tout comme il l'avait fait avec elle. Ensuite, elle le jetterait. C'était là, la promesse qu'elle s'était faite : lui faire connaître le même désespoir et la même douleur.

— Et tu sais ce que je fais des choses encombrantes, Louis ? Je finis toujours, à un moment, par m'en débarrasser. Sans remords.

Elle avait changé, c'était vrai, mais en réalité, tout ce que Lucienne avait fait fut de s'adapter à sa nouvelle vie. Être la poupée de porcelaine d'un homme était bien la dernière chose qu'elle désirait être de nouveau.

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