12 - Ast■r

Aster ignore dans quelles forces elle puise pour se rendre au club le vendredi suivant. Les paroles de Luno ont investi son esprit comme un nuisible particulièrement tenace, sortant les griffes lorsqu'elle tentait de les chasser, s'accrochant à son cerveau avec une telle force qu'elles l'ont quasiment mutilé. À vrai dire, si les Lapurge n'avaient pas dégradé la biscuiterie et qu'elle n'avait pas rencontré Haruka, Aster ne serait sans doute pas venue. Elle aurait enchaîné les excuses jusqu'à s'excuser pour de bon, laissant derrière elle une chaise vide et un club condamné. Mais elle n'a pas envie de ça. Elle a envie de s'asseoir parmi eux et d'échanger ses impressions sur le livre de la semaine. Envie de boire leur thé et d'aller chercher leurs pains suisses à la boulangerie d'à côté. D'écouter les discours de Shade, de rire des pitreries de Lucas et de décorer la biscuiterie pour Noël avec eux tous. Elle a envie de trouver sa place. Alors Aster ne s'est pas défilée.

Elle prend une grande inspiration et s'apprête à frapper à la porte de la salle E404 quand une silhouette familière apparaît au bout du couloir. En reconnaissant Whitney, déjà venue les intimider quelques semaines plus tôt, Aster écarquille les yeux. Ses longues jambes engloutissent la distance qui les sépare avant qu'elle puisse réagir.


— Toi ! s'exclame Whitney en la pointant d'un index rageur. Bouge pas d'ici !


Elle n'arriverait pas à lui désobéir même si elle le voulait. Sa colère la cloue sur place aussi sûrement qu'un venin paralysant. Aster ne peut que subir.

Whitney ouvre la porte si violemment que celle-ci rebondit contre le mur avec un grand bruit sourd qui doit s'entendre jusqu'au rez-de-chaussée. En équilibre instable sur deux pieds de sa chaise, Lucas manque de tomber en arrière. Elle se rattrape à temps au bord de la table, son morceau de brownie tanguant dangereusement au bout de ses doigts. Shade bondit de frayeur. Luno interrompt son geste pour les dévisager, le mug à quelques centimètres de la bouche. La vapeur du thé ondule devant son visage comme un serpent. Maeva, elle, se contente de tourner une mine curieuse mais peu intéressée dans leur direction. Ses sourcils s'arrondissent en reconnaissant Aster. Elle aimerait lui retourner son sourire, mais la situation ne s'y prête pas vraiment.


— Qui est le putain de psychopathe qui est passé chez nous hier soir ?


L'un après l'autre, Whitney les fusille du regard. Les expressions confuses que s'échangent les membres du club ne font qu'attiser sa colère.


— Le feu ! précise-t-elle. Le putain de cocktail Molotov qu'on a retrouvé dans le jardin ! Vous êtes vraiment malades ou quoi ? Vous vous rendez pas compte que ça aurait pu être hyper dangereux ?


Elle porte l'index à sa tempe comme pour leur demander si ça tourne rond là-haut. Un reste de peur brille dans ses yeux.


— Un Molotov ? répète Luno, peu émue. Sérieusement ?

— Bah, puisque t'es là, je suppose que c'était pas trop grave, enchaîne Lucas.

— Mon petit frère était dehors, bande d'abrutis ! On a dû appeler les urgences !


Shade se couvre la bouche. Sa sœur, elle, s'ébouriffe les cheveux avec l'air d'hésiter à en rajouter une couche. Maeva semble se faire violence pour ne pas réagir. Quant à Luno, Aster est à peu près sûre que le rideau de cheveux tiré devant son visage dissimule une indifférence blessante. Elle déglutit, mal à l'aise. Whitney lui fait tout à coup beaucoup de peine.


— Toi.


Aster tressaillit. Whitney a fait volte-face et l'observe à présent avec une attention malsaine. Son changement d'expression doit ressembler à un aveu, car la colère se rallume dans son regard. Un sillon se forme à la racine de son nez. Whitney se rapproche d'un pas, ce que l'esprit difforme d'Aster perçoit aussitôt comme une menace. Elle recule d'autant, cherchant à se dérober, mais se retrouve rapidement dos au mur. Une poigne acide, cruelle, douloureuse, se referme sur son bras. Le pouce de Whitney s'enfonce dans sa chair ; ses doigts envoient un courant électrique qui fait crépiter sa peau. Sa bouche vomit des mots qu'Aster n'entend pas. Le sang bout dans ses veines, contre ses tempes, à l'intérieur de ses oreilles. Ses poumons deviennent deux roches brunes contre lesquelles l'oxygène se broie. Aster est en apnée, le cœur coincé dans la gorge, le cerveau hurlant sa terreur à l'oreille indifférente de Whitney, à l'oreille indifférente de ce monde qui n'a pas été conçu pour elle et pour lequel elle n'a pas été conçue, criant, suppliant, se jetant contre les parois de son crâne avec une telle violence qu'elle croit les sentir trembler, et la seule chose qu'elle puisse faire est TUER TUER DÉTRUIRE EFFACER SUPPRIMER DISLOQUER la seule chose qu'elle puisse faire QUE ÇA S'ARRÊTE QUE TOUT S'ARRÊTE QU'ILS CESSENT DE RAMPER GROUILLER BOUGER QU'ILS CESSENT DE VENIR SUR ELLE la seule chose qu'elle puisse RESTER PLANTÉE LÀ POURQUOI TU RESTES PLANTÉE LÀ TU VAS MOURIR MOURIR MOURIR ÇA TE TUE ÇA VEUT TE TUER LE MONDE VEUT TE TUER POURQUOI TU RESTES PLANTÉE LÀ TUE TUE TUE SUPPRIME EFFACE DISLOQUE DÉTRUIS CRRIGE-

Le coup part avant qu'Aster sente sa main bouger. Ses phalanges s'écrasent contre la gorge de Whitney avec un bruit mou, pathétique, à des années-lumière du cyclone déchaîné dans son crâne et de l'océan démonté dans son cœur. Aster n'enregistre pas le son étranglé de Whitney ou le regard rageur qu'elle lui lance après s'être reculée. Elle n'enregistre pas la présence de Maeva, debout la main tendue à un centimètre du dos de Whitney, ni la surprise qui lui arrondit les yeux quand elle réalise qu'elle vient de la frapper. Seulement l'absence de contact sur son bras et le fait qu'elle puisse de nouveau se mouvoir.

Aster fuit. Elle titube, les genoux en coton, longeant le mur pour garder un semblant d'équilibre. Les salles défilent dans le coin de ses yeux. Elle ignore si quelqu'un la suit et ne cherche pas à le savoir. Elle s'éloigne de Whitney comme une proie fuit son prédateur, comme une meurtrière fuit la scène de crime. Son corps pulse avec une telle fureur qu'elle a l'impression d'être sur le point de vomir ses organes.


Toilettes, lui ordonne son esprit morcelé. Toilettes toilettes toilettes. Nettoyer.


Elle avise le logo des sanitaires et pousse la porte d'un coup d'épaule. L'information ne pénètre pas son esprit, mais Aster est seule à l'intérieur. Elle ouvre le robinet sans prendre conscience de la brutalité de son geste, retire son manteau comme s'il était en feu, retrousse une manche qui ne dépasse pas son coude. Ses doigts se referment sur la couture sans parvenir à la déchirer. Un juron paniqué coule hors de ses lèvres. Aster se défait de son pull pour se retrouver en débardeur dans les toilettes de la fac, sans rien pour bloquer la porte, sans la présence d'esprit nécessaire pour s'en soucier. Elle se frictionne à en avoir mal, à en avoir la peau rougie et SI SEULEMENT ELLE POUVAIT SE L'ARRACHER piquetée de sang. À en pleurer, même, si pleurer était dans ses cordes. La douleur tend son visage sans le mouiller. Aster se frotte les yeux, agacée, penchée sur le lavabo. L'eau savonneuse recouvre son bras jusqu'à le débarrasser du contact fantôme. La vapeur a masqué les miroirs.


— Aster, t'es là-dedans ? Ça va ?


Elle sursaute, les yeux braqués sur la porte close. La voix de Maeva lui fait l'effet d'une nouvelle intrusion. Ses doigts se crispent sur la porcelaine.

Aster s'oblige à inspirer profondément par le nez avant d'expirer petit à petit par la bouche. Tout, la colère, la honte, la douleur, finit par la quitter, ne laissant derrière elles qu'un champ de ruines humide et triste. Elle se tamponne avec son avant-bras et grimace en réalisant qu'elle n'a plus de manche.


— Ç-ça va, parvient-elle à mentir au bout du troisième essai. J-j'ai... j'ai oublié...


Elle se pince la racine du nez sans trouver ses mots. Oublié ? Oublié quoi ? De débrancher la bouilloire avant de partir ? C'est pour ça qu'elle est partie s'enfermer dans les toilettes en catastrophe ?


Laisse tomber, commente la version acide de sa propre voix. Tu marches sur un fil, ma vieille. Ils vont forcément te jarter après ça.


Elle ne dit rien. De l'autre côté de la porte, Maeva se laisse glisser par terre. Aster se demande si elle fait ça pour empêcher quelqu'un d'entrer ou si elle avait juste envie de s'asseoir.


— J'ai fait des recherches sur internet, annonce-t-elle tout à coup.


Aster observe de nouveau la porte. Elle fronce les sourcils, dépassée.


— Sur ?

— La peur du contact, répond Maeva, hésitante.


Le silence s'installe à tâtons. Aster s'attendait à paniquer, à se sentir prise au piège, peut-être, mais son soulagement est tel qu'elle a l'impression de ne plus rien peser. Elle n'a jamais aimé garder ses secrets. Quelle importance, de toute façon ? Les autres doivent déjà être en train de se demander comment lui annoncer son exclusion.

Aster se laisse glisser à son tour. Elle ramène les genoux sous son menton, épuisée, vaincue, le regard au loin. Avoir tout gâché n'est pas le pire. Le pire, c'est de ne pas réussir à s'en étonner. C'est cette déception que l'habitude a dépouillé de tout sentiment de surprise, ce spectre d'émotion qui revient la hanter chaque fois que la vie lui rappelle qu'elle n'y a pas sa place. Elle est fatiguée de son cœur.


— Ça a l'air chiant, reprend Maeva au bout d'un moment. Enfin, dur. Enfin...


Elle remue sur place à la recherche de quelque chose à dire. Son dos bouge dans celui d'Aster. Malgré la situation, un élan de solidarité se faufile parmi son chagrin. Elle non plus ne saurait pas comment réagir à sa place.


— Ça va ? s'enquiert Lucas d'un peu plus loin. Elle veut une tisane ?

— Euh, je sais pas. Tu veux une tisane ? demande Maeva à travers la porte.

— O-oh, fait Aster, embarrassée. L-Lucas est là aussi ?

— Tout le monde est là. On s'inquiétait.


Les genoux d'Aster se serrent sous son menton. Une sensation nouvelle, à la fois gênante et agréable, menace de briser toutes ses serrures. Elle aimerait pouvoir verser une larme pour l'exorciser.


— E-et Whitney ?

— Partie bouder après avoir juré sur sa tête qu'elle allait nous niquer nos races, répond la voix distante de Luno - Aster doit tendre l'oreille pour l'entendre. Enfin, à peu de mots près.

— On devrait aller prendre l'air, propose Shade. Je sais pas vous, mais j'ai pas trop la tête à parler bouquins.


Un froissement lui apprend que Maeva hoche la tête. Des sons affirmatifs plus ou moins proches succèdent à celui-ci. Aster interroge la surface encore brûlante de sa peau, le rythme encore instable de son cœur, et réalise qu'elle ne peut pas se montrer à eux dans cet état. La honte arrondit ses épaules.


— Prends le temps qu'il te faut, ajoute Shade comme s'il lisait dans ses pensées. On n'est pas pressés.


Aster se demande où ils comptent l'emmener pour lui annoncer qu'ils ne se reverront pas.



L'aire de jeux pour enfants installée comme par erreur dans le parc près de l'université n'est pas très fréquentée par ce temps. Un couple de collégiens solitaires s'amusent avec les balançoires. Un reste de pluie coule le long d'un toboggan trop étroit pour les fesses d'un adulte. Le passage du vent, mêlé à celui, plus lointain, de quelques voitures, créé un agréable bruit de fond.

Confortablement installée dans le cœur impénétrable d'une cage à poules, Aster garde les yeux rivés aux ongles de ses pouces. Le dédale de plastique bleu lui procure une bête sensation de sécurité. Plus bas, Maeva s'aide de son pied pour donner de l'élan à un tourniquet peint aux couleurs de l'arc-en-ciel. Lucas et Shade se partagent une balançoire horizontale que la première ne cesse de faire aller malgré les protestations du second. Luno s'est installée sur une licorne à bascule sans abandonner sa lecture, visiblement peu dérangée par le changement de décor. Il ne lui manque qu'une tasse de thé fumante pour parfaire le tableau.


— Au moins, on sait déjà où tenir nos réunions le jour où le club sautera.


Shade s'exprime sans la moindre trace d'humour. Il garde les bras croisés, perché au sommet de la balançoire sur laquelle Lucas pèse de tout son poids. Maeva lève le nez vers lui en s'accrochant au centre de son tourniquet.


— T'es pas content ? Qu'est-ce qui se passe ?

— À ton avis ?


Il marmonne la question comme s'il n'assumait pas sa colère. Maeva ne rebondit pas dessus. Elle se contente de l'interroger du regard, lui faisant face ou lui tournant le dos au rythme du tourniquet, tandis qu'Aster se réfugie là où elle ne pourra pas assister à la conversation. Dans les échelles, les cordages et les labyrinthes suspendus qui l'attiraient déjà enfant. Dans un souvenir dont le temps ou l'indifférence a blanchi les sons et les couleurs. Elle a oublié jusqu'à la voix de ses frères, jusqu'aux traits des visages levés dans sa direction - descends de là, l'araignée, prononce l'un d'eux, mais Aster ne se rappelle plus lequel. Encore un groupe auquel elle n'a jamais réussi à s'intégrer. C'est comme rejeter une greffe, songe-t-elle un peu tristement. Le corps sait qu'elle n'a rien à faire ici.

Elle reste blottie dans sa mélancolie jusqu'à ce que Shade décide de crever l'abcès. Il se gonfle d'oxygène avant de prendre la parole, le regard bas, presque fuyant. Aster est la première surprise de constater que sa colère n'est pas dirigée contre elle.


— On peut parler du cocktail Molotov ? C'est quoi, cette histoire ?

— Bah, c'est Whitney qui invente, prétend immédiatement Maeva. C'est pas la première fois.

— Ah ouais ? C'est pas toi qui t'es dit que ce serait marrant, par hasard ?


Le ton agressif de Shade ne la laisse pas ignorer la réalité plus longtemps. Aster lève les yeux, accompagnée par Luno qui décolle enfin le nez de son bouquin. Même Lucas retient sa respiration.


— N'importe quoi.


Maeva ne se défend pas plus. Elle laisse le manège tourner jusqu'à ce qu'il s'épuise, puis plante son talon dans le sol pour l'arrêter. Elle erre debout près de lui, les bras croisés sur l'estomac, le visage fermé. L'impatience creuse un sillon entre ses sourcils.


— Et puis j'en ai marre ! s'exclame-t-elle en levant les bras au ciel. Pourquoi ils s'en prennent pas au club de jeu de rôle sur table, pour changer ? Eux aussi, ils ont une salle le vendredi soir !


À cheval sur sa balançoire, Lucas écarquille les yeux.


— Arrête, ils sont super flippants. Il paraît que leur MJ est une religieuse.

— Tu crois que les Lapurge sont catholiques ?

— Non mais tu les as vus ? Évidemment qu'ils sont catholiques.


Maeva semble réfléchir à la question. De son côté, Shade détourne le regard. Aster entend presque ses reproches se briser au sol tant il les abandonne vite.


— Oh, je sais ! fait Maeva en claquant des doigts. On pourrait clouer des croix renversées sur la façade de leur baraque. Ou en faire brûler une dans leur... Euh, non, mauvaise idée. Une mygale dans la boîte aux lettres ? Quelqu'un a une mygale ? Des clous, sinon, insiste-t-elle devant le silence général. Avec un peu de chance, ils mourront du tétanos.

— Oh, c'est bon, passe à autre chose, soupire Shade, à bout de patience. Tu vas trop loin.

— De quoi ? Y a pas eu mort d'homme, à ce que je sache.

— Pas eu mort d... Son petit frère, Mae ! On a de la chance qu'il soit seulement blessé ! Tu te rends compte que c'est un coup à appeler la police ?

— Mais je t'ai dit que c'était pas moi, le cocktail !

— Je te crois ! C'est pas la question.


Du coin de l'œil, Shade supplie Luno de lui apporter un peu de soutien. Celle-ci referme son livre avant de le poser sur ses genoux en cherchant ses mots. Aster aimerait se ranger du côté de Maeva, mais ignore si elle le devrait vraiment. Elle n'est pas sûre de la croire, concernant le feu. Et elle n'est pas sûre que Shade la croie non plus.


— Ils reviendront à la charge s'ils pensent que le Molotov vient de nous, dit Luno. On devrait leur parler.

— Leur parler ? répète Maeva, moqueuse. T'as fumé Baudelaire ou quoi ?

— Tu préfères attendre qu'ils incendient la biscuiterie avec ta mère à l'intérieur ? T'as pensé aux conséquences, pour elle ? Pour ta sœur ?

— Pourquoi tu me parles d'elles ? Elles ont rien à voir avec ça !

— Bien sûr. Je suppose qu'elles ont super bien vécu le fait de s'être réveillées avec une insulte peinte sur leur façade.


Maeva se renfrogne, à court d'arguments - ou peut-être de patience. Ses lèvres pincées disparaissent dans son écharpe. Consciemment ou non, Aster l'imite. Croiser le regard des autres la contraindrait à prendre partie.


— Quelqu'un a une meilleure idée ?

— Mais, euh... on irait leur parler tous les cinq ? intervient Lucas. Je suis pas sûre qu'ils soient très heureux de me voir. Ils pleurent encore la mort de leur SUV.

— Non, on aura l'air agressifs si on y va tous ensemble. Je pensais...


Le regard dérobé que Luno adresse à Shade n'échappe qu'à Maeva. Lucas arque les sourcils comme pour lui demander ce qu'elle a en tête. Une tension fugace traverse les épaules de son frère. Est-ce que Luno est au courant, pour Simon ? Aster ne se rappelle pas que Shade l'ait mentionné.


— Ouais, abdique celui-ci d'une voix mal assurée, c'est encore avec moi qu'ils se sont le moins pris la tête. Je peux... je peux essayer, je suppose. On a rien à perdre.

— Bien parlé, l'encourage stoïquement Luno. C'est bon pour tout le monde ?


Lucas se mord les lèvres mais finit par acquiescer. Maeva hausse les épaules, son talon creusant la terre molle près du tourniquet. Décontenancée par les regards qu'on lui adresse, Aster s'empresse de hocher la tête. L'ongle de son pouce s'enfonce dans sa paume. Le silence retombe jusqu'à ce que Lucas s'étire en baillant sans retenue. Le mouvement fait osciller la balançoire.


— Bon, c'est pas que j'ai froid, mais ça vous dit de bouger ? Oh, ajoute-t-elle en se redressant brusquement, vous venez voir un film à la maison ? On peut se faire une soirée croque-monsieur ! J'étais en train de me remettre les Saw.

— Je vais retapisser les murs si je revois la scène du chevalet un jour, grimace Shade.

— Ou les cochons pourris, enchaîne Luno.

— Roh, c'est bon, j'ai compris, pas de Saw ce soir. On trouvera bien un truc à se mettre sur Netflix. Qui vient ?


Luno lève la main. Maeva, malgré son obstination à manifester sa mauvaise humeur, marmonne son accord. Le regard pâle de Lucas s'intéresse ensuite à Aster, qui esquisse un geste de recul manquant de la faire glisser de son perchoir.


— Euh, v-vous... v-vous voulez pas me virer ?

— Hein ? fait Lucas sans comprendre. Pourquoi ?

— Bah, p-pour Whitney...


Elle baisse les yeux, honteuse. La culpabilité a un goût de bile.


— Ah, parce que tu l'as frappée ? réalise enfin Lucas. Mais personne va te virer pour ça ! Ça fait des années qu'on se fait la guerre, fallait bien que le coup parte un jour ou l'autre. Et puis, franchement, c'est pas comme si tu lui avais fait vraiment mal. Elle aurait pas été capable de parler sinon.

— On t'aurait pas virée même si tu l'avais frappée plus fort, dit Shade. T'inquiète.

— Surtout si tu l'avais frappée plus fort, ajoute Maeva avec un semblant de sourire.

— Oui, bon, c'est pas la peine de l'encourager non plus.

— Ce serait hypocrite de notre part vu tout ce qu'on a déjà commis, conclut Luno. Par contre, Whitney risque de t'en vouloir, alors prépare-toi à l'avoir sur le dos un moment.

— A-ah, euh... OK.


Son menton s'enfonce dans son écharpe, à la fois pour se rassurer et dissimuler son angoisse. Whitney a dû comprendre, elle aussi. Que fera-t-elle si elle revient à la charge ? Si elle décide de lui faire subir pire que...


Tu la tueras, répond la partie d'elle-même qu'elle n'arrive pas à faire taire. Tu la tueras avant qu'elle te tue. C'est pas comme s'il risquait d'y avoir des conséquences.


— Tu viens, du coup ? redemande Lucas. Ce sera pas pareil si t'es pas là. Et puis, je pourrai te montrer la maison ! On pense faire le Nouvel An chez moi, enfin, chez nous, alors ce sera quand même plus sympa si tu connais déjà les lieux.

— Je viens.


Aster relève la tête et parvient à sourire. Elle en a assez d'hésiter.

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