Tuer le Temps [Chapitre 1]

Idée le 03/12/2015

Écrit le 01/08/2017

Je pouvais sentir la froideur de mes doigts de pieds, même si je portais des chaussures à crampons. Imaginez un instant que vos doigts de pied sont gelés, emprisonnés dans la glace et qu'à tout moment, on pouvait venir vous les briser avec un marteau. C'est ce que je ressens. Mais je plains Victor. Il a les mains nues alors que moi non. Dans notre métier, c'est important de porter des gants, et surtout dans ce pays. La Normandie. Nous avons besoins de nos mains pour travailler, sinon ça ne sert à rien. Sinon, qui pourrait changer les toits de Rouen ? Dans notre métier, il faut être grand et habile, mais Victor est un nain. Comment a-t-il fait pour trouver un métier peu adapté à ses capacités physiques ? En tout cas, il est très fort, mais je le soupçonne d'être un leprechaun. Il a dû se servir de son bâton magique sur la patronne, si vous voyez ce que je veux dire ! Non mais Victor est quelqu'un de bien et vraiment manuel. Tout le contraire de moi ! Je n'arrive pas à accrocher ces putains de tuiles au toit de ce putain de petit immeuble ! Je viens aussi de me faire mal au pouce.

« Merde ! »Je lâche.

Victor relève son regard sur moi en fronçant des sourcils. Il me répond avec sa voix roque tout en enfonçant un clou avec un marteau. Vous voyez ? Encore un marteau.

« Reynal, t'es encore à la traîne ? » Dit-il en riant.

« Très drôle Martin. Je n'y arrive pas, c'est tout. » je grommelle.

Gérard, le chef du chantier, nous cris du trottoir.

« Les gars, bouclez-la et bossez nom d'un chien ! Je vous entends de là-haut, de vraies pipelettes ! »

Victor l'imite sans aucun bruit. Il lève son majeur, ce qui est drôle puisque tous ses doigts sont de la même taille et que son majeur ressemble à mon annulaire. Un sourire se dessine sur mes lèvres, et je me mords l'intérieur de la joue pour éviter de pouffer de rire. Mais Victor reprend son sérieux avec un regard terrorisé. Il tend sa petite main vers moi.

« Putain Arthur ! »

Je n'ai pas le temps de comprendre, que je me sens glisser avec les tuiles qui tombent petit à petit au sol .Je peux entendre Gérard jurer. Je suis à deux doigts de tomber, mais quelque chose se produit. Plus aucun son, plus aucun mouvement. Victor semble figé, la bouche grande ouverte. Gérard ne cris plus. Je reprends mes esprits, même si je ne comprends pas, et remonte vers le toit pour marcher sur une plate-forme en béton. La vie revient à la normale. Victor cris un instant avant de s'arrêter, perdu. Il tourne la tête dans tous les sens.

« Mais que ? (Il tourne la tête vers moi) Comment t'as fais ? Tu étais devant moi y'a même pas une seconde ! »

Je ne réponds pas, les dernières tuiles tombent. Gérard monte l'échelle en soupirant.

« Mais qu'est ce que vous foutez ? »

« Rien. » j'annonce.

« Je vois ça, aller au boulot, nettoyez-moi votre merde ! »

Victor continue de me fixer, attendant des explications. Mais je l'ignore et réponds à Gérard.

« Je ne peux pas... Je dois y aller. Problème familial. »

Bien sur, je n'ai aucune famille. Je descends alors l'autre échelle, ignorant les regards interrogateurs. Je marche dans la ruelle puis trottine jusqu'à ma voiture. J'étais le seul à être resté normal. Le seul. Avais-je arrêté le temps ? Ou était-ce une hallucination ? Non pas possible, Victor avait l'air aussi paumé que moi. J'ai un don. Je sors alors les clés de ma poche, et appuie sur le bouton. La voiture clignote. J'ouvre la portière, et ne prends même pas le temps de m'attacher. Je démarre en trombe, et m'éloigne aussi vite de cet endroit. Je ne voulais pas y croire. C'était incroyable. Moi, pauvre Rouennais français, né dans un trou paumé nommé Ymare. Moi ? J'avais un pouvoir... Mon dieu, il faut absolument que j'aille me rafraichir. Mes mains sont moites, et je peux sentir ma sueur de là. Mon cœur battait à la chamade. J'étais en stresse intense.Quelques minutes plus tard, j'arrive devant mon immeuble. Je me gare, et respire un grand coup. J'allais surement croiser, la gentille concierge, Madame Alban. Tout le monde l'adore dans l'immeuble. J'ai un profond respect pour elle. C'est une survivante, une battante. Elle a réussis à s'échapper aux griffes des camps de concentrations. Elle a 65 ans, la pauvre dame. Et voilà, qu'en 2010, elle se retrouve concierge dans un immeuble assez pourrie. Mais, elle rit et sourit tout le temps. Ce n'est pas de la comédie, ça se voit. Elle prend du plaisir à rire. Et, c'est ça que je respecte chez elle. Madame Alban rit alors qu'elle a vécu un véritable Enfer. L'Histoire me passionne vraiment. Petit, je voulais enseigner cette matière à d'autres personnes, mais malheureusement, j'étais un véritable con au lycée. Je n'allais pas en cours. Bref, j'étais un petit rebelle. Et, un jour, je me suis ressaisit, et je suis allé dans un autre lycée technologique, là où j'ai appris mon métier. Ah, une drôle de vie... Et ça me suit toujours encore aujourd'hui. Je descends donc de ma voiture, et pousse la porte. Comme je l'avais prédit, Madame Alban était là, en train de balayer le sol devant les marches en bois. Elle s'arrête, se retourne, et je vois un grand sourire se dessiner sur son visage.

« Oh, Adrien ! Viens là, mon garçon, tu es tout pâle. J'espère que tu n'as pas mangé quelque chose d'avarié ! » dit-elle d'un ton maternel.

Je ris légèrement et la prends dans mes bras en la serrant, puis je me détache d'elle, et pose ma main sur son épaule.

« Marie, ne vous inquiétez pas, j'ai eu une matinée difficile. » dis-je calmement.

Madame Alban fronce des sourcils et secoue la tête. Elle pose l'une de ses mains sur ses hanches.

« Adrien Reynal, je t'ai déjà dis de me tutoyer. Je te considère comme mon fils. » finit-elle avec un grand sourire.

Je hoche la tête en signe de compréhension et m'assoit sur les marches. Finalement, je voulais rester avec elle. Madame Alban arrivait à mettre la bonne humeur. J'allais prendre une douche plus tard. Elle reprend ensuite son petit ménage.

« Des nouvelles ? » je demande.

« Oh que oui, figure-toi que Madame Lavande à encore perdu son petit caniche. Je n'aime pas trop ce qu'elle fait à cette pauvre bête. Ce n'est qu'un animal. Elle lui met des chaussures, des gilets. C'est du grand n'importe quoi. » fait-elle en balayant juste devant moi.

Elle s'arrête et se redresse en me regardant, les yeux plissés. Elle secoue la tête, marche lentement et en boitant vers la poubelle, où elle avait mit la pelle et la balayette. J'allais me lever pour l'aider, mais elle me fait signe de m'asseoir. J'obéis. Elle s'abaisse, ramasse le tas de poussière, et le met dans la poubelle. Elle se rapproche ensuite de moi, avec son sourire de vieille dame, et me prend une main.

« Allez, viens. Tu vas manger, on dirait que tu vas t'évanouir ! Tu vas manger ma blanquette, et après, je te donnerai une bonne tarte au citron que j'ai fais, ce matin même. Mais avant, tu as besoin d'un bon bain. (Elle se tourne vers moi en commençant à rire). Tu me rappelle les vieilles odeurs de sueurs de George. »

George, c'était son mari. Il est décédé il y a quelques années. Ils n'ont jamais pu avoir d'enfants, mais ils les adoraient tellement. Madame Alban, m'a dit qu'à une époque, il y avait un tas d'enfant ici. Aujourd'hui, ils sont tous partis. On entre chez elle. Elle me donne une serviette de bain, qui sortait tout droit d'un placard en bois. Elle m'indique la salle de bain, et je m'y dirige. Elle allait aussi m'apporter des vêtements appartenant autrefois à George. C'était un chic type. L'homme protecteur et sérieux, mais à la fois blagueur et fraternel. En faite, la famille Alban me fait énormément penser à Ben et May Parker dans Spiderman. J'entre ensuite dans la salle de bain, ferme la porte avec la vieille clef en ferraille. Je la pose sur le rebord du lavabo, et me regarde dans le miroir. Je comprends maintenant pourquoi Madame Alban me regardait avec un air maternel. Elle le fait tout le temps d'ailleurs. Mais là, j'avais sentis que s'était différent. Elle était inquiète. J'avais le teint pâle, de la sueur qui perlait mes tempes, et je venais juste de remarquer que mes mains tremblaient. Je souffle un bon coup, et pose mes deux mains sur le lavabo. Je ferme les yeux et baisse légèrement la tête. Je me repassais la scène sur le toit en boucle. Maintenant j'en étais sûr, c'était bien réel. Mon état physique le prouvait. J'ouvre les yeux et redresse la tête en me fixant dans le miroir. Ce que je voyais ? Un brun, aux yeux vairons. Des yeux de différentes couleurs. Un vert et un noisette. Par rapport à Victor, j'étais d'une taille normale, et légèrement musclé. Mais là, ce que je voyais, c'était juste un un mort-vivant à la façon Warm Bodies. Je retire mes vêtements et m'installe dans la douche. J'allume l'eau et laisse couler l'eau chaude sur ma peau, tout en mettant du savon en même temps. Je voulais avoir une meilleure odeur pour les narines de Madame Alban. Ce qui me fait sourire intérieurement. Elle est gentille cette dame. Mon ventre venait juste de crier famine quand Madame Alban apportait le repas avec son sourire chaleureux. Elle pose le plat sur la table, à l'aide de deux gros gants. Elle les pose ensuite non loin de son assiette et tend sa fine et fragile main pour que je lui donne mon assiette. Je lui donne, elle me sert une bonne part de blanquette et repose mon plat. Elle se sert ensuite et relève le nez vers moi avec un sourire radieux. Elle croise ses mains, pose ses coudes sur la table, et ferme les yeux. Je souris et fais de même.

« Bénissez-nous, Seigneur et bénissez ce repas de fin de semaine, bénissez ceux qui l'ont préparé et procurez du pain à ceux qui n'en ont pas. Que nos pensées accompagnent Adrian qui est en bonne santé. Nous pensons aussi à George qui a rejoint la paix. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. »

« Amen. » dis-je en faisant de même en ouvrant mes yeux.

Madame Alban ouvre les yeux à son tour et vient me caresser la main.

« Tu peux manger mon petit. »

Je hoche la tête et commence mon repas. Madame Alban c'est énormément cuisinier, c'est un véritable don. Nous parlons et rions durant tout le repas. Quand le dessert apparait, j'hésite à parler de mon petit problème... Je me gratte la main et sourit en voyant Madame Alban poser le gâteau. Elle fronce les sourcils et s'assoit en me prenant une main.

« Adrian ? Est-ce que tout va bien mon petit ? Tu avais une sale tête aujourd'hui. »

Je ris légèrement et pose mon autre main sur la sienne. Je respire un bon coup, et la regarde dans ces yeux verts émeraude. J'ai un profond respect pour elle. Je me tourne vers Madame Alban.

« Marie... Crois-tu à la magie ? Toutes sortes de magie ? »

Elle se redresse en gardant sa main dans les miennes. Elle hoche lentement la tête en faisant de grands yeux étonnés.

« Je crois surtout à la magie pure, à la magie blanche. La magie qui sert à faire le bien. Pourquoi me demandes-tu cela ? »

« Je... Je pense que j'ai reçu un don... Aujourd'hui même. Au début, j'ai cru que je devenais fou... Tu es la première personne à qui j'en parle, Marie. Crois-tu que c'est mal ? »

Je retiens mon souffle, le cœur battant. Je ne voulais pas la faire fuir. Madame Alban était la seule personne avec qui je me sentais bien. Comme elle, je la considérais comme une mère. Imaginez un instant que vous devez dire un, pour vous, terrible et affreux secret qui vous fait honte ? Comme avoir cassé quelque chose qui tient à cœur de vos parents. J'avais peur d'avoir cassé le cœur de Madame Alban. Mais pourtant, la jeune femme me fait un sourire de réconfort.

« Adrian, tu es un garçon bien. Le Seigneur t'a accordé un don que tu as reçu. Peut-être que tu le possède depuis ta naissance ? Nous ne pouvons pas savoir. Juste une seule chose : ne fais pas le mal avec. Dieu te l'a envoyé pour une bonne raison. Tu dois trouver. »

Elle se lève et vient m'embrasser. Elle dépoussière mon tee-shirt, et essaie de me recoiffer. Je ris légèrement et la remercie en mettant l'une de mes mains sur la sienne.

« Merci Marie. »

« Ne me remercie pas, c'est normal. Allons, il est tard. Emporte le dessert avec toi, et repose-toi. Tu as l'air épuisé. »

Elle m'embrasse sur la joue et s'éloigne vers la cuisine. Je me lève en souriant, et prend le plat sur lequel reposait le dessert. Je sors de chez Madame Alban et monte les escaliers en bois, qui grincent. Je rentre alors chez moi, bien décidé à remonter la pente. Il était grand temps que je change ma façon de vivre, à commencer par contrôler ce don extraordinaire.

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