J'étais un homme vide.
J'avais perdu le goût des plaisirs, égaré les ressentis, et je me rendais sans but auprès de ce qui serait ma tombe grise, sans fleurs ni pétales. J'avais besoin de rallumer le temps, d'enflammer ma vie, de voir à nouveau la teinte orangée d'un feu crépiter devant mes yeux noircis.
L'oxygène rappelait en moi un goût obscur, métallique comme le sang, agressif comme l'acide... J'étais le figurant d'un monde empoisonné par la grisaille, et je parcourais les villes et les chemins, dormant à même le sol...
Emprisonné dans une vie de solitaire sédentaire, pauvre homme... névrosé par ses démons, possédé par l'obscur, amoché par l'amour... J'avais un jour vécu, j'en étais à moitié mort. Mon corps s'affinait, dépérissait, pourrissait sous le soleil de plomb qui ne brillait même plus. Haut dans le ciel, noir comme un cœur nécrosé, il assombrissait les plaines et les vallées de sa chaleur étouffante.
Mes pas me menaient en silence, ils m'orientaient, me guidaient vers la fin. Mon destin était tracé, écrit à l'encre noir sur du papier blanc. J'avais un jour compris ma triste prophétie : déambuler encore et encore, arriver au cimetière de mon âme, Mourir, sans suite... L'histoire s'arrêterait là.
Près des arbres sans feuilles, à l'hiver dernier, j'avais trouvé un carnet noir, en cuir véritable... J'avais compris alors que mon esprit était dérangé, qu'ensemble, à lui et à moi, nous ne formions qu'un fou... Les fleurs, non vivaces, étaient mortes de chagrin et nous aussi, en ce temps pluvieux, nous rêvions d'écourter notre existence, briser que ce qu'il restait à briser, changer ce qu'il restait à changer, pleurer des larmes qui restaient à pleurer. Pour nos amours déchues...
J'inventais en mon âme un livre bien relié, qui m'indiquerait, me commanderait, ne ferait de moi qu'un automate idiot, qu'un pantin. Je l'ai pensé si fort qu'il m'apparaissait au sol, me condamnait à ses tournures, à ses idiomes, à ses tortures... J'en pleurais enfin, de toute l'hystérie qui parcourait mes jambes et remontait à mes bras, de toutes les peines qui s'évadaient, de la preuve enfin indélébile de mon absurdité en ce monde. Pour ainsi dire, j'étais habité d'hallucinations et je n'habitais plus en aucun cœur... C'en était beaucoup... Trop peut-être... Blessé, fissuré, acculé, j'ouvris l'ouvrage fictif, fruit de mes folies.
Je crus y lire d'aller rejoindre la Mort dans ses draps délicats : qui m'accueillerait les bras ouverts et les mains douces, comme son propre fils... À l'encre noir séché paraissaient quelques mots, paresseux d'être lisibles, fiévreux et répétés. En mes songes se percutaient ces même phrases qui prirent un sens dans ma vie tourmentée. Mes pensées frénétiques, mon besoin d'analyse, mes peurs irrationnelles, tout se matérialisait là, tout s'organisait parfaitement, ne laissant en mon cerveau qu'un désir limpide : écouter, suivre, puis Mourir. La destinée avait prononcé son verdict. L'hérésie m'avait frôlé puis berné. Je n'étais que l'ombre d'un homme détruit, comme si les ruines gardaient leur ombre...
Solitaire, je commençais alors le long chemin d'un mort-vivant, de deux êtres fous, un esprit et un corps, formant à eux deux un pantin désœuvré, déboussolé...
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