II.


Un oiseau tombe du ciel
dans une déchirure de flammes.

Et la mer, en son sein,

L'accueille.




Les lumières blanches et crues inondent son compartiment, tandis qu'il mange à lentes bouchées la nourriture infâme de la compagnie aérienne. Il prend le temps de découper plusieurs fois le poulet qui gît dans sa barquette en aluminium, puis de plier sa serviette tachée. Il range son plateau si tôt son repas terminé, et reprend le fil du film qu'il regarde d'un œil inattentif.

Le ciel est si noir dehors qu'il nage dans une mer d'encre.


- Regarde comme il fait beau, maman !

- Rentre, inconscient ! Il va pleuvoir des cendres sur toi, et ton corps brûlera.


Un homme en tue un autre avec une machette. Le crâne se fend en des dizaines de bouts de chairs éparpillées, le sang glissant à grands flots sur la peau atrophiée. JungKook arrête le carnage pour tendre son plateau ordonné au steward, s'attardant sur ses yeux où luisent les lueurs de la jeunesse et de l'envie.

Des sourires, une peau contre la sienne, des pas plus loin ; et la litanie de la séduction primaire qui commence doucement entre deux inconnus.

Les policiers en gilets pare-balles éliminent le tueur au centre d'un boulevard, quand la circulation s'arrête et que le temps se suspend pour que la justice œuvre en silence. Lorsque celui-ci se termine, JungKook n'a plus envie de regarder un autre film, ni d'écouter des musiques qu'il connait déjà. Alors, il revient sur la page d'accueil et contemple les informations du vol.

Son avion survole l'océan Atlantique, vers les Etats-Unis d'Amérique. Il pense à la maison de sa mère, perdue dans une ville étroite. Les carreaux de verre usés, la boîte aux lettres pleines et les journaux de 1998.

Il se souvient de l'odeur parfois rance, des gâteaux au jasmin dans le tiroir blanc, puis des marches de l'escalier aux contours rouges. Les tâches incrustées dans le carrelage, le lavabo de la salle de bain au marbre écaillé, et la baignoire pleine d'un rouge pourpre.


- Maman ! Maman ! Regarde ce nuage, on dirait un cheval !

- Ne sors pas, pauvre fou. La Terre va t'écraser, et sous tes pieds pleureront des flammes.

- Quelles flammes, maman ?

- Les flammes de l'enfer. Maintenant, va prendre un bain. Tu dois éloigner les virus.


Une main agrippe son bras avec tellement de force qu'il en sursaute, et la secousse le fait expirer brusquement. La carlingue grince et gémit, tandis que les gens retiennent leurs souffles. Quelqu'un vomit, le bruit retentit dans le silence épais. L'odeur putride s'échappe et parcoure les sièges.

JungKook ferme les yeux, les rouvre simultanément. La fille derrière lui donne un violent coup dans son siège inconfortable. Un néon clignote trois fois, s'éteint. L'oiseau de fer tournoie dans les cieux. Un enfant lâche une plainte sourde.

Un haut-parleur grésille, halète, délivre quelques mots lourds dans le compartiment, mais aussitôt le pilote s'interrompt.

Alors son attention se déporte ailleurs, sur ce qu'il y a d'intéressant pour lui éviter de penser que bordel, il aurait du prendre ce sac. Mais les autres voyageurs sont aussi immobiles que lui, plongés dans l'attente insupportable et la peur insidieuse qui gangrènent leurs pensées. Puis le corps agit, doucement, détournant ses yeux et clôturant ses pensées.

Les doigts de la mère sont crispés dans sa peau douloureuse. Les poils de ses bras se hérissent. Son nez se fronce quand l'odeur des aliments recrachés y parvient. L'enfant se détache du hublot pour se réfugier dans les bras de la femme, et là, juste à cet instant, JungKook la voit.

La déchirure argentée
que les nuages étouffent.

Son cœur se soulève ; tandis que la pesanteur autour de lui semble le clouer contre son dossier. Il sent une goutte de sueur descendre lentement le long de sa tempe. Ses doigts fébriles sont engourdis, et sa gorge si sèche qu'il ne parvient plus à saliver.

Son corps se momifie dans un voile de terreur.

Il ressent la moiteur de son jean, la chaleur sous ses pieds et la façon dont la femme presse sa main sur son bras. Il entend tout, mais chaque bruit semble lointain, presque flou.

Des tâches sombres dansent devant ses yeux. Il cligne deux fois des paupières.

« - Monsieur, vous allez bien ? »

Il ne sait pas d'où vient la voix, ni les doigts froids qui glacent son front.

Il marmonne en toussant, des mots sans sens et les yeux perdus dans la vitre. Dehors, il ne reste plus qu'une noirceur si profonde qu'il croit rêver le deuxième éclair. Il écarte le corps étranger, qui n'insiste pas. La peur devient si palpable que la tension monte, grimpe, escalade le cartilage et fait ruisseler l'angoisse.

La mère serre son enfant contre elle, plaquant sa tête entre ses seins flétris par le temps. Ses mains sont lourdes sur ses cuisses. Ses oreilles bourdonnent si fort qu'il a l'impression qu'un essaim d'abeilles vole dedans. Il entend le claquement des ailes dans le vent, le sifflement du vent, les boulons métalliques.

Il inspire, expire, doucement.

Il voit les regards que les gens se lancent, les yeux remplis de peur et d'un peu d'appréhension.

La fille derrière lui parle, encore, sans cesse, et ses doigts s'agitent frénétiquement sur l'accoudoir. Les corps de la femme et de l'enfant tressautent ensemble quand l'oiseau s'agite. Presque couché sur eux, les jambes repliées sous le siège, il ne prend plus la peine de se redresser, même quand la mère tente mollement de l'écarter.

Il attend, les yeux bouillonnant dans l'étendue opaque.

Soudain, une voix résonne dans le silence, si forte qu'elle le transperce sans considération.

« - J'ai vu un éclair ! Regardez ! Là, juste là, un peu à droite, y'avait un éclair ! »

Le silence alors est piétiné par les exclamations apeurées des passagers, qui s'échauffent, crient, angoissent, prient, geignent. La femme transpire à côté de lui, et l'odeur de son parfum ne parvient plus à couvrir celle, âcre, de sa sueur.

Les hôtesses passent dans les rangs pour rassurer les voyageurs les plus paniqués et distribuer une nouvelle fournée de sacs à vomis. Mais elles doivent se tenir aux sièges, instables dans les intempéries.

Le haut-parleur grésille une nouvelle fois, mais personne ne l'entend.

Les stewards ne lui accordent que peu d'attention, favorisant ceux qui souffrent ou qui se plaignent le plus. On lui propose un verre d'eau, mais une main tendue l'agrippe et sa gorge reste sèche. Au loin, par delà plusieurs rangées de sièges, le jeune homme en uniforme n'a pas le temps de le regarder.

Et JungKook a si peur que l'avion explose qu'il n'ose pas bouger.

Sa lèvre tremble, prise d'un spasme nerveux.

Son téléphone glisse de la tablette. Il ne le ramasse pas.

La voix de la femme berce doucement son fils, pendant que ses petits poings tiennent fermement son pull en laine.

Il ferme les yeux. Il ne sait plus combien de temps s'écoule, si les minutes durent des heures ou des siècles, mais quand il rouvre ses paupières si lourdes qu'elles tressautent, il y a l'homme en face de lui. Jeune et beau, avec des yeux comme deux tâches sombres. Le steward lui sourit doucement, la main sur son épaule.

Les turbulences s'espacent, et finalement, l'avion se stabilise.

L'homme demande :

« - Comment allez-vous ?

- J'ai mal à la tête. »

Il lui tend un cachet blanc et ovale. JungKook ne l'avale pas. A la place, il demande :

« - Vous avez vu les éclairs ? »

Le steward jette un œil à la femme âgée près de lui, et attend qu'elle hoche la tête pour lui répondre, avec cette même voix assurée qui sonne si faux.

« - Nous traversions une zone de turbulences...

- Pas au passé. On est dedans. Ne parlez pas au passé.

- Les signaux sont positifs, monsieur. Les intempéries se sont éloignés de l'avion. »

Le sourire que le jeune homme lui adresse est aussi peu rassurant que sa voix.

JungKook sait. Que ce n'était rien. Qu'un aperçu.

Et que le reste rôde, impulsif et violent.

Qu'il arrive, les guette dans les nuages noirs et les éclairs argentés.

Le calme avant la tempête.

Les voyageurs reportent doucement leur attention sur autre chose que lui. Ses mains sont lourdes sur ses cuisses. Le steward s'assure qu'il prend son cachet, puis repart.

L'avion tangue encore un peu, mais le calme revient.

Il voit les regards que les gens se lancent, les yeux remplis de peur et d'un peu d'appréhension. Il s'agite un peu, puis passe un temps de flottement où il reste redressé sur son siège, le torse penché vers le hublot, les yeux scrutant le ciel comme des miradors.

Pourtant, malgré toute sa volonté, un éclair déchire encore les cieux.

Plus près, si près d'eux.

A cet instant, perdu au dessus d'un océan immense et dans des airs sans limites, JungKook ne s'est jamais senti autant en danger.



Il savait qu'il n'aurait pas
dû prendre ce vol.

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