Chapitre 8 : Farah
« Tu vas boire un verre avec elle ? C'est une blague ? »
Pour la énième fois de la journée, Farah leva les yeux au ciel. Elle faisait face à une Lili qui manifestait sa colère par des bras croisés et une moue boudeuse. Franchement, qu'est-ce qu'elle pouvait lui dire de plus ?
« C'est archi pas une blague. J'avais jamais vraiment fait gaffe, mais en fait elle a l'air super badasse, rigola Farah. Je suis sûre qu'on s'entendrait bien avec elle, si tu y mettais du tien.
- Tu parles, renifla Lili. Elle a l'air chiante et rabat-joie.
- Tiens tiens, ça me rappelle vaguement quelqu'un... la taquina Farah.
- Je ne suis pas comme elle ! Respecte-moi un peu, s'indigna Lili d'un air dégouté.
- Arrête d'en faire des caisses. Il n'y aura toujours qu'une princesse Lili au royaume Jeanne d'Arc, soupira Farah dans un sourire amusé. Elle ne prendra pas ton trône.
- Pff, comme si elle en avait les capacités, bougonna Lili. Allez, vas-y, va boire un verre avec elle. Je parie qu'elle est super chiante. »
Farah ignora cette ultime pique et déposa un baiser plein de rouge à lèvres sur la joue de Lili, qui s'écarta en riant.
« Bouge ton kiss, t'as qu'à le faire à ta nouvelle pote.
- Qu'est-ce que t'es jalouse ! Je ne savais pas que Lili la queen pouvait jalouser quelqu'un. »
Lili lui tira la langue avant de lui tourner le dos avec un sourire qui trahissait son amusement. Contente d'avoir limité la casse, Farah alla rejoindre Thylane avec légèreté.
Elle ne savait pas trop ce qu'il lui avait pris. Même si elle était de nature hyper sociable, l'idée d'inviter Thylane boire un verre lui était venue spontanément. La vérité, c'était que la brune l'avait impressionnée au self. Thylane avait tenu tête à Lili et toute sa bande alors qu'elle était seule. Farah aimait les gens qui avaient du cran, et elle semblait en faire partie.
Thylane l'accueillit avec un sourire mi-amical, mi-moqueur. Fidèle à son sarcasme, elle ricana :
« T'as eu l'autorisation de la reine Lili ?
- On l'appelle plus couramment princesse Lili, expliqua Farah d'un ton faussement solennel. Elle nous laisse un créneau d'une heure. Et je dois lui rapporter un compte rendu détaillé de la situation.
- Donc si je dis que je n'aime pas le jus d'ananas, tu lui diras ? s'inquiéta Thylane.
- Si tu n'aimes pas le jus d'ananas, ce n'est même pas la peine qu'on traîne ensemble. »
Thylane et Farah soutinrent leur regard un instant, avant d'éclater de rire à l'unisson. Peut-être que cet instant fut le début de leur amitié.
Les deux adolescentes se rendirent au bar du coin, juste derrière leur lycée. Alors qu'elles allaient se poser, Farah s'assura d'un détail capital :
« Rassure-moi, tu aimes bien le jus d'ananas ?
- Ok, je plaide coupable, rigola Thylane et Farah la rejoignit. »
Après ce moment, il y eut une sorte de blanc qui fit paniquer Farah. Elle détestait lorsqu'il y avait des blancs entre elle et les gens. D'habitude, ses copines avaient toujours un tas de conneries à raconter. Thylane n'était définitivement pas comme eux. Bien au contraire, elle semblait apprécier le silence. Elle s'était avachie sur sa chaise et avait fermé les yeux comme si elle vivait sa meilleure vie, alors qu'elle était juste posée à un bar.
Farah ne put s'empêcher de sourire. Pas de doute, cette fille était différente. Thylane l'intriguait déjà beaucoup. Même quand elle était silencieuse et observait simplement les gens, elle avait une certaine présence. Farah admirait les gens qui dégageaient cette aura naturelle.
Le silence s'éternisa. Farah commençait à se sentir gênée, surtout qu'elle voyait bien que ce n'était pas du tout le cas de Thylane. Un peu maladroite, elle tenta d'amorcer une conversation banale :
« À part ça... Tu écoutes quoi comme musique ? »
Thylane rouvrit les yeux d'un air groggy, visiblement en pleine sieste. Comme si elle la dérangeait lourdement. Farah n'avait jamais vu un tel niveau de battage de couilles. Franchement, c'était presque fascinant.
« Sérieusement ? se moqua Thylane. On dirait un date Tinder.
- Ah, je vois que madame s'y connaît, rebondit aussitôt Farah avec un petit sourire narquois aux lèvres. .Qu'est-ce que tu en sais ? T'as déjà daté sur Tinder ? »
Thylane écarquilla les yeux et leva les mains au ciel d'un air innocent.
« S'il te plaît, ne m'associe pas à ça. On connaît pas les gens, on peut tomber sur des cas bizarres.
- T'as quoi contre les sites de rencontre ? s'étonna Farah. Franchement, c'est grave cool. Ma cousine a rencontré sa copine comme ça, c'est super stylé. Oh, et ok, j'avoue, pendant une soirée un peu arrosée, je me suis créée un compte avec des potes. He, ne me juge pas ! De base, c'était pour rire. Bon, d'accord, au final j'ai continué à parler avec pas mal de mecs mais j'ai jamais osé les rencontrer. Si ça se trouve, j'ai loupé mon âme soeur, tu te rends compte ? »
Farah continua de raconter ses petites histoires et à son grand soulagement, Thylane commença visiblement à se détendre et à rentrer pleinement dans la conversation. Elle éclatait de rire à chaque anecdote de Farah, au grand plaisir de celle-ci. Elle avait toujours eu un don naturel pour faire rire la galerie.
« Sérieusement, meuf, t'es hilarante, lâcha Thylane entre deux éclats de rire. Dire que je te pensais aussi reloue que Lili et compagnie.
- Elles ne sont pas reloues, les défendit Farah. En fait, elles sont grave drôles, et elles ont toujours un truc à raconter. Et j'sais pas, je les aime trop. Alors pas de critiques directes envers elles s'il te plaît, j'aime pas avoir le cul entre deux chaises.
- Daccord, d'accord, je me retiendrai à l'avenir, soupira Thylane. De toute façon, si je veux me plaindre d'elles, j'ai toujours Sam. Le pauvre, c'est mon bouc émissaire de plaintes. Il subit toutes mes râleries et ma mauvaise humeur.
- Je t'avoue que j'ai du mal à cerner votre relation, admet Farah en fronçant les sourcils. Vous êtes amis ? Ou juste... Colocataire de repas au self ?
- J'en n'ai aucune idée, rigola Thylane. J'sais pas, il vient manger avec moi de temps en temps. Je sais pas s'il m'apprécie, s'il me prend pour bouche trou ou si je lui fais juste pitié parce que je suis toute seule. »
Farah sentit son cœur se serrer. C'était vrai que Thylane était souvent seule. Elle détestait voir des gens exclus, ça lui brisait le cœur. Mais Thylane la reprit aussitôt à l'ordre :
« Pas besoin de faire cette moue de pitié. Tu sais, certaines personnes ont besoin d'être entourées pour être heureux - toi, j'imagine. Mais il y a d'autres gens, comme moi, qui n'ont pas besoin des autres pour s'épanouir et être bien. J'ai pas besoin d'avoir des potes au lycée pour être heureux. J'aime bien les cours, et je me sens assez bien avec moi-même pour m'auto-supporter toute la journée mdrr. »
Farah l'écouta d'un air sceptique qui se transforma peu à peu en admiration. Thylane avait raison. Et elle aurait bien aimé être comme elle. Ne dépendre de personne et être très bien comme ça. Farah dépendant cruellement des autres, et nul doute que cela lui jouerait de sales tours.
Comme si le destin l'entendait, un blond au visage un peu trop familier pénétra dans le bar. Aussitôt, Farah sentit son cœur s'emballer et battre la chamade. Voilà parfaitement la raison pour laquelle elle aurait voulu ne pas autant dépendre des autres. Il suffisait d'un Léo dans les parages pour qu'elle se retrouve totalement dépaysée. Farah détestait cette emprise qu'il avait sur elle, mais en même temps, elle adorait. Sentiment doucement douloureux.
Thylane avait continué à parler toute seule et Farah ne l'écoutait même plus - dommage, elle était partie dans un débat intéressant. Au bout d'un moment, Thylane sembla réaliser qu'elle parlait dans le vent et elle lança :
« Quoi, tu crush sur le blondinet là-bas ? »
Thylane se retourna pour bien vérifier où allait le regard de Farah, avant de soupirer en levant les yeux au ciel. Farah sentit ses joues s'échauffer alors qu'elle cherchait une excuse.
« On dirait une gosse de quatre ans. »
Son sourire trahissait la légèreté de ses paroles. Farah ne put s'empêcher de préciser :
« Je ne crush pas sur lui. C'est Léo, mon meilleur ami.
- Léo..? répéta Thylane en fronçant les sourcils. Eh mais il est au lycée lui, nan ?
- Oui. Il est en terminale ES, expliqua Farah. »
Elle tentait désespérément de capter le regard de Léo, mais son dos lui faisait face. En plus, il était entouré d'une dizaine d'amis. Soudain, elle capta le regard de Matth et Alban et lâcha un sourire précipité. Les deux acolytes de Léo lui rendirent son salut et Matth lui tapota l'épaule. Farah sentit son cœur s'arrêter de battre. Léo se retourna.
Leurs regards se croisèrent.
Le cœur de Farah se serra délicieusement.
Cette atmosphère électrique, ce courant dans l'air, elle n'était pas là seule à le sentir, si ? Pouvait-elle autant se voiler la face ?
Après quelques mots échangés, le trio de garçons finit par rejoindre Farah et Thylane - cette dernière la bombardant de question. Mais Farah était trop absorbée par la situation et ne pouvait pas répondre, si bien que Thylane leva les yeux au ciel lorsqu'elle vit les trois garçons s'assoient avec elles. Si ce n'avait pas été Léo, Farah se serait sentit gênée car elle avait remarqué que Thylaje n'aimait pas être en grands groupes, mais c'était Léo. Alors elle ne pouvait quand même pas lui demander de partir !
« Quoi de neuf ? lança Alban. C'est qui ? Tu ne nous présentes pas à ta pote ? »
Alban dévorait déjà Thylane des yeux. Ce qui n'était pas étonnant. Avec ses airs de Shay Mitchell, Thylane devait être du genre à plaire à beaucoup de gens, même si Farah doutait que cela la flatte vraiment. Thylane avait plutôt l'air du genre à faire fuir ceux qui l'approchaient. Que de mystères.
« Eh bien... commença Farah d'une voix hésitante alors que Thylane la fusillait du regard. Euh, c'est Thylane, une pote de ma classe. Elle est nouvelle.
- Vous l'avez jamais vue ? s'étonna Matth. Elle prend le bus avec nous. Ça va, Thylane ? »
La brune lui répondit par un sourire crispé pas vraiment avenant. Farah avait remarqué que Matth avait essayé d'approcher Thylane, mais cette dernière était plutôt réticente. En fait, étonnamment, la seule personne qui avait réussi à approcher Thylane était Sam. Franchement, cette situation était assez irréaliste.
Alban haussa les sourcils et échangea un regard intrigué avec Leo.
« Jamais vue. Ça m'étonne qu'on t'ait manquée, pourtant, ajouta Alban en riant. »
Il pensait sans doute être mignon mais Thylane lui décocha un regard à la fois brusque et étonné. Farah tenta d'analyser son artitude. En fait, elle paraissait surtout gênée, voire anxieuse. Mmh...
« Tu viens d'où ? demanda Léo en se penchant vers Thylane avec son petit sourire en coin dont seul lui avait le secret. »
Oh, non. Farah le connaissait par cœur. Il avait visiblement craqué sur Thylane et tentait de l'approcher. Sous mes yeux ! Putain de merde ! Il fait exprès ou quoi ?
« Toulouse, rétorqua Thylane avec froideur.
- Qu'est-ce qui t'amène par ici ?
- Rien ne « m'amène ». Je suis clairement pas ici par bonté de cœur. »
Léo rigola et la prit par l'épaule. Thylane se dégagea aussitôt mais Farah perdit rapidement la fil de la scène.
C'était dur. C'était dur, de voir celui qu'elle aimait agir de cette manière. Elle comprit que son amour était a sens unique et ne serait jamais réciproque. Léo ne la verrait jamais que comme « la bonne pote » et ne se gênerait pas de draguer ses copines sous ses yeux. Se rendait-il au moins compte comme cela les blessait ? Comment il pourrait ? Ce n'est pas de sa faute, je ne lui ai jamais parlé clairement de mes sentiments, tenta de le défendre Farah. Mais elle n'avait plus la force pour ça. En voulait Léo faire les yeux doux à Thylane, pour la première fois, elle regretta ses sentiments.
Elle sentit le regard plein de pitié de Matth et Alban sur elle et cela ne fit que l'attrister davantage. Soudain, elle sentit que c'était trop et se leva brusquement pour aller aux toilettes.
« Farah ! l'appela Matth, mais elle l'ignora. »
Farah sentait les larmes monter. Putain, elle ne pleurait jamais, d'habitude. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Ça doit être parce que j'ai mes règles. Les hormones. Juste les hormones. En arrivant face au miroir, elle s'observa. Pour la première fois, elle eut un regard critique sur elle-même. Elle n'était pas assez jolie, c'était une évidence. Ses yeux étaient d'un marron ennuyeux, sa peau n'était pas toute lisse, elle avait un écart entre ses deux premières dents, ses lèvres n'étaient pas assez pulpeuses, son nez un peu trop retroussé.
Portant, Farah était belle. Elle s'était toujours trouvée belle parce qu'elle avait toujours eu confiance en et qu'elle avait toujours su ce qu'elle valait vraiment. Et voilà qu'elle commençait à douter d'elle. Était-ce à ce moment qu'elle aurait dû réaliser qu'elle entrait dans une relation toxique ?
Farah leva la tête vers le ciel pour tenter de refouler ses larmes. Soudain, quelqu'un ouvrit brutalement la porte. Elle tourna la tête. À sa grande surprise, c'était Thylane. Elle s'approcha de Farah et aussitôt, il y eut comme un changement sur son visage. Toute la froideur de l'expression de Thylane s'envola et fut remplacée par une sincère inquiétude. Thylane murmura :
« He... Farah, qu'est ce qui ne va pas ? »
Farah fut étonnée par la douceur de la voix de Thylane. Elle était habituée à entendre ce brin moqueur empli de sarcasme. Elle ne put s'empêcher de sourire tristement.
« Rien. Tout. Comme d'hab. Ça va aller, meuf, t'inquiète.
- Pleure pas pour ce débile, chuchota Thylane en lui prenant le bras. Il ne mérite pas tes larmes. »
Et, encore plus surprenant que ne l'était déjà la situation, Thylane la prit dans ses bras. Farah laissa s'échapper un sanglot étranglé avant de serrer celle qui semblait devenir son amie en retour. Étrangement, la chaleur des bras de Thylane l'apaisa aussitôt. Parfois, Farah avait juste besoin de se sentir aimée.
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