Domicile des Longdubat — octobre 1981

La conversation qu'elle avait eue avec Alice avait aidé Lily, plus qu'elle ne le pensait. Sa culpabilité à l'idée de se montrer égoïste et de faire passer son fils avant le monde magique s'était atténuée. Elle ignorait si son mariage avec James pourrait être sauvé, mais elle était certaine que si elle restait près de lui en ces moments difficiles, ils finiraient par se déchirer sans cesse jusqu'à prononcer des mots irréversibles.

C'était comme un écho de leur ancienne relation à Poudlard, avant que James lui déclare sa flamme. Ils s'étaient souvent hurlés dessus, parfois jeté des sorts, sans la moindre pitié. James la trouvait trop sérieuse et il n'aimait pas qu'elle soit amie avec Severus. Lily le trouvait prétentieux et arrogant, un idiot convaincu que le monde entier tournait autour de lui.

Puis, d'un coup, James avait décrété qu'il l'aimait. Sa volte-face soudaine avait déstabilisé Lily et si elle l'avait repoussé violemment au début, elle ne pouvait pas nier qu'il y avait de la curiosité en elle. Sans même s'en rendre compte, elle s'était adoucie et était tombée amoureuse à son tour, parce que James Potter, bien qu'il soit souvent un idiot, pouvait se montrer parfaitement charmant.

Sans la guerre et la peur de mourir à chaque instant, elle ne l'aurait peut-être pas épousé si vite. En tout cas, ils n'auraient pas fondé une famille en étant si jeunes, juste en sortant de l'école, alors qu'ils débutaient dans la vie.
Lily avait rêvé de devenir maîtresse en sortilèges, voire même d'étudier les potions. Elle avait espéré une carrière professionnelle, décidée à ne pas devenir femme au foyer comme sa mère.

James l'avait demandé en mariage alors qu'ils venaient d'échapper à la mort lors d'une bataille contre les Mangemorts, la semaine suivant leur diplôme, et Lily avait accepté sans réfléchir, le cœur battant, encore sous le coup de la frayeur et de l'excitation.
Ensuite... le tourbillon de leur vie n'avait empêché de douter ou de trouver que tout était bien trop rapide. James était un bon mari. Un bon père. Il n'était plus l'adolescent si désagréable qu'elle avait autrefois détesté... Il s'était assagi et il l'entourait de tendresse et d'attentions.

Sauf que leur bulle de bonheur avait éclaté peu après la naissance de Harry, au moment exact où Dumbledore était venu leur parler de la prophétie. James avait été horrifié, bien sûr, et il avait voulu immédiatement protéger Harry. Mais il y avait cette lueur de fierté dans le regard, alors qu'il s'imaginait combattre aux côtés de son fils, dans le futur. Il voulait en faire un guerrier, un héros... alors que Lily ne lui souhaitait qu'une vie heureuse et désespérément normale.

Les disputes n'avaient commencé qu'après l'anniversaire de Harry, quand ils avaient fêté sa première année, seuls sans pouvoir inviter leurs amis. Peu après, ils avaient fait face une fois de plus à Voldemort sur un champ de bataille, luttant pour leur survie avec à l'esprit le danger constant que leur fils courrait.
En se battant directement contre lui, ils avaient réalisé une partie de la prophétie : c'était la troisième fois qu'ils l'affrontaient. Qu'ils le défiaient. Et en prenant part à cette escarmouche, ils avaient fait de leur fils chéri l'enfant de la prophétie.

Lily avait reproché à James son habitude de se jeter tête la première dans les batailles, comme s'il aimait ça. Comme s'il avait besoin de ça pour vivre, comme s'il était toujours le petit coq prétentieux de Poudlard qui avait besoin de l'admiration des autres.
La visite de Dumbledore, souriant, leur confirmant tranquillement que Harry était bel et bien l'enfant de la prophétie et qu'il aurait un futur prestigieux avait suffi à mettre le feu aux poudres.

Après plus de trois mois de guerre rangée dans son couple, la jeune femme n'était plus vraiment certaine d'aimer James. Ou au moins plus de façon aussi exclusive qu'au début de leur relation. Peut-être que ce que tout le monde voyait comme un coup de foudre et une histoire d'amour merveilleuse n'était qu'une attirance passagère, un feu de paille vite consumé.

La proposition d'Alice de les héberger quelques jours, le temps pour elle de réfléchir sereinement et de prendre une décision, était tombée à pic. Lily savait qu'Alice ne parlerait à personne de sa visite chez les Malefoy ou de son idée de rejoindre les ténèbres pour protéger son fils. Parce qu'Alice s'était retrouvée à sa place peu de temps auparavant, et elle avait probablement cherché comme elle n'importe quel moyen de protéger son fils chéri.

Franck sembla surpris de sa présence chez lui, mais il lui jura de ne rien dire à James. Bien qu'ils soient collègues, mais ils ne s'étaient jamais vraiment entendus. Par ses plaisanteries constantes avec les Maraudeurs, James avait réussi à ne pas faire l'unanimité... même parmi les Gryffondor.
Le jeune homme la fixa un bref instant avec sa bonhommie habituelle puis lui adressa un clin d'œil complice, avec un sourire rusé.
— Je ne dirais rien à Dumbledore non plus.

Lily éclata de rire et l'enlaça, se souvenant que beaucoup faisaient l'erreur de le sous-estimer parce qu'il avait un air avenant. Beaucoup à Poudlard pensaient que Franck Longdubat était un idiot ou un faible avant de lui faire face... De la même façon, Franck n'était pas Auror pour rien et il cachait bien son jeu.

Ainsi, Lily profita de l'hospitalité des Longdubat pendant une semaine, réfléchissant très sérieusement à son avenir et aux décisions qu'elle devrait prendre, loin de James et de leurs disputes, loin de Dumbledore.
Elle savait qu'aux côtés de son mari, elle aurait rapidement perdu patience et pris sa décision sur un coup de tête, probablement après s'être disputé une fois de plus avec lui. En s'éloignant un peu, elle avait la possibilité de rester objective et de garder la tête froide, de pouvoir se décider sans regret.

Alice, après leur première conversation, n'évoqua plus le sujet. La vie de son fils était aussi dans la balance, dans une moindre mesure, mais elle eut la délicatesse de ne pas chercher à l'influencer ou à la conseiller. Puisque Harry jouait avec Neville, Lily avait tout le temps qu'elle voulait pour peser le pour et le contre sans être dérangée.

Suivre la lumière ou rejoindre les ténèbres...