Le chien assassin et l'oiseau mort

- Rachel, Papi-Pomme est mort.

Un instant de vide, néant émotionnel, sensation d'être lâchée d'un seul coup, de chuter à travers des couches de choc qui se changent peu à peu en incompréhension. Puis survient la douleur. Terrible, suffocante, qui me prend à la gorge telle un chien affamé, assoiffé de sang et de larmes.

Dans ma tête surgit le visage de mon grand-père, sa voix, ses yeux, son rire... Tout se fissure et se brise, vitre insouciante volant en éclats de verre tranchants comme des poignards.

Des frissons glacés me parcourent de la tête aux pieds. Je suis un oiseau qui vient d'être abattu en plein vol et qui s'écrase au sol.

Les semaines suivantes je ne vis plus. Je survis, tremblante, brisée, accablée. L'oiseau est en train de de se faire dévorer par le chien. Il saigne, ses plumes volent tandis qu'a lieu un véritable carnage.

L'enterrement, le cercueil, le procès de l'assassin, les monstrueuses voitures qui t'ont ôté la vie sont autant de coups que j'encaisse sans un cri.

Bientôt, mon insouciance se mue en douleur, ma joie en tristesse et mes mots si doux et rieurs deviennent sarcastiques et ironiques.

Et j'ai mal, si mal... Je voudrai hurler mais ma gorge est étroitement cadenassée et la clé, tu l'as avalée. Ma douleur change alors de cap et s'attaque à mon cœur et à mon ventre. La souffrance devient alors physique, tangible, on peut mettre un nom dessus.

Je l'appelle le syndrome du masque.

Je perds le contrôle, un sourire vient hanter mes lèvres, les scellant, scellant ma peine. Puis une blessure survient. Ma cheville, mon pied, brisés. Ça fait mal.

Le plâtre est une cage dont je ne sais me libérer. Il est une ancre qui m'empêche d'oublier et de tourner cette page maudite. Cette ancre oscille entre les multiples vagues tristes, moroses, désespérées, abandonnées, impuissantes et endolories. Et à chaque triste marée, à chaque cycle qui se répète, cœur et cheville résonnent dans leur douleur, ton visage revient, un peu plus estompé chaque fois, et le plâtre aussi, un peu plus léger chaque fois.

Mais le démon est là. Depuis ces quelques mots qui l'ont fait naître. C'est marrant, il me ressemble... Mais ce n'est pas moi. Il a les yeux vides et les mots cruels. Seule sa survie lui importe. Il se nourrit des quelques résidus de bonheur que le chien n'avait pas avalés. Peu à peu, il prend possession de moi. 

Je me sens disparaître...

Enfin, un matin, je croise mon regard dans le miroir. Comme j'ai changé ! Mes yeux sont vides, secs tant ils ont pleuré. J'ai l'air fatiguée, mais une flamme m'habite : le désir de vivre.

L'oiseau est en pleine renaissance, cadavre animé par cette lueur froide, et il survivra, il écrira, et un jour mourra.

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