Partie 5

Le coeur de NamJun fit un bond jusqu'à ses lèvres. Il soupira et baissa la tête.

- Vous êtes en sécurité ici, la porte est fermée à clé.

Il espérait juste que la magie noire qui semblait opérer ici n'ait pas raison du verrou.

Deux heures passèrent sans qu'aucun des deux ne parle. NamJun avait sorti son plaid pour les rares fois où il n'avait pas eu le courage de rentrer chez lui. Il lui était arrivé de dormir dans son bureau, plié en quatre dans son grand fauteuil à roulette. Mais à deux, c'était beaucoup moins pratique. NamJun avait donc invité son patient à s'installer sur un petit canapé en cuir vieilli et plein d'accros. Il trouvait ça bien triste à constater mais le confort était bien moindre que celui de son fauteuil. Il était collé à Jimin et sentait ses frissons. Pourtant, le psychiatre était certain que son patient n'avait pas froid. Il voulait qu'il s'endorme, qu'il cesse de penser à la malédiction ambulante qui traînait dans les couloirs. Mais Jimin gardait les yeux obstinément ouverts, guettant la porte toutes les dix secondes, très exactement.

NamJun prit alors la main de Jimin et la coinça entre les siennes, sans lui faire de mal.

- Jimin, vous ne craignez rien ici. La porte est fermée à clé et le chat n'est pas là.

- Je sais mais... il est vicieux comme le diable.

Doc ne sut quoi lui répondre. Ce qui se passait dans ces lieux dépassait la limite du naturel. Lui-même était de plus en plus gagné par la peur. Il se tut simplement et se rapprocha un peu plus de lui.

- Je ferai ce qu'il faut pour vous protéger. Essayez de dormir un peu maintenant.

Le patient acquiesça et posa la tête sur l'épaule de son ami. C'était comme ça qu'il le voyait sur le moment. Il voulait un ami pour le rassurer, pas un docteur. Et c'était largement suffisant comme ça. Jimin ferma les yeux et NamJun en fit de même. Il ne savait pas trop comment il allait pouvoir se reposer dans de telles conditions. En tout homme réfléchi qu'il était, Doc se dit qu'il fallait au moins essayer. Il tenta de penser à autre chose. À Bleach, tiens. Aux gros seins de Rangiku Matsumoto et à son super pouvoir de Shinigami.

Il ouvrit les yeux trois heures plus tard. Il n'eut aucun mal à deviner que s'il se réveillait aussi facilement, c'était parce qu'il n'avait pas dormi. Pas vraiment en tout cas. Pas assez bien. Mais ça lui paraissait si logique qu'il ne s'en fit aucune formalité. Il leva les yeux vers l'horloge murale au-dessus de la porte. 2 h 52. Bientôt 3 h. NamJun était resté déconnecté presque quatre heures en fait. Il tourna la tête pour balayer la pièce du regard. Il la connaissait par coeur mais il ne pouvait pas s'empêcher de refaire ce tour du propriétaire à chaque fois qu'il passait la nuit ici. La bibliothèque était si large qu'elle prenait à elle seule la largeur d'un mur. Son bureau en chêne était toujours sagement posé au milieu de la pièce, impeccablement propre. Le fauteuil en cuir, sans accroc, même après quinze ans de bons et loyaux services.

La porte était fermée mais Doc en mettrait sa main à couper qu'elle était à présent déverrouillée. Son plaid était beaucoup trop large pour lui tout seul. Il ne sentait plus le poids de la tête de Jimin sur son épaule. Son cœur rata un battement. Puis un autre. Il se sentit faire un arrêt cardiaque au ralenti. Il essaya de rationaliser, d'être logique comme il avait l'habitude de l'être, mais tout ce qu'il parvint à faire fut de lâcher un rire jaune et rauque, presque hystérique. Il fallait bien qu'il se rende à l'évidence que non, Jimin n'était pas simplement parti pisser. Le chat l'avait appelé et il avait quitté la pièce pour aller mourir dans sa chambre.

Sans lâcher sa couverture, il se leva, ouvrit la porte à la volée et fonça vers la chambre de Jimin. Il savait qu'il serait là. Il ne pouvait pas être ailleurs. Loki l'avait attendu là, c'était impossible que Jimin soit allé autre part. La panique le gagnait à une vitesse affolante. Son coeur battait tellement fort qu'il le sentait jusque dans ses yeux. Il ne savait plus où il était, il n'entendait que le grésillement des néons, ce son si pénible, si aigu, qu'il lui dressa les poils sur les bras.

Il ne sut vraiment par quel miracle il parvint à arriver devant la porte de la chambre de son patient, mais il était bien là, devant. NamJun hésita grandement à la franchir. Trop de drames étaient arrivés en quelques jours, trop de sentiments qu'il n'avait pas le droit de ressentir. NamJun n'avait jamais peur. Mais là, il avait découvert ce que c'était que d'en être envahi, ce que c'était de se sentir une statue de marbre parce que chaque mouvement qu'il faisait l'angoissait au point de le paralyser.

NamJun posa sa main sur la poignée. Il n'avait pas envie de l'ouvrir. Pas envie de voir que le patient le plus prometteur de ce service s'était fait tuer à cause d'une sorcellerie dont il ne comprenait ni la motivation, ni les rouages. Doc ne voulait pas le faire. Il ne voulait pas être obligé d'accepter a vérité. Il ne voulait pas que Jimin soit mort. Pas lui. Pas son ami. Il retira la main de la poignée. Il ne pouvait pas faire ça. Il ne pouvait pas voir le corps du jeune homme. Il fit un pas en arrière, s'apprêtant à faire demi-tour.

Seulement la poignée s'abaissa, tout doucement. NamJun refusa. Mû par une volonté apeurée, il se jeta sur la porte pour l'empêcher de s'ouvrir. Doc ne voulait pas voir, il ne voulait pas assister à ça une fois de plus. Mais une explosion sourde arracha la porte de sa serrure et s'ouvrit dans un grincement, très lentement. NamJun lâcha la poignée qui lui était restée dans la main et fit un pas en avant. Il sentait son coeur remonter au bord de ses lèvres. Loki surgit de nulle part et se frotta à sa jambe. Toujours avec ce sourire plaqué sur son visage poilu. Toujours cette même aura monstrueuse. Il s'en alla calmement en se dandinant dans le couloir. Doc se borna à regarder ses pieds. Il ne voulait faire face ni au chat, ni à l'atroce corps de Jimin. Il sentit son coeur devenir de plus en plus anarchique et sa respiration s'alourdir. Il allait regarder. La magie noire de Loki allait le forcer à lever la tête, il le savait. Il tenta de prendre un grand souffle d'air, ferma les yeux pendant deux longues secondes (comme si ça pouvait l'aider à se préparer), et leva lentement la tête pour rester figé devant le tableau macabre.

La pièce était d'une sobriété extrême, mis à part le poster de Muse collé sur la porte de l'armoire. Les rideaux n'étaient pas tirés, la Lune noyait la pièce de sa lumière grise et déprimante. Le lit était parfaitement fait, pas un seul vêtement ne traînait. C'était comme si personne n'avait jamais habité cette chambre. NamJun fit un pas en avant. Il avait cette étrange sensation de vide qui prenait de plus en plus de place dans sa poitrine, comme si tout ce qu'il avait sous les yeux n'était que le fruit d'une imagination tordue alimentée par ce que ses patients avaient pu lui raconter. Il ne quitta pas du regard le visage fantomatique de Jimin. Sa pâleur exagérée, ses yeux inversement trop noirs, figés dans la peur, encore ouverts et braqués dans le vide. Il voyait l'immense mer de sang dans laquelle il baignait.

Le rouge était encore plus horrible, éclairé par la Lune. Jimin était à plat ventre, son t-shirt auparavant blanc imbibé de sa vie. Pas loin de son avant-bras ouvert sur la longueur traînait un scalpel, piqué dans la pharmacie. Jimin n'aurait jamais fait ça. Pas comme ça. NamJun n'en pouvait plus de regarder ça mais il ne détourna pas les yeux pour autant. C'était trop pourtant. Il fit un pas en avant, puis un autre. Il avait froid aux pieds, nus. Il se gelait sur place à mesure qu'il sentait le liquide compact et à moitié séché sur sa peau. Il tomba doucement à genoux dans une petite éclaboussure de sang qui tacha son jean, et s'allongea sur le flanc, en face de son patient. Il leva le bras lentement, trop même, pour replacer une mèche de cheveux derrière les oreilles du jeune homme. Il déglutit une dernière fois, repoussant la bile qui s'efforçait de monter dans sa gorge. Et il éclata en sanglots.

Il ne sut vraiment combien de temps il resta là, allongé dans une flaque de sang épais et poisseux. Il se rappela seulement de Feng Sui, le lendemain, qui l'avait sorti à bras le corps de la chambre, pâle comme la mort et presque en larmes. Il avait compris que NamJun ne serait plus jamais le même, que la peur allait régner en maître dans le service le plus calme de cet hôpital. Doc ne voulut même pas se séparer de ses vêtements. Il n'avait pas dit un seul mot depuis la veille au soir. Simplement, quand l'infirmier voulut lui retirer sa chemise pour lui en donner une propre, il serra les poings dessus et se replia sur lui-même. Feng Sui lâcha bien vite l'affaire et lui laissa simplement un verre d'eau. Le chat était introuvable et personne ne savait plus quoi faire. La police tenta de poser une ou deux questions à NamJun, comme de coutume, mais il ne dit rien et se contenta de regarder la porte ouverte derrière lui. Il voulait dormir. Arrêter de voir le chat, derrière l'officier en uniforme, sourire. C'était comme s'il l'entendait de loin lui murmurer : « C'est toi le suivant ».

Il était certain qu'il y passerait maintenant. Et quand l'officier quitta la pièce, NamJun se leva, et d'un pas robotique tant il était machinal, vide, il se dirigea vers la pharmacie dans la salle de soins infirmiers. Il prit un flacon d'antidépresseurs dans la boîte scellée et retourna dans la chambre de garde. Il fit sauter le couvercle avec le pouce et fit tomber deux comprimés dans la paume de sa main. Il ne savait absolument pas quels effets ça pourrait avoir sur lui qui n'avait jamais goûté à ça, mais les circonstances étaient telles que dans tous les cas, il avait besoin de les avaler. Peu importe si ça l'endormait juste ou si ça le tuait, il voulait juste du calme. Beaucoup de calme. Pour essayer de reconstituer l'infime lueur d'espoir qui se fissurait de plus en plus, sans doute. Sa dernière once de rationalité qui voulait qu'il se remette sur pied et qu'il ne cède pas à cette boule d'angoisse qui lui rongeait l'estomac. Il faillit les avaler de travers, mais il y parvint. Il eut tout juste le temps d'enlever son jean et sa chemise avant de se glisser sous la couverture. Dix minutes plus tard, le sommeil noir et profond l'enveloppait.

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