Partie 2
NamJun soupira et tenta de maîtriser ses mains qui se mettaient à trembler. Il ne fallait pas qu'il reste là. Il ne fallait pas qu'il se montre faible devant le légiste. Ça n'était pas possible. Il tourna les talons et sortit de la chambre pour aller se glisser le long du mur, un peu plus loin. Toutes ces superstitions douteuses n'avaient pas leur place ici, et encore moins dans la tête du chef de service. Pourquoi le chat y serait pour quelque chose dans la mort de HoSeok ? Dans un sens, si. Le chat était la source même de la psychose de son patient. Mais comment avait-il réussi à rentrer dans la chambre ? Son collègue infirmier de nuit n'aurait jamais laissé le félin rentrer en sachant ce que ça allait produire dans le psychisme du malade.
C'était n'importe quoi. Vraiment n'importe quoi. Il fallait qu'il se trouve du bon café. Et qu'il fasse ses consultations journalières. Il avait pas mal de monde à voir en plus. Autant commencer maintenant par les cas les plus légers, pour se changer les idées. De toute façon, il ne pouvait rien faire de plus pour le cas de Jung HoSeok. Il se releva, passa une main moite dans ses cheveux noirs et traversa le couloir en claquant les talons au sol.
- Vous en faites du bruit Doc.
La voix l'arrêta net dans son élan. Doc tourna la tête vers l'origine du son et découvrit un jeune homme au visage doux et souriant. Il se tenait appuyé, dans son pantalon de pyjama trop grand et déchiré en bas de la jambe gauche, contre le chambranle de sa porte ouverte. Il avait les bras croisés et lui envoyait un regard provoquant. On flippe ? Oui, c'était ça que ça voulait dire. NamJun savait que son patient prenait toujours un malin plaisir à défier quiconque posait les yeux sur lui. Pour ensuite le manipuler, entretenir des sentiments éphémères et tout détruire une fois qu'il se sera lassé. C'est le principe d'un psychopathe, après tout. Le seul principe, c'est qu'un psychopathe n'a pas de principe. Juste des envies furieuses qui le poussent à transgresser les règles, à jouer avec la vie des gens, et à s'en amuser.
- Vous êtes bien matinal YunGi. Pourquoi ?
YunGi ne répondit pas à la question et continua de sourire en le regardant.
- Personne ne dort quand y en a un qui dort pour toujours. Vérifiez, personne n'est au lit à cette heure-ci.
- Allez vous recoucher YunGi.
NamJun sentait les questions déplacées venir et ça ne l'enchantait pas. Dans tous les cas, le secret professionnel lui interdisait de révéler quoi que ce soit. Pour NamJun, ce secret était toujours gardé, même post-mortem. Les flics pourraient se carrer les infos au cul. Doc n'ouvrirait jamais la bouche.
Il s'apprêtait à tourner les talons quand YunGi, toujours appuyé contre le cadre de la porte, l'interpella :
- Doc.
- Hm ?
Quoi encore ?
- Le chat.
- Précisez YunGi, vous savez que je préfère les phrases complètes. Sujet-verbe-complément.
Son patient lui lança le regard de « te fous pas de ma gueule, tu sais de quoi je suis capable ». Oui, NamJun le savait. Il savait aussi que la peine de mort était encore autorisée dans le pays et que si YunGi débordait encore une fois, il passerait sur la chaise. Doc fit demi-tour et se posta devant son patient et le toisa. Le boss ici, c'est moi.
Mais NamJun ne s'attendait absolument pas à ça. YunGi empoigna brutalement le col de sa chemise et le tira vers lui à tel point que leurs nez se touchèrent. Le psychiatre pouvait sentir l'haleine mentholée de son patient. Ce qui lui fit le plus peur, ce ne fut pas la proximité de leurs visages mais la façon presque hystérique qu'avaient les yeux du jeune homme de rouler dans leurs orbites. Comme s'ils voulaient voir partout à la fois. Les doigts blancs se resserrèrent autour du col et Doc comprit. YunGi, encore plus blafard que d'ordinaire, avait peur.
- Butez le chat Doc. Brûlez-le, éventrez-le, comme vous voulez, mais faites-le disparaître de là.
- Loki-
- PAS SON NOM ! Ne prononcez pas le nom du Diable ici. Brûlez le chat où il nous aura tous.
- YunGi, vous êtes fatigués et-
- Butez-le Doc. Ou même vous vous y passerez.
NamJun ne sut vraiment pas quoi répondre. Son patient le plus « calme », qui ne connaissait que l'envie d'outrepasser les règles, sans aucune crainte, était nez à nez avec lui et semblait aussi terrorisé qu'un agneau dans la cage aux lions. Son patient le lâcha finalement, baissant les yeux, et retourna dans sa chambre, fermant à double tours derrière lui. Doc ne répondit rien et marcha lentement vers la salle de soins. De loin, on aurait pu croire à un robot. Il passa la porte vitrée, les lèvres serrées, et se planta devant Feng Sui qui remplissait ses derniers dossiers de soin.
- Tu fumes encore ?
- Comme d'hab' Doc, pourquoi ?
- Tu peux me passer une de tes clopes et un briquet s'il te plait ?
- Je croyais que vous aviez arrêté.
Doc lui lança le fameux regard « Me cherche pas. C'est encore moi qui commande ici alors t'as rien à dire ». S'il n'avait pas porté sa blouse blanche et son badge magnétique, Feng Sui l'aurait confondu avec Min YunGi. La même aura meurtrière. NamJun n'était jamais comme ça. Sauf quand quelque chose ne tournait pas rond. Il sortit son paquet et son briquet Zippo et retourna à son dossier sans un regard de plus pour le psychiatre.
NamJun sortit devant la porte du service et alluma une cigarette. Il était seul. Tant mieux, personne ne le verrait tousser. Presque un an qu'il avait arrêté, ça se constatait clairement. Il profita du tournis provoqué par la nicotine pour essayer de remettre ses idées au clair. Il le fallait, sinon ses consultations du jour n'allaient pas porter leurs fruits. D'autant plus que Min YunGi y passerait et qu'il se ferait un malin plaisir de le titiller avec la mort de HoSeok. Il fallait qu'il se calme. Ça n'était pas le genre du Doc de se laisser aller à des superstitions de mamie, juste à cause d'une boule de poils crachée par Loki dans la chambre d'isolement où HoSeok dormait.
Il fuma lentement, savourant et détestant le tabac qui lui brûlait la gorge. La nicotine lui engourdissait le cerveau et ça l'aidait à se calmer. Il pensait à ça. À Loki qui depuis son arrivée, il y a cinq ans, mettait le personnel mal à l'aise et affolait les patients plus que de raison. Le cadre infirmier avait déjà insisté pour virer le chat du service, s'appuyant sur les normes d'hygiène sanitaire en vigueur, prétextant que n'importe quel patient qui arrivait ici pouvait parfaitement être allergique au chat et faire une réaction... mais rien n'y faisait. La tradition l'emportait sur l'hygiène et le cadre avait fini par céder et laisser Loki aller et venir dans les couloirs comme bon lui semblait.
NamJun se releva enfin et s'appuya contre le mur. Un an sans clope et il défaillait presque avec une seule. Mais cette histoire complètement tirée par les cheveux ne le laissait pas si indifférent que ça. Il allait glisser son badge dans la fente pour faire demi-tour et rentrer quand celle-ci s'ouvrit d'elle-même sur l'infirmier de nuit, encore plus blanc qu'un cachet d'aspirine. Celui-ci s'arrêta un instant dans sa marche presque robotique et tourna la tête vers le psychiatre. Il cligna des yeux.
- Ça va Doc' ? Z'êtes tout blanc.
- Sûrement pas autant que vous.
- HoSeok... c'est... il était un de mes patients préférés. Il aimait beaucoup parler avec moi quand il n'arrivait pas à dormir.
- Je sais HyunSuk. Reposez-vous. Vous êtes bouleversé. Prenez quelques jours de congés pour vous éloigner de tout ça. S'il le faut, j'appuierai votre demande auprès du cadre infirmier.
- C'est gentil à vous Doc.
- C'est normal. Ça serait gentil si ça n'était pas normal.
NamJun se comprenait. Pour lui, la gentillesse venait quand le geste accompli n'était pas habituel. Mais le psychiatre considérait l'équipe d'infirmiers avec laquelle il travaillait comme sa seconde famille. Quand un membre allait mal, il avait droit à tout le soutien qu'il méritait de la part des autres.
- Hm...
HyunSuk semblait avoir du mal à partir. Il triturait sa chevalière en se mordant la lèvre. Ça n'était pas son genre d'être angoissé. Encore moins de le montrer à qui que ce soit. À moins que ça ne soit pas que de l'angoisse.
- HyunSuk. Vous n'êtes coupable de rien. Et le chat n'y est pour rien non plus.
D'ailleurs, Doc n'avait aucune idée de la raison pour laquelle tout le monde s'était soudainement mis à fuir le chat comme la peste. Ça n'avait aucune importance de toute façon. Le spiritisme et les histoires sataniques, c'était bon pour les bonnes femmes. Et Doc n'était pas une bonne femme.
- Si vous l'dites Doc.
- J'le dis. Allez, rentrez chez vous et dormez un peu, ça vous fera du bien.
Il n'attendit aucune réponse de son collègue et rentra dans le bâtiment. HyunSuk n'avait pas besoin qu'on lui tienne la jambe. Et son patient l'attendait.
NamJun marcha lentement dans le couloir en regardant ses pieds. Les néons au-dessus de sa tête grésillaient toujours un peu. Doc, en levant les yeux, se rendit compte à quel point son lieu de travail était glauque. Les murs sales, couleur blanc cassé, les néons qui fonctionnaient mal... les petits hublots sur les portes des chambres où quelques fois on pouvait apercevoir un visage collé dessus qui nous suivait du regard...
Il soupira encore une fois. Il croisa le regard de YunGi, qui l'observait d'un oeil à la fois énervé et affolé. NamJun rentra dans son bureau et laissa la porte ouverte. Il jeta un oeil sur sa pile de rapports à finir et de dossiers médicaux en vrac avant de sortir son calepin d'ordonnances. Avec un peu de chances, son premier patient, un jeune homme très gentil et très timide, le mettrait de bonne humeur et lui ferait oublier le corps livide de HoSeok et les yeux jaunes de Loki.
Doc soupira et plongea son regard dans un rapport qu'il n'avait aucune envie de finir maintenant. Mais il fallait bien s'occuper en attendant le jeune homme en question. Il finit par jeter le paquet de feuilles mal agrafées dans un coin de son bureau, et se leva pour aller vagabonder devant sa grande bibliothèque. Il passa devant son gros volume du DSM-V, devant son vieux précis d'anatomie poussiéreux qui datait de ses premières années d'études, sur un livre de Stephen King qu'il n'avait jamais voulu terminer et devant un tome de Bleach. Le premier. Cadeau d'un de ses patients.
Il se rappelait encore du sourire de cet adolescent boutonneux lorsqu'il lui avait tendu le livre. Il le remerciait de l'avoir guéri. Ah, si seulement il savait... que des mois plus tard il la réussirait, sa tentative de suicide. NamJun n'avait jamais eu le temps d'acheter les derniers tomes mais il adorait cette histoire. Il prit le petit volume dans sa main et sans en détacher son regard, il regagna son bureau. Il mit ses lunettes et sourit en commençant la lecture.
Il était plongé dans son manga quand une bouille timide et enfantine rentra discrètement dans le bureau.
- Fermez la porte et venez vous asseoir, Jimin.
Le jeune homme s'exécuta et croisa ses mains sur ses genoux une fois en face de NamJun. Déjà six mois de thérapie et Jimin n'osait toujours pas affronter le regard de son psychiatre. Trop sondeur pour lui peut-être. Ou peut-être sa phobie lui empêchait encore certaines choses. Il n'en savait rien et maintenant qu'il était là, il n'avait plus envie de savoir.
NamJun marqua sa page et rangea son livre dans le tiroir. Il replaça ses lunettes correctement et sourit à Jimin.
- Alors, comment ça va depuis la semaine dernière ? Toujours aussi anxieux quand vous parlez aux autres ?
- Non... ça va je crois. Il y a juste...
- Juste ?
- YunGi... il fait peur... j'aime pas rester avec lui pendant les activités.
- Vous n'êtes pas obligé de rester et de vous entendre avec lui. On ne peut pas être ami avec tout le monde. Arriver à discuter avec les autres qui ne vous font pas peur est déjà une bonne progression depuis votre arrivée ici. N'essayez pas d'aller trop vite Jimin.
- Mais ça fait déjà six mois...
NamJun sourit à son patient. Il le comprenait. Jimin avait envie de guérir de sa phobie sociale. Il croisa les doigts et s'appuya sur son bureau.
- Les miracles n'existent pas Jimin. Il vous faudra du temps et du travail pour y arriver. Mais vous êtes sur le bon chemin, croyez-moi.
Jimin n'avait pas l'air convaincu. Il se mordait la lèvre, regardait partout sauf vers le bureau. C'était un point que Jimin ne changerait jamais. Il n'arrivait pas à dire ce qui le tracassait mais montrait que quelque chose n'allait pas.
- Jimin. Qu'est-ce que vous avez peur de me dire ?
Le patient se pinça les lèvres encore plus fort et NamJun se sentit légèrement mal de voir des larmes monter dans ses yeux.
- Jimin...
Son patient fondit en larmes et cacha son visage dans ses mains. NamJun sortit une boîte de mouchoirs en papier de son tiroir et la fit glisser vers le jeune homme.
- Je ne veux pas rester ici...
- À cause de YunGi ?
- Non...
Jimin allait lui dire. Il tira un mouchoir de la boîte et s'essuya doucement le nez. Doc attendit patiemment qu'il reprenne contenance. Il se préparait mentalement à entendre quelque chose qui n'allait pas lui plaire. Parce que c'était une journée de merde et que Jimin, même avec toute la volonté du monde, ne pourrait pas changer ça.
- Jimin, vous savez que vous pouvez tout me dire.
Le patient se leva pour aller jeter son chewing-gum à la poubelle et quand il vint se rasseoir, NamJun sortit son dictaphone. Il ne fallait pas qu'il perde une miette de ce que Jimin allait lui dire. Son sang faillit se glacer quand il vit le regard froid de Jimin. C'était comme si toute sa timidité s'était envolée, comme si quelqu'un d'autre le possédait.
- La légende Doc.
- Quelle légende ?
- On dit que si un chat vient se blottir contre vous pendant que vous dormez, alors la mort est proche.
- Vous voulez partir à cause de la mort de HoSeok ?
- C'est le chat qui l'a tué. Et vous le savez très bien.
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