Chapitre 1
Maxime serrait ses mains sur le volant, les jointures blanchies sous la pression. Le crépitement intermittent de la radio, qui avait jusque-là rempli l’habitacle d’une compagnie rassurante, devenait insupportable.Derrière ses paupières lourdes, le poids de la journée passée pesait comme une enclume, et pourtant, il n’avait plus de temps à perdre.
Le grésillement de la radio remplissait l’habitacle, un bruit de fond désagréable qui se mêlait au murmure de ses pensées, se confondant presque avec les bruissements de la forêt. De temps à autre, la voix nasillarde du présentateur perçait l’interférence :
"… Une tempête en approche… vents violents… prudence sur les routes…"
Il tourna brusquement le bouton, coupant court à l’annonce d’une tempête imminente qui se rapprochait de la région. Le silence s’installa, pesant, à peine troublé par le bruit du moteur et le froissement des branches des arbres bordant la route de campagne.
La forêt autour de lui paraissait vivante, vibrante d’une présence sourde qu’il ne parvenait pas à nommer. Les ombres des arbres, projetées par les phares de sa voiture, s’étiraient en formes grotesques sur le chemin désert. Chaque silhouette dansait aux bords de sa vision, s’effaçant aussitôt qu’il tentait de s’y attarder. Il n’y avait pourtant rien, absolument rien, à part cette route sinueuse qui semblait se dérouler à l’infini devant lui, et la nuit oppressante qui l'enveloppait.
Maxime se surprit à jeter un coup d’œil nerveux dans son rétroviseur, comme s’il s’attendait à voir quelque chose surgir des ténèbres.
Rien.
Juste le vide.
Un soupir lui échappa, mais il ne parvenait pas à calmer cette sensation insidieuse qui lui rongeait l’esprit, cette certitude sourde que quelque chose clochait. Quelque chose qu’il n’arrivait pas à définir, mais qui pesait sur sa poitrine, l’étouffait.
Le bruit d’un éclair déchira soudain le ciel au loin, suivi du grondement sourd du tonnerre. Maxime sentit son cœur s’emballer. Le ciel, d’un noir d’encre, semblait se resserrer autour de lui, accentuant cette sensation d’emprisonnement. L’air était lourd, chargé d’électricité, et chaque respiration qu’il prenait paraissait plus difficile que la précédente.
Ses yeux scrutèrent de nouveau le rétroviseur. Là encore, le vide. Mais cette fois, il y avait autre chose. Un sentiment. Comme un poids, tapi derrière lui, invisible mais bien réel.
Il secoua la tête. Il avait toujours eu une imagination débordante, et la fatigue de cette longue journée ne l’aidait pas. Depuis des semaines, il se sentait au bord du gouffre, submergé par le stress. Ses nuits étaient agitées, peuplées de cauchemars qu’il peinait à dissiper au réveil, et son travail l’épuisait au point de le rendre presque paranoïaque. Oui, ce n’était que ça, la fatigue qui lui jouait des tours.
Mais cette explication rationnelle, qu’il s’imposait presque mécaniquement, ne parvenait pas à dissiper l’oppression croissante qui envahissait l’habitacle.
Il accéléra légèrement, espérant que le mouvement le sortirait de cette torpeur. Les arbres défilèrent plus rapidement à sa gauche et à sa droite, formant des murs de ténèbres mouvantes, comme si la forêt elle-même cherchait à l’engloutir. Et dans cette obscurité, il sentit de nouveau ce regard. Oui, cette fois, il en était sûr : quelque chose le suivait. Une présence sourde et invisible, tapie quelque part dans cette mer d'ombres.
Son cœur se mit à battre plus fort, tambourinant dans sa poitrine. Sa main droite alla instinctivement chercher son téléphone posé sur le siège passager. Un coup d’œil rapide. Pas de réseau.
Le signal avait dû disparaître il y a plusieurs kilomètres, sur l’un de ces virages interminables. Il se maudit intérieurement d’avoir pris cette route. C’était plus court, plus direct pour rentrer chez lui, mais il aurait dû savoir que cette zone reculée était capricieuse en termes de connexion. S’il arrivait quoi que ce soit…
Il chassa cette pensée de son esprit. S’il arrivait quoi que ce soit. Mais qu’est-ce qui pourrait arriver, au juste ?
Encore une fois, il jeta un regard furtif dans le rétroviseur. Cette fois, il aurait juré que l’obscurité semblait s’épaissir, s’étirer, comme si quelque chose…
Non.
Comme si quelqu’un y prenait forme. Il ferma les yeux une seconde, secoua la tête, puis les rouvrit. Le vide était de retour, comme une page blanche cruelle. Mais le sentiment demeurait, intangible mais bien réel, accroché à lui comme une ombre malveillante.
Le bruit de l’orage, plus proche cette fois, fit sursauter Maxime. Ses mains, moites, glissaient presque sur le volant. Il ouvrit légèrement la fenêtre, espérant que l’air frais l’aiderait à reprendre ses esprits. Mais l’air qui s’engouffra dans la voiture n’avait rien de rassurant : il était lourd, chargé d’une odeur terreuse et stagnante qui lui donna la nausée.
Un autre coup d’œil au rétroviseur. Il était incapable de s’en empêcher. Ses yeux y revenaient sans cesse, attirés comme par un aimant. Et cette fois… cette fois, il crut voir un mouvement. Un frémissement, quelque chose d’imperceptible mais bien là, niché au fond de cette obscurité pesante.
La peur, sourde, profonde, commença à lui serrer les entrailles. Il sentit la sueur perler sur sa nuque, et une envie irrépressible de fuir, de fuir loin de cette route, loin de cette forêt, le saisit. Mais il était déjà trop loin, trop engagé sur cette voie isolée, et tourner en rond n’aurait fait que le perdre encore davantage.
Le grondement du tonnerre se fit plus intense, résonnant dans ses os. L’orage approchait. Il pouvait presque sentir la pression atmosphérique changer autour de lui, comme si l’univers tout entier se contractait. Et cette présence, cette chose qu’il percevait de plus en plus clairement, était là, tout près, presque palpable.
Soudain, un flash illumina la route devant lui. Un éclair, d’une intensité aveuglante, zébra le ciel et illumina les arbres d’une lumière blanche, froide, presque irréelle. Et dans cette lumière, juste l’espace d’un instant, Maxime vit quelque chose. Ou quelqu’un. Une silhouette, floue, indistincte, se tenait debout sur le bord de la route, au milieu des arbres.
Il appuya brutalement sur les freins, le cœur battant à tout rompre. La voiture s’immobilisa dans un crissement de pneus, et un silence lourd, presque assourdissant, s’abattit sur lui.
Le rétroviseur. Ses yeux se fixèrent dessus avant même qu’il n’ait le temps de réfléchir. Et cette fois, il la vit. La silhouette, sombre et menaçante, se tenait là, juste derrière la voiture. Elle ne bougeait pas, ne semblait même pas respirer. Une simple présence, figée, qui le dévisageait à travers la vitre.
Maxime sentit sa gorge se serrer, comme si des mains invisibles cherchaient à l’étouffer. Impossible de détourner le regard. Impossible de faire quoi que ce soit. La peur, glaciale, avait paralysé chaque muscle de son corps.
La silhouette, lentement, commença à avancer.
Le monde autour de Maxime se rétrécit, se resserrant jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cette silhouette et lui, pris au piège dans l’habitacle de sa voiture, son souffle court, sa poitrine oppressée. Elle avançait lentement, avec une précision chirurgicale, comme si chaque pas était calculé pour amplifier l'horreur qui se déversait en lui. Chaque pas, chaque frémissement d’ombre, se répercutait dans son esprit comme un battement de cœur malade, irrégulier.
Son cerveau lui criait de fuir, de démarrer et d’échapper à cette vision. Mais son corps ne répondait plus. Figé, enchaîné par la peur. La silhouette s’avançait toujours. Maxime cligna des yeux, espérant que, peut-être, tout cela n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve éveillé. Oui, cela devait être ça. La fatigue, la journée interminable qu’il venait de vivre, tout cela se mélangeait pour créer cette hallucination grotesque. Ce n’était qu’une vision passagère, une ruse de son esprit, rien de plus.
Mais la silhouette était toujours là, persistante, envahissante. Une ombre avec des contours qui vacillaient comme des flammes sous un vent invisible. Sa forme se précisa à chaque pas. C’était une figure humaine, mais quelque chose clochait, comme si elle était faite de ténèbres plus denses que la nuit elle-même.
Maxime, en proie à une terreur qu’il n’avait jamais connue, se mit à repenser à cette journée de travail, espérant que s’ancrer dans ces souvenirs le ramènerait à la réalité.
La journée avait commencé comme tant d’autres. L’aube se levait à peine lorsqu’il s’était traîné hors de son lit, déjà épuisé avant même que la journée n’ait réellement commencé. Il avait passé des heures à essayer de résoudre une série de problèmes techniques au bureau, des problèmes qui semblaient se multiplier à mesure qu’il les réglait, comme une hydre dont les têtes repoussaient sans cesse. Rien ne fonctionnait. Les dossiers étaient incomplets, les communications brouillées. Ses collègues, d’ordinaire amicaux, semblaient distants, presque fantomatiques. Leur présence, tout comme celle de son environnement, avait quelque chose de décalé, de vaguement irréel.
Vers midi, il avait commencé à sentir une migraine poindre. D'abord légère, elle s'était transformée en un poids constant derrière ses yeux, comme si quelque chose enfonçait lentement des aiguilles dans son crâne. Chaque conversation, chaque échange, lui paraissait dénué de sens, comme s’il observait le monde depuis un épais brouillard. À plusieurs reprises, il avait cru entendre des voix, des chuchotements, mais chaque fois qu’il relevait la tête, ses collègues semblaient plongés dans leur travail. Rien de tangible.
Le pire, cependant, était survenu en fin d’après-midi. Alors qu’il tentait de finir un rapport en retard, il avait jeté un coup d’œil à son reflet dans l’écran éteint de son ordinateur. Ce qu’il avait vu l’avait glacé sur place. Son propre visage le regardait, oui, mais il y avait quelque chose d’étrange dans ses yeux. Ils étaient... creux. Comme si derrière les orbites ne se trouvaient plus que des abîmes sans fin. Des gouffres obscurs, béants, qui semblaient vouloir l’engloutir. Il avait secoué la tête, cligné des yeux, et l’illusion avait disparu, laissant place à son reflet habituel. Mais le malaise était resté.
Ce souvenir le hanta tandis que la silhouette, dehors, se rapprochait inexorablement.
Était-il en train de perdre la tête ?
Ces visions n’étaient-elles que les fruits de son esprit surmené, de cette fatigue accumulée qui grignotait sa lucidité ?
Peut-être que toute cette scène sur la route n’était qu’un délire. Après tout, il n’avait pas dormi correctement depuis des jours. Ses pensées s’enroulaient, se nouaient, cherchant désespérément une explication rationnelle à ce cauchemar éveillé.
La silhouette était désormais tout près, à quelques mètres à peine de la voiture. Maxime distinguait maintenant les contours de ce qui semblait être un visage, mais les traits étaient indistincts, flous, comme si quelque chose d’invisible brouillait ses contours. Et ce regard... Il ne le voyait pas vraiment, mais il le sentait. Un regard fixe, perçant, qui transperçait la chair, fouillant directement dans son âme.
Dans un éclair de panique, ses doigts tremblants cherchèrent de nouveau le bouton pour verrouiller les portes. Un déclic rassurant résonna dans l’habitacle. Verrouillées. Il s’enfonça un peu plus dans son siège, essayant de se convaincre qu’il était en sécurité, que rien ne pouvait traverser ces vitres, que tout cela finirait bientôt.
Mais la silhouette ne ralentissait pas. Elle était désormais si proche qu’il pouvait presque distinguer des détails plus précis. Une cape, ou un manteau, flottait légèrement autour d’elle, comme si l’air lui-même n’osait pas la toucher. Maxime ne pouvait plus détourner les yeux. Sa respiration se fit haletante, brisée par des sanglots silencieux qu’il ne parvenait plus à contenir.
Puis, elle s’arrêta. Juste à côté de la portière. À quelques centimètres de la vitre. Le silence, pesant, se fit total. Même le vent semblait avoir cessé de souffler. Le monde entier se suspendit.
Et dans ce silence oppressant, Maxime entendit quelque chose. Un bruit, faible, un frottement contre la portière. Lentement, douloureusement, sa tête se tourna vers la vitre. Là, devant lui, à la hauteur de son visage, une main décharnée, aux doigts trop longs et trop fins pour être humains, tapotait doucement contre le verre.
Maxime sentit son estomac se nouer. Il pouvait presque entendre son propre sang pulser dans ses oreilles, si fort que c’en était assourdissant. La main s’immobilisa, les doigts restant étalés sur la vitre, comme s’ils goûtaient la texture froide du verre. Puis, lentement, trop lentement, ils commencèrent à gratter, à émettre ce son atroce de chair contre une surface dure, le bruit semblable à celui d’un os raclant contre une tombe.
Maxime ferma les yeux, essayant désespérément de chasser cette vision. Mais c’était pire encore dans l’obscurité de ses paupières. Là, il voyait cette main, ces doigts qui semblaient vouloir se frayer un chemin à travers le verre, entrer dans l’habitacle, s’insinuer en lui, dans son esprit, dans ses entrailles.
Un cri mourut dans sa gorge. Il n’avait plus la force de crier. Toute résistance s’était effondrée, consumée par l’épuisement, par cette terreur primale qu’il n’avait jamais connue auparavant. Peut-être qu’il hallucinait.
Peut-être que cette journée l’avait détruit plus qu’il ne l’admettait.
Tout cela n’était-il qu’une fantasmagorie née de son épuisement ?
Peut-être que ce n’était qu’un mauvais rêve.
Peut-être.
Mais la main gratta encore.
Maxime ferma les yeux plus fort, cherchant dans l'obscurité de son esprit un refuge où cette terreur ne pourrait pas l'atteindre. Ses pensées étaient un tourbillon de peur et de confusion, un gouffre sans fond dans lequel il se sentait glisser, inexorablement. La main continuait à gratter, le son déchirant le silence de la nuit, mais lentement, presque imperceptiblement, ce bruit commença à faiblir. Le frottement se fit plus distant, moins insistant, jusqu’à disparaître totalement.
Maxime n'osa pas rouvrir les yeux tout de suite. Il resta là, immobile, pétrifié, son cœur battant si fort qu'il craignait qu’il explose. Mais après un long moment, quand rien ne se produisit, il trouva enfin la force de relever ses paupières.
La silhouette avait disparu.
Le vide derrière la vitre lui parut presque plus terrifiant que la présence malveillante de tout à l'heure. Il scruta les ténèbres, ses yeux balayant l’horizon à la recherche d’un indice, d’un signe que quelque chose, ou quelqu’un, se trouvait encore là, tapi juste hors de portée de la lumière vacillante de ses phares. Mais il n’y avait rien. Rien d'autre que la route déserte et les arbres qui se dressaient comme des sentinelles silencieuses, leur écorce noire luisant faiblement sous la menace de l'orage à venir.
Il resta un moment ainsi, cloué sur son siège, la tête bourdonnante de questions.
Était-ce une hallucination ?
Il tenta de se convaincre que tout ce qu’il avait vu n’était que le fruit de son imagination épuisée. Son esprit, surmené, l’avait trahi, l’avait enfermé dans un cauchemar éveillé. Oui, c’était ça. Il avait trop tiré sur la corde, il avait laissé son stress le dévorer, et maintenant son propre cerveau jouait contre lui. Mais une petite voix, tapie au fond de son esprit, persistait à lui murmurer que ce n’était pas si simple.
Un silence lourd s’était installé dans la voiture, un silence qui amplifiait chaque battement de son cœur. Son regard glissa vers le rétroviseur une dernière fois. Rien. La nuit, vide, l'enveloppait de sa masse oppressante. Il voulut pousser un soupir de soulagement, mais quelque chose, quelque part, ne tournait toujours pas rond. L’angoisse ne le quittait pas, et ce sentiment que quelque chose l’observait depuis l’obscurité persistait, entêtant, comme un goût amer qui ne disparaît pas.
Il secoua la tête, pris d’une soudaine nausée. Il était foutu. Voilà ce qu’il se répétait. Foutu. Si même son esprit commençait à se fissurer, à se jouer de lui de cette manière, comment pourrait-il s’en sortir ? Il s’imaginait déjà se perdre, errer entre rêve et réalité, incapable de distinguer le vrai du faux, sombrant peu à peu dans une folie douce mais implacable. Il était comme un funambule vacillant sur le fil ténu de la raison, sur le point de basculer.
Mais il devait rentrer chez lui. C'était la seule chose qui comptait encore.
Il souffla longuement, essaya de se ressaisir et tendit la main vers la clé de contact. Le son du moteur rompit le silence, un instant seulement. Puis la voiture s’arrêta brusquement, comme si une force invisible l'avait coupée net. Les lumières s'éteignirent d’un coup, plongeant Maxime dans une obscurité totale.
Il resta immobile, la clé encore tournée, son souffle suspendu. Le moteur avait calé sans explication, mais pire que cela, même les phares, la radio, tout ce qui pouvait lui offrir une lueur de confort, s’était évanoui. Les ténèbres autour de lui n’avaient jamais paru aussi épaisses, aussi vivantes. Chaque ombre paraissait se resserrer un peu plus, comme si la nuit elle-même cherchait à le dévorer.
Il essaya à nouveau de démarrer. Rien. Pas un bruit, pas une vibration. Le moteur refusait de répondre, comme mort. Maxime sentit une goutte de sueur froide couler le long de sa tempe. Il réessaya, encore et encore, ses doigts crispés autour de la clé, mais à chaque tentative, le silence se faisait plus écrasant, plus définitif. L'impression d’être piégé dans quelque chose qui le dépassait grandissait en lui, une toile invisible qui l’enserrait de plus en plus.
Finalement, dans un élan de désespoir, il décida de sortir. Peut-être y avait-il un problème avec la batterie, ou un câble débranché. Il ne savait pas exactement quoi chercher, mais il devait faire quelque chose pour briser cette tension insupportable. Il ouvrit la portière, et un souffle d’air humide et froid l’enveloppa aussitôt.
Dehors, la nuit paraissait différente, presque palpable. L’obscurité n'était plus une simple absence de lumière, mais une entité, une masse oppressante qui semblait vibrer autour de lui, comme si chaque arbre, chaque feuille, chaque brin d'herbe chuchotait à son insu. Maxime avait l’impression que la forêt entière l’observait, silencieuse mais attentive, comme si elle attendait quelque chose. Il se tourna lentement, scrutant les ombres. Les silhouettes des arbres se dressaient, immobiles, mais il ne pouvait se débarrasser de cette sensation d’être épié.
Il fit quelques pas autour de la voiture, chacun de ses mouvements résonnant dans l'immobilité spectrale de la nuit. Ses yeux fouillaient l'obscurité, cherchant une explication rationnelle à ce qui se passait. Le moteur semblait en bon état. Pas de fuite, rien d'anormal. Pourtant, la voiture refusait de redémarrer. Une brume légère commença à s’élever du sol, serpentant paresseusement autour de ses pieds comme une présence subtile mais bien réelle.
Il se redressa, cherchant à comprendre. Quelque chose n’allait pas. Ce n'était pas juste une panne mécanique. L'air autour de lui était lourd, épais, presque tangible. Il y avait dans cette nuit une densité étrange, une sorte de pression invisible qui pesait sur ses épaules, lui rendant chaque respiration plus difficile. Il lui semblait que même l’air était devenu hostile, chargé de cette présence silencieuse qui ne cessait de le guetter.
Un craquement, quelque part dans les profondeurs de la forêt, fit sursauter Maxime. Il se retourna brusquement, son cœur s’emballant à nouveau. Ses yeux fouillèrent la pénombre, cherchant la source du bruit. Rien. Juste cette obscurité oppressante qui l'entourait de toutes parts, implacable.
Il se demanda si sortir de la voiture avait été une erreur.
Maxime resta figé, son souffle court, tandis que son esprit cherchait désespérément une échappatoire. Le silence retomba, lourd et pesant, interrompu uniquement par le faible murmure du vent qui traversait les arbres. Il se disait que ce bruit n’était rien, juste une branche qui avait cédé sous le poids de l’humidité. Mais ce mensonge ne parvint pas à apaiser la boule de terreur qui grossissait dans son ventre.
Il fixa l’obscurité qui l’entourait, ses yeux ne percevant que des formes incertaines, des ombres mouvantes, mais rien de tangible. Rien de concret à quoi s’accrocher. Il se tourna vers la voiture, hésitant à y retourner. Là-bas, au moins, il aurait une illusion de sécurité. Mais quelque chose l’empêchait de bouger, un poids invisible sur ses épaules, une sensation de ne pas être seul. D’être observé. D’être jugé.
Et puis, cette pensée le frappa :
Et si c’était encore une hallucination ?
Oui, tout à l'heure, la silhouette, la main sur la vitre…
Ce n’était pas réel, n’est-ce pas ?
Cela ne pouvait pas l’être. Pas après cette journée épuisante, après toutes ces heures à lutter contre la migraine, la tension, le stress accumulé. Tout cela n’était que le produit d’un esprit trop fatigué, trop éreinté. Un rêve éveillé.
Il voulait s’y accrocher, à cette explication, la serrer contre lui comme un talisman. Pourtant, cette part de lui, tapie dans l'ombre de son esprit, cette part qui chuchotait depuis le début, refusait de se taire.
Et si ce n’était pas juste un rêve ?
Et si… ce qu’il avait vu était vrai ?
Si ce monde étrange et sinistre dans lequel il se trouvait ne provenait pas seulement de son imagination, mais de quelque chose d’autre, de quelque chose de plus grand, de plus sombre ?
― Non, pense à autre chose, se dit-il, respire.
Il ferma les yeux un instant et se concentra sur les sons autour de lui. Le vent dans les branches, le bruissement des feuilles mortes. Rien d’anormal. Tout cela était naturel, banal. Il pouvait y croire. Il devait y croire. Parce que l'alternative — la possibilité que tout cela soit réel — était insoutenable.
Il rouvrit les yeux et, lentement, prit la décision de retourner à la voiture. Sa main se tendit vers la poignée, mais alors qu’il allait la saisir, le moteur, sans prévenir, émit un petit grésillement, comme s’il cherchait à redémarrer tout seul. Maxime recula d’un pas, son cœur s’emballant à nouveau.
Comment est-ce possible ?
Il fixa la voiture, incrédule. Le tableau de bord s’illumina brièvement, puis tout redevint noir. Un bruit sourd résonna sous le capot, comme une toux mécanique. Cela n’avait aucun sens. Il était dehors, personne ne se trouvait à l'intérieur, et pourtant la voiture s'animait d'elle-même, comme si elle répondait à une volonté invisible.
Son esprit, à la dérive entre réalité et cauchemar, lui cria que tout ceci était faux. Une nouvelle hallucination, une facétie de son cerveau en surchauffe.
Et pourtant…
une autre voix, plus sourde, plus insidieuse, lui soufflait que non, il n’y avait rien de faux ici. Que tout cela était réel. Que la nuit elle-même conspirait contre lui, et que la voiture, cette machine supposée inerte, n’était qu’un instrument, une marionnette entre les mains de quelque chose de bien plus ancien, de bien plus puissant.
Maxime recula encore, ses jambes flageolant. Il voulait fuir, courir, mais quelque chose dans l'air, cette lourdeur oppressante, lui donnait l’impression de marcher dans du plomb. Le froid, glacial, s’insinuait sous sa peau, dans ses os, comme si cette forêt, ces arbres noirs, tentaient de s'emparer de lui, de le tirer dans leurs ténèbres.
C’est alors que la radio s'alluma brusquement. Le grésillement statique, soudain, emplit l’air autour de lui. La lumière verte du tableau de bord scintilla faiblement, projetant des ombres fantomatiques sur l’intérieur du véhicule. Maxime regarda, les yeux écarquillés, le souffle coupé.
Un murmure émergea des parasites. Des mots indistincts, presque couverts par le grésillement, mais suffisamment clairs pour qu'il puisse en saisir des bribes.
« ...pas seul... », « ...regarde... », « ...approche... ».
Il se figea. Les sons, ces voix… Elles semblaient venir de partout et de nulle part à la fois, comme si elles émanaient de l’air lui-même.
― Je suis en train de perdre la tête, pensa-t-il.
Mais au fond de lui, cette conviction se fissurait.
Et si ce n'était pas ça ?
Et si tout ceci… cette voix, ces bruits, cette voiture vivante… et si c'était un avertissement ?
Un craquement résonna à nouveau derrière lui. Maxime pivota, son souffle coincé dans sa gorge. Il plissa les yeux pour tenter de percer les ténèbres, mais ne vit rien. Seulement l’obscurité qui l'entourait, comme un voile vivant. Pourtant, il sentait une présence. Quelque chose de diffus, qui flottait dans l’air autour de lui, le pressait, le poussait à se tourner à nouveau vers la voiture.
Regarde…, semblait murmurer la forêt.
Regarde…
Contre toute logique, contre tout instinct, il fit un pas en avant. Sa main se leva et effleura la carrosserie. Le métal était glacé, mais il sentait une sorte de vibration sourde, un frémissement qui parcourait la structure. Une énergie étrange, presque palpable.
Les voix de la radio se firent plus fortes.
« ...approche… », « ...viens… ».
Une partie de lui savait qu’il aurait dû fuir. Que ces murmures, cette voiture qui agissait seule, tout cela n’était pas normal, que c’était une invitation à un piège. Mais une autre part de lui, plus profonde, plus enfouie, était irrémédiablement attirée, comme un papillon vers une flamme. Il ne pouvait plus se détourner.
Maxime tourna la clé dans la serrure.
La clé tourna lentement dans la serrure, produisant un cliquetis sec qui résonna trop fort dans le silence. Maxime ouvrit la portière, son geste hésitant, comme si chaque mouvement ralentissait le temps. Le bruit métallique résonna, se propageant dans la nuit oppressante. La radio continuait de grésiller, les murmures lointains semblaient se moquer de lui, insaisissables, comme des éclats de rires étouffés dans l'air. Maxime grimpa sur le siège conducteur, ses mains tremblantes agrippées au volant.
Il tentait de rassembler ses pensées, mais l'angoisse se répandait dans son esprit comme une marée noire. Quelque chose dans la voiture, dans cette nuit, dans cette forêt… tout cela n'était pas normal. Il se sentait pris au piège, comme une souris dans un labyrinthe dont les murs se refermaient lentement sur elle. Une claustrophobie invisible l'étranglait, étouffant sa raison. Le moteur refusa toujours de démarrer, malgré ses efforts désespérés. À chaque tour de clé, il sentait que ce n'était pas la machine qui résistait, mais quelque chose d'autre, quelque chose de plus grand, de plus effrayant.
Il était devenu prisonnier, non pas de la voiture, mais d'une volonté extérieure. Et cette pensée se faufila dans son esprit comme un venin :
Tu n'es plus aux commandes.
Les voix, elles, ne s'arrêtaient plus. Elles s'intensifiaient, émergeant des grésillements de la radio comme si elles cherchaient à s'insinuer dans ses pensées. Les murmures devinrent plus pressants, plus intimes.
« ...viens… », « ...on t’attend... », « ...tu n'as nulle part où fuir… »
Leurs mots serpentaient autour de lui, s'enroulaient dans son esprit, effaçant peu à peu toute pensée rationnelle.
Un frisson glacial lui parcourut l’échine. Il réalisa qu’il ne pouvait plus rester ici. S'il restait, il savait, au fond de lui, que cette chose invisible, cette entité insidieuse, le briserait. Il se redressa brusquement et quitta la voiture, claquant la portière derrière lui. L’écho du coup sourd résonna dans l’air, comme si la nuit elle-même en prenait note.
Dehors, l’air semblait encore plus lourd, oppressant, saturé d’une humidité malsaine. Le vent s’était levé, faisant bruisser les feuilles dans un murmure persistant, comme si la forêt chuchotait des secrets interdits à ses oreilles. Les branches se balançaient doucement, et, dans le frémissement du feuillage, il crut encore entendre ces voix. Elles ne provenaient plus seulement de la radio, mais de tout ce qui l'entourait, comme si la nature elle-même avait pris vie.
Son instinct de survie prit le dessus. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine, et ses jambes commencèrent à bouger presque d’elles-mêmes. Il fallait fuir. Quitter la voiture, s'éloigner de cette route maudite, s'enfoncer dans la forêt, peu importe où cela le mènerait, tant qu’il s’éloignait de cet endroit. Il ne réfléchissait plus. La panique, brute, aveugle, le contrôlait désormais.
Maxime courut, ses pieds s’enfonçant dans le sol mouillé, ses chaussures glissant sur les feuilles mortes. Autour de lui, les arbres se resserraient, leurs ombres se tordant dans des formes impossibles, comme si elles cherchaient à l’enlacer, à le retenir dans leur étreinte morbide. Le souffle lui manquait, chaque respiration devenait un effort douloureux, mais il continuait à courir, poussé par une terreur viscérale.
Ses pensées se déchiraient sous le poids de l’angoisse, chaque pas dans cette forêt semblant le plonger plus profondément dans un cauchemar vivant. Ses yeux cherchaient désespérément une sortie, une issue à cet enfer végétal, mais il ne voyait rien d’autre que des troncs noirs et des branches tortueuses, formant un labyrinthe infini.
Puis, au loin, quelque chose attira son attention. Un scintillement, faible d'abord, mais bien réel. Des lumières, petites, dispersées entre les arbres. Elles clignotaient doucement, comme des étoiles isolées dans la nuit de la forêt. Leur lumière n’était ni chaude ni réconfortante, mais froide, presque artificielle, comme si elles n’étaient pas vraiment là, mais projetaient une illusion de sécurité dans l’obscurité.
Maxime ralentit, ses jambes lourdes, son souffle court. Il fixait ces lumières avec un mélange d’espoir et de terreur. Elles semblaient l'appeler, le guider dans cette obscurité étouffante. Peut-être était-ce une hallucination de plus. Peut-être n’était-il plus en mesure de distinguer le réel du faux. Mais au fond de lui, il sentait qu’il n’avait pas d'autre choix que de les suivre. L’idée de rester seul dans cette forêt le paralysait.
Ses pas devinrent plus hésitants alors qu'il se rapprochait des lueurs. Elles vacillaient, toujours à la même distance, comme si elles l’observaient en retour, attentives à chacun de ses mouvements. Un frisson d’incertitude parcourut sa colonne vertébrale. Les voix, ces murmures qui ne l’avaient pas quitté, revinrent avec plus de clarté. Elles semblaient, cette fois-ci, émaner de ces lumières.
Il s’arrêta net, réalisant l’horreur de la situation :
Et si les lumières étaient un piège ?
Mais avant qu'il ne puisse réfléchir davantage, il entendit un craquement derrière lui. Lent, sinistre. Quelque chose ou quelqu’un approchait.
Maxime resta immobile, son cœur battant à tout rompre, le souffle suspendu dans l’air glacé de la forêt. Derrière lui, les craquements sourds continuaient, se rapprochant, lents et méthodiques, comme si une présence invisible prenait plaisir à savourer chacun de ses pas hésitants. Il se tourna, fixant les ténèbres, mais ne distinguait rien, juste cette sensation d’être traqué. Sa gorge se serra.
Il savait qu'il devait fuir, mais où ?
Il se retourna vers les lumières. Elles étaient toujours là, scintillantes, vacillantes comme des flammes de bougies, au loin, entre les arbres. Leur présence lui semblait à la fois irréelle et irrésistible. Un étrange mélange de réconfort et de menace émanait d’elles. Quelque part au fond de son esprit, une alarme se déclenchait, une voix qui lui criait de faire demi-tour, de fuir dans la direction opposée. Mais ce n’était qu’un murmure. Tout le reste de son être, toute sa peur accumulée, le poussait à avancer vers cette lueur, aussi glaciale soit-elle.
Il ne pouvait pas rester ici, dans l'obscurité suffocante. Ses jambes tremblantes finirent par se remettre en mouvement. Il se mit à marcher lentement, maladroitement, chaque pas accompagné d’un craquement sourd de feuilles mortes sous ses pieds. Il fixait les lumières avec une intensité presque désespérée, comme si elles représentaient la seule échappatoire à ce cauchemar vivant.
Puis, un son étrange perça le silence.
Au début, ce n'était qu'un murmure faible, difficile à distinguer des bruits du vent. Mais à mesure qu’il avançait, le son devint plus clair, plus défini. C’était une mélodie. Un air distordu, grinçant, qui flottait dans l’air comme un écho venu d’un autre temps. Une musique de manège. Douce, enfantine, mais étrangement déformée, comme si elle avait traversé des années d’abandon et de pourrissement. Chaque note semblait se tordre, se casser avant de retomber dans une spirale lancinante.
Maxime s’arrêta un instant, les yeux écarquillés.
D’où venait cette musique ?
Elle semblait se mêler aux lumières, enrouler les arbres autour de lui dans une danse macabre. La forêt elle-même semblait vibrer au rythme de cette mélodie sinistre, comme si les branches et les troncs s'étaient mis à respirer à l’unisson. Les sons se rapprochaient, emplissant l’air d’une présence invisible mais écrasante.
Son esprit se débattait, essayant de trouver une explication rationnelle. C'était impossible. Il devait être en train d’halluciner. Son cerveau, épuisé par l’effroi, lui jouait encore des tours. Peut-être que cette musique n’existait pas. Peut-être qu’elle n’était qu’une projection, une distorsion de son esprit en panique.
Pourtant, chaque note paraissait si réelle, si tangible.
Sans s'en rendre compte, il se remit à marcher, plus vite cette fois. Ses pas se firent plus précipités, presque instinctifs, comme s'il répondait à un appel irrésistible. La mélodie l'enveloppait, s'insinuant dans son esprit, dans ses pensées. Elle devenait une obsession, une toile de sons enchevêtrés qui le tirait toujours plus loin dans la forêt, le guidant vers ces lumières scintillantes.
Plus il approchait, plus la musique s’intensifiait. Les notes semblaient vouloir s’enrouler autour de lui, resserrant leur emprise, comme des fils invisibles. Maxime n’avait plus de prise sur lui-même. Sa volonté se dissolvait dans cette mélodie grinçante, dans ces lumières pâles qui dansaient entre les troncs des arbres comme des âmes perdues.
Il se figea, ses yeux fixés sur les lueurs au loin, et la panique revint, mais sous une forme plus sourde, plus enfouie. Comme si une partie de lui savait qu’il ne devait pas aller plus loin, qu’il ne fallait pas céder à l’appel de ces lumières trompeuses. Pourtant, son corps, comme étranger à lui-même, avançait encore, doucement, pas à pas, vers ce qui ressemblait de plus en plus à une fin inéluctable.
Et cette musique…
Elle était maintenant tout autour de lui, enveloppante, omniprésente. Elle ne venait pas d'un point précis. Elle flottait dans l'air, l'encerclait, s'infiltrait dans ses pensées. Les notes semblaient se briser à chaque instant, mais continuaient de résonner, insistantes. Une partie de lui voulait pleurer, hurler de frustration et de terreur, mais sa voix restait prisonnière, tout comme son corps.
Il marchait, sans pouvoir s'arrêter.
Les lumières vacillantes étaient plus proches à présent. Si proches qu'il pouvait presque les toucher, presque sentir leur chaleur froide contre sa peau. Elles dansaient comme des feux follets, se déplaçant doucement entre les branches, se fondant dans l'obscurité et réapparaissant ailleurs. Et cette musique, cette satanée mélodie… Elle n’avait rien de rassurant. Rien de bienveillant. Elle n'était qu'un piège, une toile tendue dans la nuit.
Maxime s'arrêta soudain. Son souffle était court, haché, mais quelque chose venait de changer. Devant lui, entre les arbres, les lumières avaient cessé de bouger. Elles étaient là, immobiles, comme si elles attendaient.
Et la musique… s’était tue.
Il resta là, le cœur battant, incapable de bouger. Autour de lui, le silence était devenu oppressant. Même le vent avait cessé de souffler. Seuls les arbres semblaient respirer, dans un bruissement léger, presque imperceptible. Il ne savait plus quoi faire. La peur le paralysait, tandis que tout son être lui criait de ne plus avancer.
Puis, dans l'obscurité devant lui, quelque chose bougea.
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Hey ! Premier chapitre enfin publier.En espérant que cette histoire vous plaise, rendez vous demain pour la suite !
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