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𝓐imé





Contrairement à ce que j'aurais pensé, ce ne sont pas des acclamations qui accueillent Sohane. Il endure d'un regard algide, des remarques déplacées à l'égard de ses obligations soi-disant non respectées, de ses échecs, de son corps... Et c'est bien ce que je cautionne le moins. Personne ne mérite d'être réduit aux commentaires lubriques sur son aspect physique, même Sohane. Il traverse la taverne le menton haut, non affecté par ce qui est dit de lui, adhérant à l'image d'un homme qui a été la risée toute sa vie.

Ses mèches noires sont si humides qu'elles collent à son visage et ruissellent à faible allure le long de son cou. Il ne s'importune pas du fait que chacun de ses mouvements soient alourdis par ses vêtements gorgés d'eau. Presque pénibles à effectuer. Les cernes sous ses yeux laissent imaginer qu'il est abattu, cela-dit, ses épaules n'en sont pas pour autant voûtées. Comme si son chiton en lin avait absorbé la pluie toute la nuit, mais que ce n'était pas suffisant pour écraser son moral et sa volonté. Ses joues froides, marquées par la douleur et l'inconfort, me feraient quasiment de la peine.

Le tavernier s'empresse de l'escorter jusqu'au sous-sol, l'air déconcerté par la présence d'une figure royale dans l'enceinte de son commerce. Sohane revient un peu plus tard vêtu d'une tenue sèche, et ce n'est qu'à cet instant qu'il me prête attention. Ses yeux circulent de la chopine ancrée à ma main, à mon abdomen dénudé, jusqu'à la présence d'Erèbe à mes côtés. J'ose penser entrevoir une émotion sur ses traits, cependant le flegme le rattrape de sitôt.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? s'amuse Erèbe, face au regard meurtrier que je viens de recevoir.

Mes épaules se haussent avec lassitude sans pour autant refléter la satisfaction que je tire de cette situation. Il faut croire que le prince est plus rancunier que prévu. Le voir accoutumé tel un soldat anodin, dans un environnement aussi grotesque, est quelque peu jouissif. Il perd subitement en crédibilité.


Si la pluie de cette nuit annonçait une anarchie totale, que signifie le soleil brûlant qui s'érige sous nos yeux ? Mes pieds suivent la foule par instinct, dénués d'une réticence passée.

— Bienvenue en enfer, annonce Erèbe.

L'arène de combat qui s'offre à nous est vaste et rocailleuse. Le sol, recouvert d'un sable fin, est balayé par un zéphyr frais qui fait valser les feuilles d'olivier et les herbes sauvages. Le paysage n'a rien d'une atmosphère chaotique et pourtant je comprends ce qu'il insinue. Derrière la façade sereine camouflée par une odeur de lavande, se cache un lieu empreint d'insécurité.

Des systèmes d'évacuation dégorgent le sang et la sueur et ça me suffit pour comprendre que le désespoir est dominant. Une main posée sur l'épaule d'Erèbe, je lui demande :

— En quoi consisteront les épreuves ?

— Aimé, as-tu seulement idée de l'endroit où tu te trouves ? Pas même la moitié d'entre nous ne ressortira de ces lieux et tu ne comprends toujours pas en quoi ça consiste ?

La pitié qui ronge ses yeux est désolante.

— Tue jusqu'à ce qu'on te dise que c'en est assez, mais pour l'instant tais-toi et observe.

Après explicitation, il m'a fait réaliser qu'aujourd'hui ne serait pas l'échéance, mais plus une mise en garde de ce à quoi nous attendre. Ils expectent parmi nous, deux volontaires dont l'arrogance suffirait à montrer aux autres la cruauté des épreuves, sans craindre d'y perdre la vie. Deux soldats qui s'affronteraient à mort avant même que toute sélection n'ait débuté. Les futurs participants se fondent parmi la foule et l'excitation qui règne n'est que plus palpable. L'ambiance s'électrise, empreinte d'une rivalité portée par les cris des supporters, qui emplissent l'air. Je ne me sens que plus étranger, entouré d'individus dont l'exaltation est amplifiée par l'idée de la mort.

Je cesse de chercher la source de ce tumulte soudain, quand je remarque que Sohane s'est porté volontaire. Même lorsque je le pense incapable de m'étonner, il trouve un moyen de le faire. Les insultes se décuplent dans les gradins, souhaitant sa mort d'une cruauté troublante. Pourtant ses yeux reflètent un désir ardent de reconnaissance ; il ne s'arrêtera que le jour où plus personne n'osera médire ses capacités.

Un peu comme moi.

Son adversaire se présente, et il fait le double de son poids. Cela-dit, c'était mon cas aussi et ça ne l'a pas empêché de me plaquer au sol en quelques minutes. La foule tremble de nervosité. Ou peut-être n'est-ce que moi qui m'impatiente de découvrir si, à l'inverse de ce qu'on pense de lui, il vaut quelque chose.

Ses épaules sortent enfin de l'ombre, tenant son épée les paupières closes, il s'imprègne des environs. Je prends conscience à travers sa manière de ressentir ce qui l'entoure, des heures d'enseignement qu'il a dû endurer sous la tutelle de mon père. Seul lui, accorde autant d'importance au ressenti. Sa posture lui concède un sentiment de contrôle et de responsabilité. Quelconque erreur, et il meurt. Sohane exerce de faibles mouvements d'essai, le temps de réchauffer son muscle, puis à l'instant où il se sent en confiance avec son arme, il ouvre les yeux.

J'ai la sensation de partager sa sérénité, au milieu d'une foule régie par l'agitation.

L'homme qui lui sert de rival se rue sur son corps au coup de sifflet. Son premier réflexe est de parer le coup à l'aide de son avant-bras, or, le moindre contact le fait grimacer. Un vertige me fait perdre la notion de l'espace en apercevant les hématomes récents qui stagnent sur sa peau. Le souvenir d'une querelle, durant laquelle j'ai été contraint de maîtriser son bras, me revient alors à l'esprit.

J'ai fait de son membre d'appui, une faiblesse qui lui porte préjudice. La douleur le déstabilise tant qu'il en refoule des larmes de névrose. De la même manière qu'hier. Qu'est-ce qu'il lui a pris de se précipiter au centre de l'arène, avec un poignet blessé ? J'appréhende l'issue du combat, peut-être même plus que si j'y étais moi-même, parce qu'il est désavantagé par ma faute. Ce n'est qu'au contact de la paume d'Erèbe sur mon épaule, que je réalise combien je retiens ma respiration. Mes mains écrasent la barrière, tandis que mes yeux dévisagent les spectateurs dont la voix ne sert qu'à huer leur prince. Je ne peux m'empêcher de désirer sa victoire, malgré moi.

De courtes secondes s'écoulent au préalable, puis l'offensive se réitère. Sohane n'accorde aucune attention aux menaces qu'il reçoit de son peuple, il est focalisé sur son combat. Son épée est une prolongation de son bras, qu'il manie avec précision et discernement. Ça semble être l'effort le plus naturel qu'il soit, cela-dit, je manque de faire saigner ma langue à l'instant où son poignet flanche. Plus aucun son ne perturbe la tension du moment, puisque l'erreur du prince signe son arrêt de mort : la douleur le contraint à lâcher son arme.

Pourtant, personne n'a le temps de reprendre son souffle, avant que la lame de Sohane ne traverse la gorge de son adversaire. Il lui a suffi d'empoigner son épée de la main opposée pour en finir, à peine décontenancé par le flot de sang qui gicle sur lui lorsqu'il la récupère. Je mords l'intérieur de mes joues pour contrer le sourire qui se fraie un chemin sur mes lèvres. Aucun spectateur ne semble partager ma satisfaction, au vu de leurs bouches crispées. S'attendaient-ils à ce que le prince cadet meure sous les yeux d'une minorité du peuple, lors d'un duel inégal ?

— Tu n'as pas l'air mécontent, constate Erèbe.

— Toi si.

— Au moins, j'aurai l'occasion de l'achever moi-même.

— Sauf s'il se charge de toi avant, rétorqué-je.

— Ne prends pas parti pour un bourgeois individualiste tel que lui. Il ne sait que trahir ceux qu'il aime et tuer ceux qui l'aiment.

Sans le gratifier d'une réponse, je me précipite à la suite du prince alors qu'il déserte la zone de combat. Au pied des gradins de pierre, il me suffit de suivre les lignées de colonnes romaines pour rejoindre Sohane à l'abri des regards. Je le découvre le dos appuyé contre le mur des coulisses. Son corps est enténébré par le manque de lumière, mais je perçois la sueur qui perle au bout de ses mèches.

— Tu n'es pas mort, déclaré-je, incapable de faire preuve de pertinence.

Son nez se relève vers moi et le liquide écarlate qui s'ancre sous ses iris noirs me frigorifie. Un contraste se crée entre sa peau glaciale maculée de sang, et l'amertume brûlante lisible dans son regard.

— Toi non plus, pour mon plus grand désarroi, répond-il en massant son poignet endolori.

Je ne sais pour quelle raison je me suis senti obligé de le suivre après son combat, toutefois, maintenant que je suis là, mes antécédents altruistes agissent en mon nom. J'empoigne son avant-bras avec le paroxysme de délicatesse dont je puisse faire preuve, glissant mon pouce sur sa blessure.

— J'ose espérer que la déception de cette nouvelle ne perturbera pas ton sommeil, crache-t-il en faisant référence à sa victoire huée.

Il semble blessé. Pas par moi, mais par tout ce qui l'entoure, comme s'il ne pouvait refouler indéfiniment les dégâts des reproches qu'il subit. Les larmes aux yeux, il s'arrache à mon emprise suite à mon mutisme, persuadé que je ne fais que confirmer ses dires.

Croit-il que j'aie appuyé les propos abjects que la foule a hurlé à son égard ? Que je les ai soutenus ? Ce n'est pas mon genre de me liguer avec des ignorants, dont la supériorité numérique est un argument suffisant pour opprimer autrui. À croire que ça leur donnait quelconque droit d'autorité.

— Je ne me réjouis pas de ta survie Sohane, mais ta mort ne m'apporterait guère plus de satisfaction, accepté-je en lui tournant le dos.

S'il est seul, c'est parce qu'il est incapable d'accepter qu'il puisse mériter le contraire.




Bon il s'en fout qu'il soit en vie, mais au moins il le veut pas mort, ça avance non ? 🤠

Mes chapitre sont supeeer courts en ce moment
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@__malyana

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