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𝓢ohane
❦
« of course I feel too much, I am a universe of exploding stars »
- s.ajna
Avant
— Ça va, mon ange ? demande maman en s'asseyant dans l'herbe à côté de moi.
La nuit tombée, je me suis rendu dans le jardin ouest où j'avais l'habitude de regarder les papillons luisants battre des ailes quand j'étais plus jeune. Maman était avec moi, elle l'a toujours été.
Alors que ce lieu devrait être notre zone de confort habituelle, et qu'on devrait être en train de se serrer dans les bras, tout est différent. Aujourd'hui je n'ose même pas lui faire face, je n'ai toujours pas avalé la révélation de papa. Je ne sais pas comment réagir maintenant que maman est réveillée, et qu'elle m'adresse la parole alors que depuis tout ce temps, elle est malade.
Elle est malade...
Je sens encore l'émotion monter, les larmes piquer le coin de mes yeux. Pourtant, j'ai pleuré toute la journée d'hier, celle de la veille, et celle d'avant. J'ai pleuré la première nuit, et les cinq qui l'ont suivie. J'ai pleuré ici-même, dans ma chambre, au dîner...
Je ne devrais plus pouvoir encore sécréter de larmes. Pourtant, lorsqu'elle dépose sa main sur mon épaule et m'attire au creux de ses bras, c'est comme si elle appuyait sur mon cœur pour l'égorger.
— Je suis désolée de ne pas te l'avoir dit.
— Je ne t'en veux pas.
Ou peut-être que je lui en veux un peu, de m'avoir privé de ça, de savoir que je vais devoir passer la majorité de ma vie sans elle. J'en veux à mon père, j'en veux à mon frère, j'en veux au monde entier, sans trop savoir pourquoi.
— Mais tu es en colère Sohane.
— Non, je ne le suis pas ! m'irrité-je.
Comment démentir un fait lisible sur mes traits ? Maman m'a mis au monde, elle est celle qui m'a toujours le mieux compris, je ne peux lui mentir ainsi. De toute façon, elle le sait déjà, c'est bien pour ça qu'elle est ici.
— Contre qui ?
— Personne, je n'en veux à personne, craché-je.
Mon ton est si rude que je culpabilise d'ouvrir ma bouche, je préfèrerais ne rien lui répondre du tout plutôt qu'elle m'entende lui parler aussi mal.
— Dis-le à voix haute, souffle-t-elle.
Je ravale la boule douloureuse qui menace d'éclater dans ma gorge, incapable de prononcer le moindre mot supplémentaire sans que des épines ne percent ma trachée.
— Je m'en veux à moi-même ! Je m'en veux à moi et moi seul...
Maman glisse mes cheveux derrière mon oreille et continue de me presser contre elle, tandis que les étoiles scintillent au-dessus de nos têtes.
— Laisse-moi te raconter une histoire, mon ange.
Je hoche la tête, presque suppliant.
Qu'elle fasse tout ce qu'elle veut, tant que ça me permet de penser à autre chose.
— Un jour lointain, dans un pays en guerre, vivait une petite fille qui rêvait d'avoir un enfant. Elle n'avait jamais rien souhaité d'aussi fort, au point de sentir ce désir prendre forme dans ses entrailles, raconte-t-elle.
Je ferme mes paupières, laissant sa voix angélique guider mes songes.
— Ses amies rêvaient du grand amour, mais elle n'avait jamais été à l'aise avec les hommes, tout ce qu'elle voulait, c'était un enfant à chérir, même si elle était jeune. Un jour, elle a rencontré un homme qui semblait prêt à tout pour elle. Il était fou amoureux, mais elle n'était pas sûre que cet amour soit réciproque, pourtant elle est restée avec lui, parce qu'elle était sur le point d'avoir un enfant.
Un sourire timide se dessine sur son visage, bien que ses yeux diluviens soient emplis de tristesse. Elle essuie une larme sur son visage et embrasse mon front avant de poursuivre :
— Elle a eu son premier enfant, un magnifique petit garçon qu'elle a aimé du mieux qu'elle pouvait. Mais ensuite, un second est arrivé. Et alors, elle a compris pourquoi elle avait tant chéri un être qui n'existait même pas encore. Pourquoi elle avait rêvé de lui, et pourquoi elle l'avait toujours espéré.
— Elle avait rêvé de lui avant qu'il ne naisse ?
Maman s'esclaffe, un large sourire collé aux lèvres, aussi éclatant que ses boucles dorées.
— Presque tous les soirs.
Les larmes me montent de nouveau.
Maman ajoute que la jeune fille était une personne très esseulée et triste dans sa jeunesse. Était-elle, à mon instar, en constant état de morosité ? Il paraît que pour se consoler, elle imaginait sa vie en compagnie de la chair de sa chair, le seul être qui n'aurait jamais pu l'abandonner. Elle était comblée de joie à la naissance de son premier fils, mais lors de la grossesse du second, elle n'aurait pu être plus satisfaite. Une connexion puissante s'était construite entre eux, si bien qu'elle le considérait comme sa propre prolongation.
Elle voyait en lui, tout ce qu'elle avait pu être.
Mais il était tout ce qu'elle ne serait jamais.
Je m'empare de l'une de ses longues mèches blondes, dont les ondulations m'inspirent une nostalgie amère. Une effluence disparue et des horizons oubliés.
— Elle s'est demandé si les émotions maussades pouvaient être héréditaires, et si c'était le cas, cela expliquerait-il pourquoi son fils reflétait son propre état au même âge ?
Je sais que maman parle d'elle-même et ça me brise le cœur de l'imaginer aussi seule et épuisée que moi, a à peine dix ans. Elle qui mérite tout le bonheur du monde.
— Tu es si discret, si fort... que parfois j'oublie combien tu souffres mon ange, culpabilise-t-elle. D'autres fois, c'est tellement évident, ça me tue tant de te voir mourir de douleur, que je regrette de t'avoir donné naissance. Je me dis que c'est de ma faute.
Ça fait mal.
Ma mère est l'étoile la plus brillante de mon ciel nocturne, elle représente tout mon monde. M'ôter le réconfort qui enrobe ses sourires enjolivés et ses boucles blondes, ne serait-ce qu'une journée, équivaudrait à meurtrir mon monde. Ce serait comme priver la Terre du Soleil, lui arracher toute trace de lumière, toute source de fleurs adornées de couleurs vives.
Ce serait condamner la Terre à l'errance et au chaos.
Ce serait me condamner à l'errance et au chaos.
Je me fiche de savoir si je suis ainsi par sa faute, ou si elle est à l'origine de mon mal-être. Ça ne m'intéresse pas d'apprendre qu'elle pourrait se priver de mon existence pour m'épargner tout cela. Tout ce que je veux, c'est qu'elle reste à mes côtés, mais elle est malade et elle mourra avant la fin de l'année.
Dans cet état, je pourrais dire des choses absurdes que je regretterais. Alors, je lui épargne davantage de douleur en la laissant seule, de nuit, dans le jardin ouest.
À l'intérieur du palais, l'air s'est refroidi, même les murs du château se lamentent de la disparition à venir de leur reine.
Tout le monde dort, je ne devrais croiser personne. J'emprunte l'escalier qui mène à l'étage des chambres des membres de la famille royale. J'ai besoin de trouver Isayah, je n'ai pas envie d'être seul et papa a fait déménager ma chambre de l'autre côté du palais, dans le couloir le plus isolé.
Tout est sombre et silencieux, pourtant des murmures m'avertissent de la présence de quelqu'un. Je ne suis pas seul dans les marches. Je me dissimule contre le mur, si petit que l'obscurité m'engouffre dans mon intégralité.
Trois hommes se trouvent au sommet des marches, davantage exposés à la lueur des bougies que moi. Ils sont vêtus des mêmes vêtements noirs que les hommes au service du palais, c'est pourquoi je ne m'emballe pas tant que ça, bien que la dernière fois, j'ai failli y laisser ma peau. Ils parlent si bas que je suis incapable d'entendre la moindre information. Tout ce qui retient mon attention, c'est le geste furtif qu'effectue l'homme le plus grand. Il tend un trousseau de clé à son camarade et s'empresse de venir dans ma direction. La panique m'envahit, s'il me voit ici, je doute qu'il ne soit assez bien intentionné pour me laisser la vie sauve.
— Attends, l'interpelle son partenaire, qui semble à peine plus âgé que moi. J'en fais quoi ?
Je profite de cette seconde d'inattention, alors que le géant qui venait dans ma direction se retourne, pour me ruer en bas des escaliers. Je n'ai le temps de retenir qu'un prénom, celui de la personne à qui les clés doivent revenir.
Un certain Arssön.
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Well, welcome to the beginning of the end
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