26

𝓢ohane

« Know it's for the better »
Phoebe Bridgers





















Aimé n'a rien d'un idiot, il a senti la pointe du poignard que je dirige vers son cœur. Pourtant, il ne tente pas de se défendre. Son corps demeure blotti sur ma cuisse et son visage s'enfonce contre le tissu de ma tunique. Il inspire profondément, essuie ses larmes sur moi, puis enrobe ma main armée.

Il devrait me repousser, mais il m'invite un peu plus à transpercer sa chair.

— Je suis obligé, Aimé. Tu as dérogé à la première règle que j'ai donnée, me justifié-je. Tu représentes un danger pour nos troupes, et pour moi-même.

"Aucun acte de violence à l'égard de nos propres troupes ne sera toléré" avais-je affirmé.

— Je ne te demande aucune explication, fais-le.

En temps normal, je n'aurais eu aucune hésitation à éliminer un homme qui n'obéit pas aux ordres. Seulement, il s'agit d'Aimé, et s'il y a une personne qui parvient à altérer mes décisions, c'est bien lui.

Il se redresse face à mon indécision. J'en fais de même, jetant mon poignard au sol. Je n'ai pas besoin de prononcer le moindre mot pour qu'il comprenne où je veux en venir. Si je dois le tuer, en tant que second du prince héritier, il mérite de donner le meilleur de lui-même pour tenter de sauver sa peau.

— Comme au premier jour, hein ? se moque-t-il, faisant référence à notre duel au milieu de la forêt royale.

— Exactement, et l'issue sera la même, sauf que je ne t'épargnerai pas.

S'il ne s'était pas tenu aussi loin, je me serais baissé pour ramasser mon arme et je la lui aurais planté en plein cœur. Aucune hésitation, précis et confiant, je lui aurais offert le sort qu'il mérite depuis sa naissance.

Je rêve de l'assassiner depuis son arrivée au palais.

Je n'aurais jamais dû le laisser m'approcher ; apprendre à le connaître ; lui offrir mes faiblesses ; qu'il en sache autant sur moi ; qu'il ait le pouvoir de me détruire ; qu'il me transforme en cet homme douteux.

Mais ce qui est fait est fait, et j'ai désormais l'occasion de me débarrasser de lui une bonne fois pour toutes – qui plus est – pour un motif plausible.

En tant que soldat exhaustif, jamais il ne me viendrait à l'esprit de me ruer sur mon rival pour lui asséner le premier coup. Je préfère attendre de voir comment il compte s'y prendre, quitte à perdre plus de temps que nécessaire. Il est primordial de comprendre le langage corporel de l'autre, avant de tenter quoique ce soit.

Aimé s'est amélioré depuis la dernière fois que je l'ai affronté et je ne dois pas être vaniteux au point de me croire invincible.

Je préfère analyser chacun de ses faits et gestes afin de prédire ses offensives.

Sauf que, pour une fois, il n'agit pas en tant que rudimentaire. Il s'est assagi et a choisi d'imiter ma façon d'appréhender le combat.

Son regard ne lâche pas le mien tandis qu'il se met à me tourner autour tel un loup affamé.

— Aurais-tu peur ? s'amuse-t-il, lorsqu'il remarque que mes sourcils se froncent.

Je lui offre de l'avance. Il pourrait s'en servir pour prendre la fuite en sachant que jamais je ne lui courrais après ; pour s'emparer de mon arme et la retourner contre moi ; ou simplement m'attaquer. Mais il n'en fait rien.

Il ne fait que passer derrière moi et longer mes omoplates de son index froid.

Pour un homme qui vient de perdre un ami, il s'en sort plutôt bien pour jouer la comédie. J'y croirais presque, si je ne le connaissais pas autant. Le jour suivant la mort de sa mère, il souriait déjà comme si toutes les portes du monde pouvaient s'ouvrir devant lui. Aimé n'est pas dangereux pour sa force – même si elle n'en reste pas moins impressionnante – il l'est parce qu'il peut vous faire croire quelque chose, et penser tout le contraire.

Le jour de notre rencontre, alors qu'il n'avait aucune maîtrise du combat et qu'un duel allait – quoiqu'il arrive – l'achever, il est venu me provoquer. Jamais je n'ai compris ses motivations. Jamais je ne l'ai vu aussi confiant. En fait, il l'est toujours un peu plus lorsqu'il sait qu'il n'a aucune chance.

Soudain, je bloque son abdomen de ma paume. Il commence à me donner le tournis et je ne peux plus supporter l'attente.

— Tu es impatient Sohane, murmure-t-il en tirant profit du bras qui lui barre la route pour m'attirer contre lui. C'est bien là ton défaut premier.

Il s'empare de ma mâchoire et écrase son front sur mon nez. Si j'avais encore le moindre doute, il s'est entièrement dissipé à l'heure actuelle. Je vais le tuer.

Mes yeux sont vitreux, et même si le coup n'était pas si violent que ça, il a suffi pour faire couler des larmes sur mes joues. Le nez n'est pas la partie du corps la plus agréable pour une collision.

— Le tiens, soufflé-je, c'est que tu l'ouvres trop.

En terminant ma phrase, j'enfonce mes phalanges dans sa pomme d'Adam, m'assurant de rester assez proche de lui pour qu'il ne puisse pas m'asséner de coup assez violent. Plus l'espace entre son corps et le mien s'amincit et moins il peut prendre d'élan pour amplifier l'impact de ses attaques. Il manque de s'étouffer et lutte contre la toux qui lui démange la gorge. Il est si borné qu'il refuse de me montrer qu'il souffre.

Un rictus se dessine aux coins de mes lèvres, jusqu'à ce qu'il se mette à sourire davantage à travers la douleur, et qu'il murmure à mon oreille :

— Bien proche, aurais-tu peur de manquer ta cible, monsieur le surdoué ? Où n'est-ce qu'une excuse pour te coller à moi ?

— Apprends à faire usage de ton corps autrement qu'avec tes jolies lèvres, réponds-je.

J'évite le poing qu'il rive sur moi, et ses doigts s'écrasent contre l'arbre derrière. Il récupère son poignet endolori et retire les échardes de bois qui entravent sa peau brune. Je tire profit de son manque d'attention pour glisser mes doigts derrière sa nuque et répartir mon poids de corps assez intelligemment pour le faire basculer.

Son visage s'échoue à son tour contre le tronc, cependant il ne perd pas une seconde et projette son tibia au niveau de mes chevilles pour me faire tomber. Je ne lâche pas son cou et l'attire avec moi dans ma chute.

J'atterris sur le dos, la respiration coupée par la hauteur, ajoutée au poids d'Aimé qui s'est effondré sur moi. Ses boucles brunes me chatouillent le visage, bien que ma préoccupation première soit toute autre : mon corps est retenu prisonnier de toutes parts.

Aimé ne semble pas s'en rendre compte, mais ses jambes m'empêchent de bouger les miennes ne serait-ce que d'un centimètre. Quant à ses bras, ils encadrent mon torse, et canalisent les miens de leur force impromptue.

Je tâche de ne pas laisser la panique prendre le dessus et lui révéler combien il a le dessus dans cette situation. Mais je n'en ai pas besoin, ce n'est pas ce qui l'intéresse. Il ne peut envisager de me lâcher du regard.

Je devrais rester concentré sur mon objectif, or, nul besoin de préciser que sa façon de me regarder, comme s'il n'avait plus la force d'accepter quoique ce soit d'autre dans son champ de vision, me comprime l'estomac.

Il se retrouve perché sur moi, avec l'allure d'un demi-dieu dont les portraits enflamment les couloirs du palais. Seule sa cicatrice a le don de me rappeler qu'il n'est en rien immortel, et que son physique forgé à l'instar des plus grandes divinités n'y change rien.

Il n'empêche qu'une part de moi soit intimidée de se trouver si près de lui et d'être l'objet de toute son attention. Notre promiscuité est intime. S'il murmurait un mot destiné au vent qui bruisse contre son visage, je l'entendrais.

Aimé reprend à peine son souffle, qu'il est déjà en train de m'ôter le mien. Il y a quelque chose chez lui que je n'ai jamais trouvé chez les autres. Une chose envoûtante qui fait que mon cœur ne trouve satisfaction que lorsqu'il est dans les parages, mais s'en retrouve aussi torturé.

Pourtant, qu'on soit seuls dans cette forêt, ou entourés dans un buffet n'y change rien. Parce que dans tous les cas, je ne peux que le voir. Et je ne peux que le chercher du regard, au moins inconsciemment. Il y a quelque chose chez lui qui m'obsède au point d'avoir son nom à l'extrémité de mes lèvres chaque seconde qui passe, parce que j'essaie de traduire chacun de ses mots et de chercher un sens derrière chacun de ses gestes.

Aimé est fasciné, il baisse sa garde et lève la main pour décaler une mèche de cheveux qui masque mon œil gauche. Puis ses doigts suivent leur chemin et tracent l'angle de ma mâchoire, jusqu'à descendre le long de mon cou et s'échouer à la frontière de ma poitrine.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— J'en ai aucune idée, murmure-t-il.

— Continue d'agir comme si tu me voulais mort Aimé, c'est plus simple.

— Non, ça ne l'est pas. Je ne sais pas mentir.

Un air désolé, qu'il ne comprend pas dans l'immédiat, navigue dans mon regard. Mon bras, désormais libéré, tâte le sol à la recherche du poignard que j'ai délaissé un peu plus tôt. Je m'en empare, et l'enfonce dans la partie gauche de sa cage thoracique, juste au niveau de son cœur.

Enfin, j'essaie du moins. Mais la lame perce à peine quelques millimètres de sa peau, que la mienne se met à me brûler. Mon propre corps me trahit, pourtant, ce n'est rien comparé à l'air abattu qui déforme les traits de mon second. Non, c'est de la déception. Il se sent trahi.

— J'ai l'impression que tu viens de me poignarder en plein cœur, s'esclaffe-t-il, incrédule, comme s'il ressentait vraiment la douleur d'une trahison, à la place de celle d'une éventuelle blessure.

Il ne peut pas se sentir trahi, quand depuis le départ je lui ai rappelé que je ne suis qu'un Mahr et que je n'éprouverai jamais aucune forme de compassion envers un homme de son espèce.

— Impressionnant, déclare une voix dans mon dos. On n'a pas besoin de s'en charger, ils s'entretuent d'eux-mêmes.

Aimé relève la tête et son visage se métamorphose. Toute trace de blessure apparente disparaît et transmute en une forme de rage explicite. Ses yeux s'enténèbrent, sa mâchoire se contracte et ses poings en font de même.

Toutefois, il n'a pas le temps de faire quoique ce soit, car un homme vêtu de blanc arrive derrière lui et le maîtrise. Ses mains sont ligotées si fort que ses doigts deviennent bleuâtres.

            Il est attaché à un arbre, mais j'ai ce sentiment qu'il ne fournit aucun effort pour résister.

Deux autres hommes se chargent de m'attraper par les épaules pour me faire prisonnier, à l'instar d'Aimé. Je m'assure de ne pas me laisser faire, mais j'ai beau croire que je lutte, en réalité mon corps n'est plus réceptif aux ordres donnés par mon cerveau.

C'est là que je la sens, cette forte odeur nauséabonde qui se dégage de nos assaillants. Ça explique les cagoules qui ne recouvrent que leurs nez, et la raison pour laquelle Aimé n'a pas lutté plus que ça.

J'ai déjà entendu parler des drogues olfactives, dont les effets secondaires agissent presque immédiatement sur le cerveau. Il semblerait qu'on y ait droit aujourd'hui.

Ces drogues ne sont pas nocives à long terme, elles ne servent qu'à troubler autrui. Elles peuvent avoir des effets hallucinogènes, stimulants, dissociatifs et beaucoup d'autres encore qui ne m'inspirent pas confiance.

S'il y a bien une chose que je crains plus que tout, c'est de perdre le contrôle de mon corps et de mes pensées.

Les hommes Vylnesiens s'assurent que je ne puisse plus me défaire de l'arbre auquel ils m'ont attaché, adjacent à celui où Aimé se trouve, avant de déposer leurs vêtements et tous leurs artifices à une vingtaine de mètres.

L'odeur affligeante a suivi les couches de tissu entassées sur le sol, et lorsque ces hommes reviennent, le visage dégagé, je ne me sens plus aussi vaseux.

L'ascension vers la lucidité est plus douce pour moi qu'elle ne l'est pour Aimé. Je réussis à tenir sur mes pieds sans m'appuyer sur le tronc dans mon dos et je remarque qu'il en est de même pour le soldat à mes côtés. Cependant, il n'a pas autant de patience que moi.

Aimé s'empresse de se rebeller contre ses liens, en vain. Il se blesse tout seul. À force de s'acharner, la corde se resserre autour de sa peau pour mieux l'amputer.

— Donc nous avons le prince, et je suppose que tu es l'enfant de l'Archer du nord, s'enquit l'un de nos ravisseurs.

Son crâne est rasé de près, si bien qu'on voit chaque trace de brûlure qui s'égare au-delà de son front. On pourrait croire que son objectif est d'afficher clairement que la torture n'a réussi qu'à réveiller sa rage, et ne l'a pas achevé. Quant à son unique camarade, il est aussi silencieux que du marbre, mais ce n'est pas par choix, ses lèvres sont cousues l'une sur l'autre.

Si je devais me méfier de l'un d'entre eux, ce serait lui. On ne peut perdre l'usage de la parole ainsi, et être sain d'esprit.

— Navré, mais les présentations ne m'intéressent pas, rétorque Aimé. Je t'aurai oublié d'ici quelques minutes.

Lui a-t-on déjà dit qu'il y a des moments où il devrait se taire pour sauver sa peau ?

Le pire, c'est que c'est spontané. Il ne cherche pas plus que ça à agacer les autres, il n'en a juste rien à faire.

— Aussi nonchalant qu'on le dit, grimace le Vylnesien. Sais-tu ce qu'on dit d'autre sur toi ?

Il pose sa question d'un ton vicieux qui masque une vérité qui ne présage rien de bon. Je suis bien content que – pour une fois – ce ne soit pas à moi de faire face aux spéculations.

— Je suis sûr que tu es impatient de me le faire savoir, le problème, c'est que c'est le cadet de mes soucis.

Ignorant Aimé, l'homme sort un harpon qu'il frotte contre sa peau brune, comme s'il pouvait l'aiguiser davantage.

— On dit que ta poitrine résonne vide, que ton cœur a cessé de battre, et que tuer ne te procure pas plus de satisfaction que de tristesse.

— Ils sont d'humeur poétique ces derniers temps, s'esclaffe mon second dans ma direction.

Un sourire me démange les lèvres, mais je ne peux pas lui céder. C'est au-dessus de mes forces.

— Tu te fais connaître dans le coin, jeune Gahéris, tu en intrigues plus d'un.

Aimé fronce les sourcils, il n'a plus l'air aussi indifférent aux paroles de cet homme.

— Pourquoi ? l'interroge-t-il avec réel intérêt.

— On dit que tu te fonds dans la masse. Tu te sors de n'importe quelle situation et rien ne peut assouvir ta soif de sang.

Pour Aimé, ces mots ne font aucun sens, mais pour moi, ils font tomber mon estomac à mes pieds. Je comprends immédiatement à quoi il fait référence, et si le peuple commence à imager Aimé en tant que...

On court à notre perte.

— Est-ce vrai ? insiste l'homme.

— Ça dépend, est-ce que j'hérite des rumeurs qu'ont accumulé mes frères ainés ?

— Tes aînés sont morts, et on se rappelle à peine leurs prénoms. Le seul qui court les rues en ce moment, c'est Aimé Gahéris, claque-t-il sans hésitation.

Aimé n'est plus aussi confiant, il commence à se sentir encerclé par les commérages dont il est victime. En même temps, il doit se sentir si imposteur à la situation. La majorité des fois où il est sorti vivant d'une attaque est par chance, ou par aide. Et aujourd'hui, il est adulé pour des choses qu'il n'a pas faites. Il devrait se réjouir, son nom n'est pas assimilé à lâche, faible, traître ou encore pute.

Il endosse le bon rôle de l'histoire, contrairement à moi. Or, je peux comprendre que tout ça lui fasse peur.

— J'oubliais, s'exclame l'inconnu. Nous sommes en compagnie du prince.

Il s'approche de moi et s'incline. Sauf que ça n'a rien de respectueux, ça s'apparente plus à de la provocation. Quand il relève la tête, un rictus corrompu empiète sur la moitié de son visage et sa main caresse ma joue comme s'il se trouvait face à un enfant de cinq ans. Ses doigts rugueux me dégoûtent d'autant plus lorsqu'ils descendent jusque sur mon torse.

— Je vois, souffle Aimé, la mâchoire tiraillée et le regard meurtrier. Ça revient encore.

Je ne l'ai jamais vu aussi désespéré d'être impuissant. Il stimule tant ses poignets que sa peau est cisaillée, mais aucune douleur ne le contraint à cesser de lutter. Je le vois comme mon propre reflet. Dépassé par ses propres émotions, et si submergé qu'il les considère comme une entité à part entière, qu'il ne pourra jamais vaincre.

Seulement, Aimé ne souffre pas des mêmes troubles que moi. Lui ne sait pas gérer sa colère, moi, toutes mes émotions me plantent un couteau dans la gorge simultanément, mais aucune n'est visible de l'extérieur.

— C'est toi la source de tous mes tracas.

Il m'adresse sa dernière phrase d'un ton à la fois amer et affecté. J'ai l'impression qu'il me tient pour responsable de toutes les fois où la colère a pris le dessus chez lui et qu'il n'a su réfréner ses pulsions.

— Tu veux que je l'achève ? me demande Aimé sans émotion, comme s'il s'agissait d'une requête anodine à laquelle il serait prêt à répondre sans souci.

— Tu te penses vraiment en position de pouvoir tenter quoique ce soit ? s'amuse l'homme dont la main libre est toujours sur mon torse.

— Ne m'adresse pas la parole, s'indigne Aimé d'un regard supérieur. À moins que tu tiennes vraiment à mourir ?

Est-ce à nouveau un côté de sa personnalité qu'il dissimule, ou bien, est-ce la conséquence de l'effluve qu'il a davantage ingérée que moi ? Après tout, ses mots sont tranchants, plus que d'habitude ; ses épaules sont suantes malgré l'air frais, et ses yeux se perdent dans le vague. Il vacille – bien que ce soit à peine visible. Il n'est plus maître de lui-même.

Bien que la rationalité d'Aimé laisse à désirer, ce n'est pas pour autant qu'il a perdu de sa faculté à irriter son adversaire. L'inconnu n'apprécie pas sa désinvolture.

— Pourquoi tu attends après lui pour savoir ce que tu dois faire ? Il n'est pas roi, et ne le sera jamais.

Je sais que les Vylnesiens ont horreur qu'on leur rappelle qu'il existe aussi une lignée royale sur nos terres, et que celle-ci est respectée – excepté moi.

— Je reçois mes ordres de mon prince.

Mon cœur se serre. Je ne devrais pas prendre en compte les paroles d'un homme victime de drogues, mais il semble si sincère que je m'effondre de l'intérieur.

— C'est bien, tu es fidèle à ton pays, reconnaît l'ennemi avec dédain.

L'admettre lui fait l'effet de l'impact d'un poignard dans l'abdomen. Il me jette un coup d'œil mauvais, prêt à déverser sa rage sur moi.

— Non, répond Aimé, secouant la tête. Je n'ai que faire de ce pays, je suis fidèle à mon prince. Ma loyauté lui revient de droit, affirme-t-il en me pointant du menton. Et plutôt que donner de l'importance à de stupides rumeurs, faites savoir au peuple que Sohane Kihara est sous ma protection.

Le provoquer ainsi n'est pas des plus judicieux, surtout qu'aucun de nous ne peut se défendre et que je serai le premier des deux à mourir. Le Vylnesien lève son harpon, s'apprêtant à le projeter dans ma direction. S'il s'était avéré être patient à un moment donné, ce temps est révolu. Il ne veut plus rien entendre, à part un éventuel geignement de douleur qui précédera ma mort.

Les évènements s'enchaînent si vite que je peine à comprendre que je suis encore en vie, contrairement à notre assaillant vêtu de blanc, à présent étendu au sol. Ses vêtements s'imprègnent de la terre et collent au sang qui s'écoule de son cou.

Aimé n'a pas attendu de connaître ses intentions – bien plus qu'évidentes. Il a fouetté l'air de son pied jusqu'à atteindre la main armée de l'ennemi. Son coup a été trop rapide pour que le Vylnesien ait le réflexe de se décaler, son poignet a atteint le dessous de son menton. Il se retrouve avec une blessure mortelle, à cause de son propre harpon.

Je cherche immédiatement l'inconnu qui l'accompagnait. Celui-ci est en retrait, les lèvres incurvées, satisfait du spectacle auquel il vient d'assister. Toujours muet, il ne se précipite pas sur nous comme je l'aurais pensé, mais il s'éclipse, laissant une vague odeur d'inachevé derrière lui.

S'il n'était pas là pour apporter du renfort à son coéquipier au cas où les évènements tourneraient mal, alors pourquoi ? Sa disparition me fait froid dans le dos.

Un frisson malaisant parcourt mes avant-bras. J'ai toujours craint de laisser filer des éléments clés qui me seraient préjudiciables à l'avenir. Et je sais d'ores et déjà que ce n'est pas la dernière fois que j'aurai affaire à cet homme. J'espère simplement que mon mauvais pressentiment est aussi insignifiant qu'il y paraît.

Aimé expire tout l'air de ses poumons quand on se retrouve tous les deux.

— Tu vas bien ? questionne-t-il, bien plus tendu que quelques minutes auparavant.

Je ne peux lui répondre dans l'immédiat. Déboussolé, je peine presque à respirer. Aimé me fait perdre la tête et je ne m'autorise pas à le lui faire savoir.

— Tu vas regretter quand tu auras décuvé, énoncé-je sans émotion.

— Quoi donc ?

Ses yeux s'embrument d'incompréhension et d'innocence ; on pourrait presque croire qu'il n'a pas conscience de ce qui vient de se produire.

— Tes mots. Tu es sous drogue.

— Je suis parfaitement sobre, Sohane. Tu me penses aussi faible d'esprit que ça ?

Je regrette d'avoir les mains liées dans mon dos, elles me seraient bien utiles pour tenir ma poitrine et la soulager. Ce genre de douleur ne m'était pas revenu depuis un bon moment. Je crains qu'Aimé ne commence à avoir trop d'influence sur moi.

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