25

N.A : oui, je sais que vous voulez la suite entre Soso et Aimé, mais il faudra attendre la semaine prochaine pour ça. En attendant, bon chapitre : )














𝓢ohane

« I'm too consumed with my own life.
Are we too young for this ? »
The Neighbourhood










Avant

La tristesse n'est pas la pire émotion, la colère l'est. Je le réalise désormais. J'ai cru m'étouffer lors de ma dernière crise, prédominée par l'affliction, mais maintenant que je suis tiraillé par la rage, la mort serait préférable. Et de loin.

Papa m'a trahi.

Je ne saurais dire s'il s'agit de la première fois, peut-être l'ai-je trop idéalisé pour m'en rendre compte.

Ma colère se matérialise au bout de mes doigts et picote le dessous de ma peau. J'ai envie de tout envoyer valser, en commençant par le sceptre appuyé contre le mur, lui appartenant.

Il ne m'a jamais laissé assister à un seul évènement, mais j'aurais dû être présent ce soir.

Au moins ce soir.

En attendant, au lieu de célébrer les onze ans d'Isayah avec tout le reste du palais, je suis enfermé dans le bureau du roi car même les gardes ont droit à leur soirée, en faveur de l'anniversaire du prince aîné.

Il n'y a pas une personne qui est retenue prisonnière par son travail ou quoique ce soit d'autre, en ce jour qui honore l'existence de l'héritier, hormis son petit frère.

Je ne devrais pas m'emporter à ce point. Après tout, en comparaison avec ce que je subis chaque jour, être isolé le temps d'une soirée ne devrait pas m'affecter. Mais je sais que je n'y peux rien, mes émotions sont un torrent impossible à contrôler et plus je m'y oppose, plus elles prennent le dessus.

J'ai l'impression de recouvrir en vain un vase de mes deux mains pour l'empêcher de se remplir, mais que nettoyer le débordement est d'autant plus épuisant.

La pièce est plongée dans l'obscurité, mais je discerne tout de même la moindre bricole apposée au bois du bureau. Que ce soit la boîte métallique ornée d'un cadenas, ou les lettres éparpillées, couvertes de sceaux de cire rouge, je contemple tout ce que je peux détruire qui puisse blesser mon père.

Le problème, c'est que je n'ai aucun libre arbitre sur mon corps dans cet état et même si celui que je veux faire souffrir est mon père, c'est moi que je finis par punir.

Je me jette contre un mur, encore et encore, jusqu'à ce que la fatigue m'empêche de rester debout.

Étendu au sol, je prétends ne pas sentir les hématomes qui menacent de se faire apparents sur la surface de ma peau. Je feins que tout ceci est d'une banalité exaspérante et que nul ne s'étonnerait de me trouver ainsi couché, du sang injecté dans les yeux suite au choc et quelques gouttes perlant au coin de ma lèvre.

Seulement, c'est bien là le mal. Personne ne s'étonnerait de me découvrir ainsi, parce que tout le monde est persuadé que je suis persécuté par des maladies mentales et contagieuses, qui peuvent me pousser à la folie. Et moi, je leur donne raison.

Alors que je sombre dans l'inconscience et que mes yeux révulsent lentement, j'entends le loquet de la porte se déverrouiller. Je prie pour qu'il s'agisse de ma mère, je ne supporterais pas d'affronter mon père dans un tel état, ça ne ferait que lui confirmer qu'il a toutes les raisons de me maintenir à l'écart du public. Je ne ferais que l'humilier. Ma simple existence l'humilie. Ça le fait souffrir qu'un défaillant tel que moi porte du sang royal et soit assimilé à lui.

Il préférerait mille fois n'être père que d'un enfant.

— Sohane ? questionne une voix familière.

— Isayah, soupiré-je de soulagement.

Il referme la porte derrière lui et se jette sur ses genoux lorsqu'il m'aperçoit au sol. Ses mains s'accolent à mon front et vérifient ma température, puis il pose son oreille sur ma poitrine et s'assure que ma fréquence cardiaque soit correcte. Rien ne l'alerte plus que ça, jusqu'à ce qu'il croise mon regard et que sa mâchoire manque de tomber au sol.

Il n'hésite pas et me serre contre lui.

— Je suis désolé pour tout Sohane, se lamente-t-il. Du plus profond de mon cœur, j'aimerais prendre ta place et tes malheurs si cela pouvait t'éviter de souffrir.

            — Tu t'es enfui de ta propre cérémonie, m'esclaffé-je, ignorant ses mots qui m'évoquent l'amertume.

            — Je n'y vois aucun intérêt si tu n'y es pas.

            — Et... et maman ?

            Un voile de tristesse enténèbre son visage angélique et alors je crains la réponse. S'il s'avère que ma mère agrée avec la décision de mon père, qu'elle me sait seul ici et qu'elle ne s'en importune pas, je ne sais si je pourrais le supporter.

Je crois que j'en mourrais.

— Je ne l'ai pas vue de la soirée...

Cette réponse ne me satisfait pas davantage. Maman ne me laisserait pas ici, mais elle manquerait encore moins les onze ans d'Isayah.

— Je pense qu'elle s'est disputée avec papa, et qu'elle avait besoin de prendre l'air. Elle a toujours été comme ça tu sais, tente-t-il de me rassurer d'un sourire limpide.

Je ne suis pas aussi fort que lui, pas au point de simuler un sourire alors que mon épaule souffre le martyre et que je n'ai aucune idée de ce qui arrive à ma mère.

Isayah fait glisser ses doigts dans mes cheveux, puis il retrace les courbes de mon visage. Tout ce qui s'apparente à une ligne, un demi-arc de cercle ou un relief saillant. Il va même jusqu'à suivre la légère bosse qui se forme à la naissance de mon nez.

— Avant, j'étais jaloux de la façon dont maman t'appelait mon ange, comme si tu étais le seul de ses deux garçons à importer, admet-il à voix basse, telle une caresse désespérée. Mais maintenant, je sais. Elle t'appelle simplement comme elle te voit. Comme l'auréole aveuglante que tu es.

J'aimerais que les paroles d'une personne suffisent à annihiler celles de tout un peuple. Mais c'est impossible.

Même à présent que mon cœur éclate face au discours de mon aîné, je ne cesse de me répéter qu'il s'agit de compliments dénués de sens, mis bout à bout dans le but de rassurer un cas désespéré.

Il ne pense rien de ce qu'il dit, mais il est persuadé que ça m'aidera à guérir, voilà tout. Lui aussi ne sait faire preuve que de pitié autour de moi.

— Tu es à couper le souffle, petit frère, que ce soit en charisme ou en talent. Un jour tout le monde s'en rendra compte, même père, assure-t-il.

J'aimerais tant que ce soit vrai. Seulement parfois, nul ne sert de se gonfler d'attentes vaines. Elles finiront par se transformer en déception dès lors que l'espoir se sera dissipé.

Il embrasse mon front et m'aide à me mettre debout, m'incitant à le suivre dans le couloir.

— Viens, j'ai quelque chose à te montrer, lance-t-il en s'emparant de ma main.

Je le suis à travers le corridor principal, menant à l'aile nord du palais. Celle où je ne suis pas autorisé à aller.

Une partie qui baigne dans l'obscurité et le secret. Un lieu où je n'ai jamais mis les pieds, car au-delà des avertissements de mon père, je n'ai jamais trouvé le courage d'affranchir les portes rouge sang qui m'en séparent. On dit qu'il s'agit du sang des victimes qui ont été sacrifiées derrière les murs, et que si on tend l'oreille quand on passe sous l'édifice, on peut deviner les appels à l'aide de leurs âmes errantes.

Isayah m'indique de me taire d'un index apposé à mes lèvres et s'entête à me tirer dans la pièce du fond. Une pièce fermée à clé par une multitude de cadenas. Des chaînes sont tirées, et des barres de métal précèdent la porte gondolée, comme s'il était déjà possible d'échapper aux dizaines de cadenas massifs qui ornent la porte.

— On ne va pas entrer, précise-t-il. Mais fais comme moi.

Je suis rassuré d'apprendre que je n'aurai pas à voir quoique ce soit qui puisse devenir une raison supplémentaire de ne pas dormir.

Il sépare deux chaînes et crée une faille dans laquelle il peut glisser sa tête pour coller son oreille à la porte. Je l'imite, appréhendant ce que je pourrais entendre. Les premières secondes se font silencieuses, mais dès lors que je m'habitue à l'épaisseur de la paroi et que je me focalise sur les murmures qui la précèdent, mon cœur se serre. Je perçois les geignements désespérés d'inconnus qui plaident leur liberté.

Où est passée la lumière...

Mon enfant meurt de faim.

Sauvez-nous.

Sauvez-nous.

Mes parents...

Incapable de témoigner davantage, j'ai un mouvement de recul brusque. Les larmes obstruent ma gorge, si je prononce le moindre mot, je risque d'éclater en sanglots.

— Qu'as-tu entendu ? souffle Isayah.

— Des cris du cœur.

Il hoche la tête. Lui sait ce qui se trouve derrière ces murs, pas moi. Et j'attends qu'il me l'explique pour enfin reprendre ma respiration. Mon cerveau pose des images des plus morbides sur ces gémissements déchirants, c'est de moins en moins supportable.

— Il s'agit de prisonniers Vylnesiens. Ils sont retenus ici depuis plus de dix ans.

— Quoi ? C'est énorme ! m'effaré-je. Autant les achever à ce point-là, les retenir captifs comme des animaux sauvages pendant plus d'une décennie, c'est inhumain...

Isayah m'offre un sourire compatissant.

— J'ai eu la même réaction, la première fois.

Vylnes est notre ennemi, je l'admets. Ils ne sont guère innocents et ont eux aussi leurs torts dans cette guerre, mais les réelles motivations remontent à des générations si lointaines qu'il ne réside plus aucun membre de ces familles.

— Pourquoi infliger ça à des villageois ?

— Ils ont été capturés au bord de la frontière, en général, on ne s'y serait pas aventurés. Mais la princesse Vylnesienne faisait partie du groupe, coupe-t-il.

La princesse... est retenue contre son gré entre les murs de ce château, depuis plus longtemps que je n'existe. Les conséquences vont être si lourdes que je n'ose même pas imaginer les massacres successifs qui menacent de se produire sous peu.

Si mon peuple – ou plutôt mon père – est capable d'agir avec tant de cruauté, alors il doit en assumer les répercussions. Il a pleinement conscience du fait que malgré notre nombre important de soldats, rien ne pourrait stopper des troupes motivées par un but précis. Entre autres, celui de récupérer leur princesse héritière.

Que personne ne s'étonne si un jour nos villages sont mis à feu et à sang. Et que mon père n'ose surtout pas se faire passer pour la victime s'il en vient à devoir supplier son ennemi de rester en vie, le jour où celui-ci se vengera.

Dans mon cas, je me fiche de ce qui peut arriver, je n'ai rien à perdre. Je ne tiens pas à ma vie, on me rendrait presque service en me l'ôtant.

— Isayah, ne crois pas qu'ils restent passifs en sachant leur héritière ici. Tôt ou tard ils viendront se venger, et ce ne sera pas une petite bataille, ils prendront tout ce qu'ils auront à prendre pour cet affront.

— Tu crois que je n'y ai pas déjà pensé ?

— Alors pourquoi tu ne fais rien ?

— Je n'ai aucun pouvoir, mon frère. Père gouverne, père prend les décisions, père enferme une femme de sang royal dans une cave pendant dix ans s'il le souhaite. Allant jusqu'à perdre son honneur et ce qui accompagne son rôle de roi.

Un liquide chaud se déverse de mon œil gauche, et glisse jusqu'à mes lèvres. Suis-je en train de pleurer ? Le regard apeuré d'Isayah m'indique que quelque chose d'anormal se produit. Je pose mon index sur ma joue et découvre avec horreur le sang qui coule de ma paupière.

Je m'autodétruis sans même m'en apercevoir.

Isayah s'approche et essaie de me toucher mais je l'en empêche. Je ne veux pas de sa pitié, simplement qu'il réponde à mes questions. Qu'il me détaille tout ce qu'on m'a caché. Je ne veux plus être mis de côté.

— Pourquoi tu m'as montré ça ?

— Pour  que tu ne fasses pas comme moi. Que tu perdes tes valeurs et obéisse à tout ce qu'on te demande. N'oublie jamais que la première fois que tu as entendu ces lamentations, tu t'es révolté, Sohane.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top