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𝓢ohane
❦
« Born to overlove »
- j.b.
Un soir, alors que tout le palais célébrait l'arrivée d'une personnalité importante dans l'enceinte du château, ma mère m'a trouvé allongé sur le sol de ma chambre, inconscient. J'avais arrêté de me nourrir depuis un peu moins d'une semaine. Il aurait suffi que je me joigne aux repas de famille, ou que je vole des morceaux de pain en cuisine, mais c'est l'envie qui manquait.
À cette période, je ressentais tout de manière décuplée : la jalousie, la colère, la joie, la tristesse, l'amour... J'ai aimé ma mère plus que ce que mon corps ne pouvait le supporter, et m'imaginer la perdre me poussait à croire que mon existence en serait dépourvue d'intérêt.
Elle était la seule qui me donnait l'impression que l'on pouvait m'aimer autant que j'aimais.
Je souffrais tellement de mes propres émotions que je m'affamais pour m'affaiblir. Nul ne comprenait que des larmes puissent dévaler mes joues pour la mort d'un oiseau, ou que je puisse m'ouvrir les cuisses pour un simple refus. Il leur était difficile de se mettre à ma place.
Et je le conçois, même moi, j'étais le premier à me penser fou.
Ma mère s'est allongée à mes côtés et s'est mise à m'énumérer tous les détails de ce que la vie avait à m'offrir. Il y avait toujours quelque chose à rajouter : tellement de pleines lunes, de couchers de soleil, d'étoiles filantes. Tant de baisers, d'étreintes, de caresses. Des étrangers avec qui danser sans espérer de lendemain, des parterres de roses sur lesquels courir, des compliments à recevoir de la part d'inconnus qui ne porteraient aucune attention à mon titre ou à mon passé...
Elle m'a supplié d'y croire. D'après elle, ce poids disparaîtrait un jour ou l'autre. D'après elle, tout finirait par aller mieux, mais est-ce que moi aussi ?
Elle n'avait aucune idée du fait que la seule chose qui me pèse, c'est de savoir que je devrai me supporter jusqu'à ma mort.
J'ai l'impression d'être un imposteur, de marcher entre deux personnalités qui vont et viennent par vagues, et ce soir, elles me noient.
Aimé est toujours à mes côtés alors qu'on rentre à l'auberge. Un silence pesant s'est installé et aucun de nous n'ose le briser. Pourtant, il est torturé par l'envie d'admettre ce qui lui brûle la gorge. Ses lèvres s'étirent dans tous les sens tandis qu'il les mordille, ses sourcils se tordent, mais aucun son ne s'échappe de sa bouche.
— Je sais que personne ne veut reconnaître ta puissance, murmure-t-il. Mais un jour, tu rentreras dans une pièce et tout le monde lèvera son épée en ton nom.
Mon cœur s'arrête. Je ne pensais pas avoir à dresser des défenses autour, avant qu'il ne l'achève ainsi.
Aimé a toujours eu tendance à être rêveur, dans la lune, un enfant distrait par le moindre détail insignifiant, et j'ai toujours eu tendance à trouver ça ennuyant. Mais je commence à m'y attacher.
Il s'est exprimé à voix basse. Des murmures inaudibles qui ne me laissent pas indifférent. Une caresse de mots à peine prononcée, qui a pourtant une signification particulière.
Je fixe la route qui ne fait que s'allonger, refusant de lui accorder la moindre réaction.
Aimé devient de plus en plus supportable, voire appréciable, et ça m'effraie. Je n'ai jamais reçu autant d'attention de la part d'un homme, et maintenant je dois prétendre que c'est habituel, que ça ne me procure aucune satisfaction. Parce que personne ne persiste à abreuver une fleur fanée. Personne ne s'épuise à affectionner quelqu'un qui ne l'a jamais été, ça draine de toute énergie.
Mais en même temps, je chéris les moindres paroles qu'il m'accorde qui ne s'apparentent pas à des insultes. Je suis quelqu'un d'obsessionnel, et je refuse de le lui montrer, au risque qu'il parte du jour au lendemain, étouffé par l'amont d'intérêt que je requiers.
Qui peut supporter quelqu'un d'aussi paradoxal ?
Je veux me sentir important et désiré, voir à travers autrui que je suis attirant. Mais je déteste l'idée que l'on s'intéresse à moi pour le sexe et je ne parviens pas à différencier les deux.
Je veux quelqu'un sur qui compter, qui me considère comme une prolongation de lui-même et qui me défende en toute circonstance. Seulement, dès lors que quelqu'un s'intéresse à moi et essaie de me percer à jour, je me renferme.
Je ne veux plus de cette solitude constante, pourtant je m'éloigne de toute opportunité.
Une fois de plus, je me retrouve piégé par mes propres pensées.
Nous arrivons à l'auberge, et je n'ai pas réussi à lui retourner un mot. Notre entrée se fait remarquer des quelques soldats attablés, déjà alcoolisés.
Si certains d'entre eux m'accordent un regard moqueur ou désireux, d'autres se satisfont du retour d'Aimé comme s'il s'agissait de celui d'un membre de leur famille.
Mon second est rapidement attiré au cœur du groupe et intégré à la discussion. Un large sourire fend ses joues alors qu'il reçoit les félicitations des meilleurs de nos hommes. Il est à sa place, au sein d'une communauté qui lui correspond. C'est irréaliste.
— Il est en vie, se réjouissent-ils. Le prince ne t'a pas achevé lui-même ?
— Il m'a manqué de peu, ironise Aimé.
Inconsciemment, j'ai cherché à effacer ma présence, et je me retrouve à me morfondre dans un coin de la salle, seul à une table. Je sirote de la bière en espérant que ça m'empêche de déprimer toute la fin de soirée.
Je les observe rigoler ensemble, comme si depuis tout ce temps, j'ai été le seul problème. Que faut-il faire pour être normal à leurs yeux ? Qu'est-ce qu'être normal, au juste ? Qu'est-ce qui cloche tant chez moi, que j'ai été incapable de résoudre en vingt-et-un an d'existence ?
Mon absence ne les impacte pas le moins du monde, pourtant une personne comme Aimé, apparue depuis quelques mois, est admirée des troupes.
Au-delà du fait d'avoir un caractère impossible à gérer, ai-je fini par les pousser à me trouver insupportable ? Était-ce volontaire ?
Les rires s'atténuent lorsqu'ils sortent rejoindre le reste des soldats dehors. Ils s'installent sur des bûches qui entourent le feu de bois. Les flammes s'élancent dans les airs, et j'ai l'impression de sentir l'odeur de la fumée alors que je les observe depuis l'intérieur. Seule la fenêtre de la tanière me permet d'apercevoir ce groupe dont je ne ferai jamais partie.
Ça ne leur viendrait même pas à l'esprit de m'inviter, parce que je n'ai pas ma place avec eux. C'est comme ça et c'est tout.
Il n'empêche que je souffre de ma solitude, d'autant plus depuis la mort d'Isayah. Je crois même que je ne m'en suis pas remis, - que je ne m'en remettrai jamais - , peu importe ce que je laisse penser.
Le prince Sohane ne se mélange pas au reste des hommes. Le prince Sohane ne parle jamais. Le prince Sohane ne ressent rien.
Tant de préjugés à mon égard qui courent les murs du palais, comment les déconstruire à l'extérieur ?
— Qu'est-ce que tu fous ? s'agace un beau brun en tirant la chaise face à moi.
Je ne devrais pas consommer de l'alcool à jeun, ça me rend trop sensible à ce qui m'entoure. Mes pensées sont des lames aiguisées qui déchirent ma tête.
Aimé prend place, le visage tiraillé par l'incompréhension. Il retourne la chaise et l'enjambe. Il s'appuie sur le haut du dossier, tandis que je me demande pourquoi il n'est pas resté avec les autres. Ses mains ramènent ses cheveux ondulés vers l'arrière, dégageant ses yeux bleus.
Des yeux si clairs que je pourrais y plonger, m'y noyer, ou y trouver du réconfort, même à travers la douleur. Des iris translucides qui me hantent désormais.
— Pourquoi tu ne sors pas ? interroge-t-il.
— Ils ont l'air de désirer ma présence ?
— Qui a parlé d'eux ?
Je ne peux le lâcher du regard. Je suis à deux doigts de pleurer de nerfs. Il est tout ce dont j'ai toujours rêvé, dans le corps de mon pire cauchemar.
Son œil gauche commence à cicatriser, il peut ouvrir sa paupière désormais, même s'il ne lui reste qu'une pupille difforme et décolorée. D'un certain côté, j'ai toujours pensé que ça lui rajoutait du charme.
— Je ne vais pas m'imposer alors qu'on ne veut pas que je sois là, murmuré-je.
— Tu ne vas pas t'excuser d'exister jusqu'à la fin de tes jours bordel ! répond-il sur le coup.
Je baisse le regard, chose rare. Ma main s'occupe à remuer le restant de bière qui traîne dans mon verre, avant de le diriger vers mes lèvres. Je finis le contenu d'une traite, imaginant que l'alcool m'évitera d'affronter Aimé de plein fouet.
Je ne m'excuse pas d'exister, pas vrai ? Je suis le prince héritier de ma nation. Certes, mais je suis le seul à ne pas être entouré, un soir où les armes sont rangées. Je suis le seul à être invisible. Ils passent devant moi, comme si j'étais fait de verre. Mon existence est-elle si futile qu'elle s'éclipse de leur esprit quand bon leur semble ?
— Tout va bien, lord Sohane ? me questionne un soldat situé à ma gauche, interpellé par le poing d'Aimé qui s'est écrasé sur la table.
Celui-ci se lève et s'approche de nous.
— Ce qui se passe entre le prince et moi ne concerne que le prince et moi, précise Aimé d'un ton acerbe.
— Ce qui se passe avec le prince concerne beaucoup de monde, crois-moi, rétorque-t-il d'un rictus malsain. Ne te pense pas unique.
Je fais mine de n'avoir rien entendu, même si mon cœur se brise à l'idée que ma réputation me suit jusqu'ici. Si seulement je n'avais pas tenté d'étouffer mon mal-être à travers la luxure...
Aimé se redresse sur le coup, la mâchoire tiraillée par la rancœur. J'ai l'impression qu'il ressasse de la haine envers cet homme pour une tout autre raison que celle-ci, et qu'il meurt d'envie de profiter de la situation pour le lui faire comprendre.
Debout, il surplombe du regard le soldat. Il semble prêt à le démembrer tant son corps est crispé.
— Qu'est-ce que tu insinues ? demande Aimé, les mains contractées sur le bois de la table.
— Que ton prince adoré a déjà connu autant de partenaires qu'il existe de soldats.
Quelque chose de précis se brise dans la retenue de mon second lorsqu'il entend ces mots. C'est visible, il perd patience et n'attend plus rien de cette discussion.
— Sache une chose, tu ne ressortiras pas d'ici vivant, menace-t-il avant de l'attraper par la gorge.
Personne n'a le temps d'entendre le moindre gémissement lorsqu'il le pousse dans l'escalier qui mène au sous-sol, où sont étalés nos couchages. L'homme perd l'équilibre et s'effondre jusqu'en bas. Je le suis avec appréhension, regrettant de ne pas avoir la force mentale de m'interposer.
Aimé descend les escaliers avec sérénité, comme s'il ne s'apprêtait pas à blesser un de nos hommes après mon discours.
Le soldat en question sourit à pleines dents, confiant. Son sort ne le préoccupe pas le moins du monde, il est persuadé qu'il n'a rien à craindre d'Aimé. J'aurais eu tendance à le croire aussi, si je ne l'avais pas vu trancher la gorge d'un homme sans scrupule. J'ai vu son corps être déserté de toute humanité, et tuer.
J'ai vu Aimé tuer.
Il n'agit pas comme un soldat qui fait usage de la légitime défense. Il arrache la vie et offre la mort. Il se perd dans un labyrinthe sans issue où sa clémence meurt.
Aimé s'empare d'une hache accrochée au mur, les muscles de son bras se tendent sous le poids de l'arme et l'aident à la projeter en direction du soldat. Celui-ci n'a pas l'occasion de savoir si c'est de la comédie ou non, et reçoit le coup dans la joue. Ses yeux se révulsent dans la seconde, et son visage, à présent fendu sur quelques centimètres, saigne abondamment.
Il perd connaissance de longues secondes, le corps titubant tel un ivrogne. Puis quand il dispose d'un brin de lucidité, il a l'intelligence de se jeter sur ses genoux et d'implorer le pardon. La peur de la mort dans toute sa splendeur : tout homme délaisserait sa fierté sans hésitation face à elle.
— Tu reparles de lui, tu prononces son nom, tu le regardes dans les yeux, tu le touches ou tu respires trop près de lui, et je te tue, cingle Aimé en glissant la lame le long de la joue de son interlocuteur.
Du sang a giclé au sol et sur les quelques lits avoisinants. J'observe la scène depuis les escaliers, dépourvu de toute énergie, incapable de me rendre utile envers qui que ce soit.
Aimé n'est plus le même depuis le début de ce voyage, et j'ai l'impression d'avoir à mes côtés, un homme en pleine guerre. Une guerre qui oppose deux parties de lui-même.
Il se retourne face à moi, et délaisse sa victime dès lors que je lui tourne le dos. Il s'élance à ma poursuite, non sans vociférer mon prénom. Sa main s'appose à mon épaule et m'empêche de prendre la fuite. Quand je l'affronte du regard, je réalise que j'ai dû manquer une partie du combat, puisque son haut tombe en flambeau, arraché aux extrémités, et sa main saigne à cause d'une morsure profonde.
Son torse est apparent, couvert d'une fine couche de sueur qui fait luire sa peau brunâtre. Des boucles imprégnées de sang masquent en partie ses iris bleus, parsemés de longs cils noirs. Je peine à détourner mon regard, attiré par la larme qui mêle regret et inquiétude au coin de son œil.
Sa main, toujours agrippée à mon épaule, me rapproche tellement de lui que nos visages pourraient se frôler. Je suis trop proche, en état de faiblesse, l'esprit altéré par l'alcool. J'ai besoin de prendre la fuite.
— Je vais parfaitement bien Aimé, prononcé-je avec calme, laisse-moi tranquille.
Et alors que je tente de m'arracher à son emprise pour m'échapper, il ajoute sa seconde main sur mon corps.
— Tu crois que je ne te connais pas ? Tu ne peux pas me le cacher comme tu te le caches à toi-même, je sais que ça t'a blessé Sohane.
Et quand bien même ce serait le cas, pourquoi s'en inquiète-t-il ? Ce qui me blesse ou non ne le concerne pas, ça ne l'affecte pas. Tout le monde se fiche de ce que je ressens, il n'a pas à prétendre le contraire pour m'avoir dans la poche et accéder au trône à ma place. Il n'a pas à me laisser espérer qu'un homme puisse compatir à mes maux sans aucune arrière-pensée, il...
Il m'attire contre lui. Aimé dépose sa tête dans le creux de mon cou, tandis que ses bras se scellent dans mon dos. Son cœur tambourine contre le mien et plus aucune pensée intrusive ne m'empêchent de profiter de sa présence. Son torse chaud, brûlant, tout juste sorti de l'effort se presse contre le mien, et j'oublie comment respirer. J'oublie que j'ai déjà respiré un jour. Non, en fait, c'est juste la première fois que mes poumons se gonflent d'air sans que ce ne soit douloureux.
Je fonds au cœur de ses bras, sans me préoccuper des conséquences. Mon corps tremble face à cet amont de tendresse et pour une raison implicite, je fonds en larmes.
Toutes les barrières que j'ai tenté de préserver ces dernières années s'effondrent en une fraction de seconde et je m'écroule sur lui. Il soutient mon poids, mais se laisse glisser contre la paroi dans son dos. J'expulse tout mon mal-être au travers de larmes silencieuses qui manquent de me noyer.
Quelque chose ne va pas en moi.
J'ai honte d'admettre qu'il y a eu des soirs au palais où j'étais incapable de m'endormir, j'ai rêvé qu'il venait m'étreindre. Je le haïssais, mais j'ai imaginé que ses bras pouvaient être d'un réconfort inestimable et je ne me suis pas trompé. J'étais tellement en manque d'affection que j'ai rêvé d'une étreinte et le seul visage que j'ai réussi à poser sur ce corps réconfortant était le sien.
Aimé n'était peut-être pas celui qui m'aimait le plus, mais à l'inverse de ce qu'il peut croire, il était celui qui me détestait le moins.
Il souffle sur mes cils humides et ne dit pas un mot, si ce n'est un long chuchotement qui m'incite à me calmer. Quant à ses bras, ils me retiennent contre son torse d'une intensité dont on ne fait usage que lorsqu'on craint de laisser partir une chose qui a beaucoup de chances de ne jamais revenir.
Ses doigts retracent ma colonne vertébrale de haut en bas, en douceur, sans un seul faux-pas.
Cette proximité bousille mon cœur au lieu de mon corps, je le sens se contracter dans ma poitrine. Il ne fait pas que caresser mon dos ou frôler ma peau, il me touche moi. Il atteint quelque chose de dissimulé au creux de mes organes, quelque chose que je pensais éteint depuis une décennie.
Sa douceur sonne comme les poésies de ma mère. Une poésie rédigée en largeur. Il couvrirait toute la page de vers, car on ne pourrait le restreindre à des strophes étroites centrées, sans saveur et sans variante. Il déborderait sur chaque extrémité, d'une tendresse méconnue.
— Sohane ?
Je grogne une réponse inintelligible.
— Ne ressasse pas ce que cet abruti a dit, personne n'a le droit de te manquer de respect.
Alors que je parviens à me calmer, j'entends les soldats rire et s'exclamer depuis l'intérieur de la taverne. Ils s'apprêtent à aller dormir, et vont emprunter l'escalier dans lequel on se trouve d'une seconde à l'autre.
J'essuie l'humidité qui s'écoule le long de mes joues. Je me redresse et m'assois en face d'Aimé sur la même marche, le dos calé contre la paroi opposée. Je crois que si j'avais tenté de me mettre debout, je me serais écroulé. J'ai encore besoin de son soutien, même si je ne lui avouerai jamais.
Une vingtaine d'hommes se présentent au sommet des escaliers et nous dévisagent. Je les vois comme une marre d'angoisse sur pieds, comme s'ils se dressaient au-dessus de moi, les yeux enténébrés par la rancœur et les lèvres saignantes de toutes les injures qu'ils meurent d'envie de me cracher à la figure.
— Un deuxième traître vous attend en bas, chargez-vous de lui, annonce Aimé sans ciller. Et tâchez de vous intéresser davantage à la sécurité de votre prince, il doit être votre priorité.
Ils hochent la tête et se précipitent sans prêter nous plus attention. Aucun d'entre eux ne cherchera à savoir si c'est vrai ou non, ça leur offre l'occasion de se déchaîner sur un humain sans se faire punir. Il servira d'exutoire jusqu'à ce que la mort le sauve de l'agonie latente à laquelle il est destiné. Tout ça par ma faute.
Les morts ne font que s'enchaîner ces derniers temps.
— J'ai juste eu un coup de fatigue, rien de plus, me justifié-je en sentant le regard insistant d'Aimé.
— Un coup de fatigue, hein ? s'amuse-t-il en tirant le restant de son tee-shirt pour admirer les taches d'eau qui témoignent de mes larmes récentes.
Il le retire, se retrouvant torse nu face à moi, puis il le roule en boule et me le jette dessus.
— Eh bien c'est moi qui suis fatigué de faire un pas en avant et soixante-dix-sept en arrière, soupire-t-il.
Je demeure silencieux.
— Pleurer ne fait pas moins de toi un homme, déclare-t-il. Quand ce sera rentré dans ton crâne, j'admettrai qu'il n'est pas si vide que ça.
En se mettant debout, il dépoussière ses genoux et m'abandonne au milieu de ces putains d'escaliers. Il ne m'accorde pas une œillade et rejoint un homme que j'ai du mal à visualiser, un étage au-dessus. Erèbe. Le blond passe son bras sur ses épaules presque par provocation, et ça me tue de réaliser que c'est efficace.
Je déteste que ce que j'obtiens d'Aimé ne soit pas spécial, il est ainsi avec tout le monde.
Ça lui ressemble bien de vouloir réconforter une personne en détresse, quel qu'elle soit.
Quand ils s'éloignent, un large sourire se dessine sur le visage de mon second et il se met à éclater de rire. Qu'est-ce que cet imbécile de soldat, aux trois neurones qui se battent en duel, peut-il bien dire de si drôle ?
Rient-ils de moi ?
Je ravale la boule qui se forme au creux de ma gorge et me dirige vers le sous-sol. La salle est plongée dans la pénombre, mais même si je ne le vois pas, le sang est présent par son odeur claustrée. Les hommes dorment, et je rejoins mon lit avec une appréhension constante.
J'ai beau être éloigné et collé au mur, l'angoisse ne déserte pas mon corps.
Le tee-shirt d'Aimé est toujours entre mes mains, et je me promets de ne plus laisser mes faiblesses prendre le dessus demain, mais en attendant, je ramène son vêtement sous mon nez. Le tissu est imprégné de son odeur, et je ne cherche pas à comprendre pourquoi ma cage thoracique est sur le point d'exploser lorsqu'elle se gonfle de son parfum.
Des minutes qui s'apparentent à des heures s'écoulent avant que la porte du sous-sol s'entrouvre, laissant apparaître deux silhouettes qui manquaient à l'appel. La première rejoint sa paillasse, quant à la seconde, elle s'approche de moi en silence, mais je ne panique pas. Je sais que c'est lui.
Il fait si sombre que je ne le distingue pas plus que ça, je devine simplement qu'il s'allonge à mes côtés. Il devrait s'endormir, pourtant je sens son doigt longer mon visage et replacer une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
— Tu ne dors pas, murmure-t-il.
— Perspicace.
— Maintenant, tu peux. Je veille à ce qu'il ne t'arrive rien.
Je ne lâche pas son haut enroulé autour de mon poing, l'esprit torturé. Je ne veux pas m'endormir ce soir. Je veux continuer de croire que l'alcool est responsable, je veux continuer de lui parler, et d'avoir un coupable sur qui remettre la faute.
— Le groupe de Vylnesien, tu sais que c'est qu'une question de temps avant qu'ils ne comprennent que l'un d'entre eux ne rentrera pas, soufflé-je.
— Je sais.
— Ils vont nous retrouver sans qu'on ait le temps de se préparer.
— Oui.
— C'était stupide de ma part d'évoquer le palais, et de me précipiter ainsi. Je nous ai tous mis en danger.
— Dors Sohane, s'il te plaît.
Il accompagne ses mots d'une caresse qui glisse sur mes paupières et m'incite à les garder fermées.
Demandé ainsi, je suis obligéde me taire. Je compresse son tee-shirt contre ma poitrine et ne bouge plus.
❦
Câlin général pour Sohane ->
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