19

𝓐imé










Même engagé depuis une centaine de mètres, je ne peux résister à l'envie de me retourner. La route menant au village habité par les infiltrés Vylnesiens est une sorte de libération. D'ici, le palais semble immense, et l'eau qui s'achemine par deux conduits placés aux extrémités, jaillit comme deux cascades chargées d'une énergie latente. J'admets que sans porter cet endroit dans mon cœur, il dégage quelque chose d'inégalable.

            Un sentiment de toute puissance et de renouveau.

            Je n'ai jamais été accoutumé à une telle extravagance. Dans mon village natal, l'unique source d'eau n'était autre que la petite fontaine en son cœur où je m'asseyais pour lire. Ici, c'est à se demander s'ils manquent de quelque chose.

            Le vent qui fouette nos visages est empli de l'odeur fraîche des oliviers et abricotiers, tout juste entretenus. Le soleil est à son paroxysme au cœur du ciel et son ardeur nous brûle la peau. Les oiseaux apaisent ma conscience de leurs chants lointains, et je réalise que je ne me sens pas si mal en ces terres que j'évitais à tout prix.

            Le meilleur moyen de gérer la circulation, c'est d'utiliser la cavalerie en colonne, permettant un déplacement plus efficace des troupes, et un déploiement rapide en cas d'attaque.

            Je suis de près le cheval de Sohane, en tête de la file, accolé à celui de Raven. Celle-ci est focalisée sur son objectif et ne laisse pas le moindre élément perturbateur la déconcentrer.

            Erèbe avance derrière nous pour protéger nos arrières, car, d'après ses dires, on ne doit jamais être trop serein. Il affirme qu'une envie intarissable ne s'évapore pas en un claquement de doigt, et qu'un homme qui voulait notre mort un jour, ne se privera pas de la prendre le suivant.

            Il est clair que je ne voue aucune confiance en mes camarades, mais j'apprends à tempérer avec Erèbe.

            — On dirait un gamin de trois ans, arrête d'admirer le moindre petit papillon et concentre-toi, me réprimande Raven.

            Je grogne, assez susceptible pour bouder et fixer le dos de Sohane ainsi que la fine couche de sueur qui le recouvre. Mes phalanges resserrent leur emprise sur les rennes à cause de la frustration.

            — Vraiment un enfant... se lamente-t-elle.

            — Un enfant qui s'est battu contre un loup qui pesait six fois ton poids.

            — T'es un tas de muscle, mais t'as rien dans le crâne.

            — Je lui répète tous les jours, ajoute Erèbe un peu plus fort.

            Leur alliance me fait hausser les sourcils.

            — T'es censé me défendre Erèbe, lui reproché-je, faussement heurté.

Lui et Tara ricanent, tandis que je m'obstine à leur exprimer mon mécontentement à travers l'absence de réaction. Le soleil me brûle la peau, et malgré les heures qui défilent, je ne peux me résoudre à trouver du réconfort dans cette étreinte bouillante qui meurtrit mes épaules. Si Erèbe ne s'était pas avancé à mes côtés lorsque je perdais connaissance, mon corps serait étendu au sol, piétiné par une cinquantaine de sabots humidifiés par la boue.

Mes blessures ne me laissent pas indemne. Mon temps de récupération est décuplé, et mon système immunitaire réduit. Il n'y a rien que je puisse faire en l'instant, hormis subir les dégâts.




Après de longues heures sous une chaleur mortelle, des pauses trop peu nombreuses et des menaces de mort entre Raven et Erèbe, nous voilà sur la dernière ligne droite avant l'auberge. Mérès est la première ville dans laquelle nous devons passer la nuit avant d'arriver à destination, et je finis par croire que les résidents des villages au-delà de Mahr sont tous chaleureux, et je ne parle pas que d'aspect psychique.

Le paysage s'est totalement métamorphosé. Le clair de lune y est pour beaucoup, mais le lieu est tamisé par les pins immenses qui masquent le ciel. Sous nos pieds, le sol scintille grâce à la lueur émanant d'innombrables vers luisants.

            Pour chaque pas effectué par nos chevaux sur le sol recouvert de mousse, une explosion d'étincelles aveuglantes est déclenchée. De minuscules lucioles s'envolent de l'herbe et des buissons environnants. Elles planent alors autour de nos corps avec douceur, créant des traînées lumineuses dans ce paysage aux couleurs éthérées.

Les insectes forment une symphonie de lumières dont le reflet anime les étangs et les ruisseaux qui serpentent à travers l'horizon. J'admire la beauté du lieu, conscient que je n'y serai que passager.

Autour de moi, Tara, Raven et Erèbe en font de même. On partage désormais ce souvenir ensemble, il sera ancré dans nos mémoires et lorsqu'on l'évoquera dans quelque temps, il sera identique pour chacun d'entre nous.

J'ai toujours chéri la présence des autres autour de moi. C'est bon de savoir que je ne suis pas seul, et que, même après la perte de ma famille, je suis capable de connaître de tels instants en compagnie de personnes que j'apprécie.

Mais qu'en est-il pour Sohane ?

Il demeure seul en tête de la file.

Il vient de perdre son grand frère, et ce n'est pas pour autant qu'il se sent davantage esseulé. C'est dans sa façon d'être, il n'a jamais appris à être entouré, et ça me tue.

Dans un élan de charité, je donne un léger coup de pied à mon cheval pour l'inciter à avancer.

— Tu vois, murmure Erèbe. Je ne peux pas te défendre quand tu agis aussi stupidement.

J'ignore sa réprobation, convaincu que je fais ce qu'il y a de mieux et que j'honore le dernier souhait de Isayah. Lorsque j'arrive au niveau de Sohane, je remarque que son regard est statique, plongé dans l'obscurité latente qui s'adonne face à lui. Il ne s'intéresse ni au sol lumineux, ni aux sapins élancés.

Alors je glisse mon index sous son menton pour l'orienter en direction des rangées de lucioles qui tournoient autour de mes épaules.

— C'est ici que ça se passe, soufflé-je.

            Ses yeux suivent le mouvement, puis s'ancrent aux miens. Il me dévisage comme s'il voyait le reflet des lumières confluées au cœur de mes iris, avant de s'arracher à mon contact pour se recentrer sur la route.

            — Il n'y a pas d'insectes en campagne ?

            — Pas autant. Pas comme ça, réponds-je, refroidi.

            — C'est regrettable.

            Je n'entends plus les conversations exhaustives qui s'éternisent derrière moi. Seul le silence étouffant, comblé par le bruit sourd des sabots de mon cheval, m'atteint. Une distance invisible se met en place entre nous et le reste du groupe, exacerbée par l'indifférence de Sohane, et son inaptitude à s'ouvrir. Je comble l'impatience que provoque ma frustration à travers des pressions répétées, sur les lanières qui enroulent le cou de mon cheval. J'essaie de m'occuper comme je le peux, aux côtés d'un individu que je persiste à tenter d'approcher, malgré tout.

            Je remarque que sa bouche s'entrouvre et se referme, comme si la culpabilité l'assaillait et qu'il s'efforçait d'entamer une discussion. Il se retourne de trois quarts, afin de jeter un coup d'œil aux membres du groupe, qui conversent chacun de leurs côtés. Sa mâchoire se presse. Réalise-t-il que le fait d'utiliser la nouvelle politique pour justifier notre proximité est non valable en ces circonstances ? Nos rôles ne stipulent pas que l'on doit marcher l'un à côté de l'autre.

            On n'est pas contraints de se supporter, alors je me demande pourquoi je m'inflige ça volontairement.

            — Il y en a beaucoup à Mahr, concède-t-il. En tous genres, il faut juste savoir où les trouver.

            Sa voix grésille.

            J'isole l'idée que Sohane soit capable de faire preuve de culpabilité, même s'il me le démontre bien assez à travers ces quelques mots. Il ne m'aurait jamais adressé la parole de son plein gré, s'il n'avait rien à se reprocher.

            Pourtant, chacun des soldats ici présent est émerveillé devant ces insectes luisants, et on ne s'ébahit ainsi que devant quelque chose qu'on voit pour la première fois.

            Sohane glisse avec hargne le dos de sa main sur ses yeux, puis il oriente son visage vers l'autre extrémité de la route. Celle à laquelle je n'ai pas accès.

            — Ils sont enfermés dans le dôme du jardin ouest, où est enterrée ma mère, admet-il d'une voix fluette.

            Je reste sans voix, tandis qu'il accélère la cadence sans prévenir et me devance en l'espace de quelques secondes. Mes mains moites sont les seuls membres de mon corps qui retiennent ma chute. Le raffut des chevaux qui se hâtent m'assaillit.

            Je demeure statique un long moment, percevant le groupe arriver à l'auberge dans l'obscurité. Après quelques expirations des plus audibles, je sens une main se poser sur mon épaule. Erèbe ne s'est pas empressé de suivre le prince et est resté silencieux derrière moi, jusqu'à ce qu'il considère que j'avais besoin de réconfort.

            — Tu n'as pas à subir ta peine seul Aimé, je sais qu'on se connaît peu et qu'on partage pas forcément les mêmes idéaux, murmure-t-il. Mais je vois combien tu refoules tes émotions.

            La boule brûlante qui compacte tout ce qui m'est arrivé dernièrement est de plus en plus difficile à contenir. Blottie au centre de ma gorge, elle me donne envie de régurgiter jusqu'à ce que le vide substitue l'agonie.

            — Tant que je suis là, tu as quelqu'un avec qui tu peux parler, pleurer et hurler s'il le faut.

            — Je ne suis pas la personne que tu as connue, avoué-je de la voix la plus compassionnelle possible. Tu peux pas chercher en moi quelqu'un d'autre.

            — Ce n'est pas le cas.

            Sans lui offrir de réponse, je me concentre pour évacuer mes émotions à travers une respiration contrôlée, puis je me recentre sur la route.

            — Je sais que je peux te faire confiance Aimé, j'espère qu'un jour tu comprendras que c'est réciproque.

            — Ce n'est pas que je te fais pas confiance, c'est juste que je n'ai pas envie d'ajouter mes états-d'âme aux tiens. T'en as déjà bien assez à gérer, confié-je en tapotant son épaule.

            Il soupire en désaccord, mais se résout à me suivre jusqu'à l'auberge. En arrivant, on attache nos chevaux auprès des autres avant d'entrer. La chaleur du feu de cheminée nous étouffe dans l'immédiat, mais ce n'est rien comparé à l'amassement du groupe, dont l'attention est figée. Je me fraie un chemin entre les corps, suivi d'Erèbe, avant de découvrir le prince aux côtés d'une jeune femme blonde, dont la longue chevelure ne laisse aucun doute quant à son identité.

            — Prince Sohane, dame Beth, veuillez me suivre s'il vous plait, indique l'aubergiste après avoir remarqué l'intérêt que suscite leur conversation publique.

            Je ne les lâche pas des yeux pendant qu'ils montent les escaliers de granite qui mènent à l'étage. En haut se trouvent les chambres, et s'ils rejoignent la leur maintenant, c'est qu'ils y passeront la nuit ensemble.

Sohane n'était-il pas réticent à l'idée de côtoyer cette femme ?

Ce n'est pas l'impression qu'il donne ce soir. Il la tient par la taille pour l'escorter jusqu'à la pièce qui leur est destinée, tandis que je les suis du regard jusqu'à ce que leurs silhouettes s'enténèbrent. La vie reprend son cours dans mon dos, pourtant je ne suis pas résolu à bouger.

— Ça sert à rien d'attendre ici, m'indique Raven en se présentant à mes côtés. Ils vont pas redescendre.

— Pourquoi elle est ici ?

— De ce que j'ai compris, le roi l'a envoyée pour consolider les liens, et honorer la promesse faite au père de Beth.

— Il aurait pu attendre son retour, soufflé-je.

— S'il est aussi hâtif de conclure cet arrangement, c'est que Sohane ne survivra pas à cette mission, tu peux en être sûr.

— Que ce soit d'une erreur d'inattention de sa part ou prémédité, il mourra, conclus-je par déduction.

Raven acquiesce.

Nombreux ici sont ceux qui veulent la mort de Sohane et le roi en a pleinement conscience. Il est lui-même venu confier en personne à son fils qu'il ne pourrait mener à bien cette mission en gouvernant seul, parce qu'il va y rester. Nous ne savons rien des personnes contre qui on va se battre, et on pourrait mourir de la main d'un soldat de notre propre peuple tant la trahison est le fort de ces terres. Ça ne peut signifier qu'une chose : Rufus – le père de Sohane – ne veut pas de lui sur le trône et a déjà prévu sa mort.

Isayah décède et voilà que quelques semaines plus tard, le seul objectif de Rufus Kihara est de se débarrasser du dernier membre de sa famille.

Le loup des donjons était-il vraiment un cadeau de nos assaillants ?

— Ils sont dans la plus grande suite, au fond du couloir, m'informe-t-elle.

— Eh bien, tant mieux pour eux.

— Ne me fait pas croire que tu as passé les dix dernières minutes à dévisager cet escalier parce que t'es content pour eux, se plaint-elle.

Je hausse les épaules, refusant de l'affronter.

            — Tu penses que je m'en réjouis plus ? Tara doit passer sa nuit à tenir le feu éveillé et les servir quand ils le demandent comme si c'était une chienne.

            Les principes bancals et l'intériorisation de la soumission féminine de ce pays me font soupirer de désespoir. Je ne peux rien y faire et c'est bien ce qui me désole.

            Ce n'est qu'après quelques longues minutes que je prends conscience du silence plombant. Plus personne n'abrite l'auberge, ils ont tous déserté les lieux. Je détaille Raven, dont le regard colérique demeure figé vers l'étage.

            — Pourquoi t'es pas avec les autres ? l'interrogé-je.

            — Ils sont dans les eaux thermales. Dois-je te rappeler que si je me déshabille devant eux, je signe mon arrêt de mort ?

            Face à sa mine abattue, je garde le silence. Elle me donne souvent cette impression de refouler ses émotions au fond d'elle, pourtant, lorsque je lui fais comprendre qu'elle est libre de se livrer, elle se renferme. J'espère que Tara est plus convaincante que moi.

            On demeure figés comme deux idiots, jusqu'à ce que je propose :

            — Tu veux pas aller voir ce qui se passe ?

            — T'as qu'à y aller toi. Ce que fait le prince quand il est dans un lit ne m'intéresse pas, se défend-elle.

            Mes joues s'empourprent la seconde qui suit, et j'empêche mon esprit de poser une image sur ces mots.

            — C'est pas ce que je voulais dire, paniqué-je. Ça ne m'intéresse pas non plus.

            Ses yeux noisette roulent sous ses paupières pendant qu'elle replace des mèches rebelles qui lui masquent la vue. À l'observer de si près, je réalise que je n'avais jamais pris connaissance de la tâche de naissance brunâtre qui longe sa mâchoire. Je comprends mieux pourquoi Tara a développé une obsession pour sa joue, et passe son temps à la tracer de l'index.

            — Un problème ? s'agace-t-elle, alors que je la dévisage.

            Je secoue la tête. Au même instant, l'aubergiste se présente face à nous.

            — Je cherche le prénommé Aimé Gahéris.

            — En personne, rétorque Raven en me pointant du doigt.

            — Le prince vous réclame.

            Je le suis sans un mot ni une pensée à l'égard de la demande de Sohane. Il monte l'escalier et s'enfonce dans le couloir jusqu'à la chambre finale. Son poing s'écrase de nombreuses fois contre le bois de la porte, et ne touche la poignée que lorsque Sohane lui indique de le faire d'une voix rauque.

            Tara est debout devant l'entrée de la chambre, patientant qu'on réclame ses services.

            L'aubergiste n'entre pas, et je me retrouve dans l'embrasure de la porte.

            — Tu comptes les mouches ? demande le prince d'un ton insolent qui m'évoque des envies de meurtre.

            En entrant, de même que le jour où une intendante se chargeait de nous vêtir dans cette pièce étroite, mon diaphragme se contracte. Je profite de fermer la porte au nez de l'aubergiste et de Tara pour calmer mon rythme cardiaque.

Sohane est assis au bord du matelas, la taille uniquement entourée d'une serviette blanche. Une odeur florale qui me rappelle le magenta s'évade de son corps, et des gouttes s'écoulent de ses mèches noires. Il vient de se laver.

            Je zieute la pièce, mais aucune trace d'une aristocrate aux longues boucles blondes.

            — Si c'est Beth que tu cherches, elle se nettoie, m'informe-t-il.

            Il s'est peut-être résigné au fait qu'il devait l'épouser, mais il ne me fera pas croire qu'il en a plus envie qu'hier.

            — Pudique même avec ta future femme ?

            — Chaque chose en son temps, se justifie-t-il, le regard froid.

            Il utilise une seconde serviette pour frotter ses cheveux et, rattrapé par l'impatience, finit par les secouer pour les sécher. Ce geste si commun m'arrache un sourire. Dans cette accoutumance, et agissant comme tout autre homme, il est loin du prince plein de manières et d'arrogance.

            — La douche commune, non. Mais le lit nuptial, oui ? conclus-je.

            — Es-tu là pour dresser un interrogatoire sur ma vie amoureuse ?

            — Bonne question, j'aimerais bien savoir pourquoi je suis là.

            Il reçoit son front sur sa main, exaspéré. Lui qui ne laisse jamais une émotion se faire apparente, il m'a l'air bien épuisé. De légères cernes se forment sous ses yeux dorés, et son regard tombe tant il n'aspire qu'au sommeil. A-t-il dormi ces dernières nuits ?

            D'un mouvement de tête autoritaire, il m'indique de m'approcher. Seul le halo de la lampe à huile éclaire la pièce, et embaume l'espace d'une atmosphère intime, étroite et étouffante. Je me présente à quelques centimètres de lui lorsqu'il se dresse sur ses pieds. Soudain contraint de lever les yeux, je me renfrogne et contracte ma mâchoire. D'une voix discrète, il explique :

            — Je suis coincé ici jusqu'à demain matin. On reprend la route dès l'aube, mais d'ici là, il faut que tu veilles à ce qu'aucun passage ne se fasse dans la nuit.

            En tendant l'oreille, je remarque que les soldats sont de retour au rez-de-chaussée, bien que leur attention ne soit portée que sur les boissons alcoolisées qui leur sont offertes. Les rires et les cris se fondent dans le décor, tandis que Sohane claque des doigts pour capturer mon attention.             

— Il y a un problème ?

            — Pas le moindre, dément-il.

            D'un regard mauvais, je le dévisage de la tête aux pieds. Sa fatigue apparente ne trompe personne : quelque chose le tracasse au point que même les heures minimes de sommeil qu'il avait il y a quelques semaines lui soient inaccessibles.

            — Je suis censé être ton bras droit, pas vrai ? T'aider à gérer les crises politiques et les problèmes de guerre. Je sais qu'on aimerait ne rien avoir à faire l'un avec l'autre, concédé-je, mais s'il se passe quelque chose tu dois me le dire.

            Il détourne le regard, cerné.

            — Sohane ? m'enquis-je.

— Ne crois pas que mon père t'a acquitté de ce rôle pour m'aider. Ça lui facilite juste la tâche de te faire passer de général d'armée à futur roi quand je mourrai.

            — Là n'est pas la question.

            Son visage est aussi rigide que ses sentiments lorsqu'il me regarde, décidé à me faire part de ce qui l'obsède tant.

            — Je ne pense pas que tu sois stupide au point de ne pas avoir remarqué qu'on veut ma mort ?

            — En effet, je m'en suis rendu compte.

            Cette mission est pour lui un moyen d'échapper à la cour royale, où il ne sait si les personnes qui l'entourent ne sont là que pour le poignarder dans son dos. Il est évident que le roi ne l'a pas envoyé ici pour revenir en héro, mais au moins ici il n'a pas l'avantage territorial, et Sohane peut être constamment sur ses gardes.

            — Tout ce que mon père peut tirer de moi pour l'instant, ce sont des avantages politiques grâce au mariage. Et tant que le mariage n'est pas honoré, il ne peut rien avoir.

            — Il veut avancer la date, et toi tu fais en sorte de la reculer jusqu'à découvrir lequel de nos soldats est ici pour te tuer ? déduis-je.

            Sohane acquiesce, plus sérieux que jamais.

            — J'ose espérer que le misérable qui veut ma mort a un minimum de jugeotte, et ne viendra pas s'en prendre à moi alors que je dors aux côtés de la future reine.

            — Ton père serait foutu.

            — Et ça me ferait bien plaisir, mais j'aimerais autant rester en vie, admet-il.

            Je lui offre un sourire amusé sans parvenir à m'en empêcher, quant à lui, ses lèvres ne s'étirent que parce qu'il mord ses joues de l'intérieur dans l'espoir de refouler le sien.

            Le claquement de porte nous arrache tous les deux à cet instant de silence et de contemplation mutuel.

            Une jeune femme à la chevelure dorée se tient debout au fond de la chambre, tout juste sortie de l'eau. Son corps est encore humide, et à l'instar de Sohane, uniquement enveloppé d'une serviette qui s'arrête au-dessus de sa poitrine.

            — Dame Beth, la salué-je d'un hochement de tête respectueux.

            Elle me répond de la même manière, avant que je n'indique mon départ à Sohane. Celui-ci me retient par le poignet quand j'espère dépasser l'encadrement de la porte sans ciller. Je me retourne.

            — Peut-être que cette erreur me sera fatale, mais tu es le seul ici que je ne soupçonne pas d'être allié à mon père, alors aide-moi rien que le temps d'une soirée, murmure-t-il.

            J'ignore les battements de mon cœur qui s'affolent sous ma poitrine, et hoche la tête.

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