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𝓐imé
❦
Il m'arrive de me remémorer les moments de bonheur partagés avec ma mère. Ceux dont l'absence de mon père laissait soupeser un sentiment d'inachevé. À l'époque, il était à l'origine de ma constante impression de solitude.
Mais qu'en est-il aujourd'hui, maintenant qu'il est plus présent et absent que jamais ? Maintenant que je témoigne de ses moindres faits et gestes et que la majorité d'entre eux sont adressés à autrui ? Maintenant que ma mère n'est plus, et qu'il demeure mon seul repère dans ce monde ?
Malgré mes doutes incessants, je m'efforce de garder un semblant de lucidité. Mon unique raison de vivre est d'offrir sécurité, prospérité, justice et paix à mon pays – ou du moins aux méritants. Pour ma mère. Pour mes frères : Adonis, Iáson et Adam. Pour l'honneur bafoué de notre famille et celle de milliers d'innocents.
Pourtant, je n'ai aucune idée de la façon dont procéder, si je suis incapable de supporter la vue du sang. Erèbe prétend que ce n'est qu'une phase, et que je me familiariserai à cette odeur infâme qui plane. Celle du néant, qui apparaît dès lors qu'une vie est arrachée. Cependant je sais que jamais je ne pourrai m'accommoder à ces hurlements de détresse, si semblables à ceux qui hantent mes nuits. Enfin si c'est le cas un jour, cela signifiera que je ne suis plus celui que j'étais, et que la vie m'a fait devenir comme ceux que je méprisais.
Je lance un regard discret en direction de Erèbe, dont l'esprit divague depuis l'infirmerie. Il est incapable de m'adresser un mot et cela devient pesant. Accoudé sur la table de bois isolée dans un coin de l'auberge, il revêt la même expression impénétrable qu'il avait le jour où je l'ai rencontré. Je ne sais plus ce que je suis supposé dire ou faire, ne le connaissant que d'apparence. Je relève les ondulations blondes qui couvrent ses paupières afin de capter son regard, mais il se décale sans se préoccuper de moi, tourmenté par ses pensées.
— Il y a un problème ?
Aucune réponse.
Alors que je tente d'étouffer le malaise plombant derrière une gorgée de bière bon marché, mon attention est attirée par la porte d'entrée qui s'ouvre en grand. Le large gabarit de mon père peine à s'insérer entre les battants, et la déception ne m'atteint même plus lorsque je le vois chercher du regard une personne qui n'est pas moi. Il s'approche de Sohane, dont la présence auprès du feu m'avait échappé, et se courbe pour atteindre son oreille.
Sohane était seul, comme à son habitude. Quant à l'arrivée de mon père, elle ne lui fait ni chaud ni froid. Je le déteste de banaliser ce que je désire depuis toujours.
Sohane ne cille pas à l'entente de ce que mon père récite par automatisme. Je vois ses iris noirs refléter les flammes orangées du feu, tandis que la braise s'échoue dans ses mèches noires sans qu'il ne s'en aperçoive. J'ai envie d'y plonger ma main et de remuer ses cheveux jusqu'à ce qu'elles glissent au sol. De compresser mes paumes sur ses joues et de l'obliger à montrer un minimum d'intérêt au seul homme qui le soutient.
Il se contente de se relever et traverser les portes d'entrée sans hésitation. Mon père s'apprête à le suivre, cela-dit il n'est pas aussi assuré que son petit protégé. Ses pas se font indécis et plus lents à mesure qu'il approche la sortie. Puis, sans que je ne m'y attende, il se retourne et plante ses yeux dans les miens. Je m'étonne qu'il connaisse ma position à la perfection. Peut-être qu'au final – contre toute attente – il me porte plus d'attention qu'il n'y paraît... et voilà que je m'affuble de nouveau d'illusions à la moindre preuve d'affection.
— Aimé, m'interpelle-t-il, en m'incitant à le rejoindre d'un mouvement du menton.
Je fais basse figure sous les murmures qui se fraient un chemin jusqu'à mes tympans. Mon géniteur est même parvenu à attirer l'attention de Erèbe, dont les lèvres s'entrouvrent d'incompréhension tandis que son regard jongle de moi à Arès. J'esquisse un léger sourire en direction de mon compagnon, dont les yeux vitreux me compriment la poitrine, avant de lui tourner le dos pour de bon. Les soldats spéculent à mon égard, mais rien n'est suffisant pour m'empêcher de rejoindre mon père, les épaules droites. Il glisse son bras dans mon dos, sa chaleur irradiant mon cœur d'un sentiment qui me fait autant de mal que de bien.
Je m'efforce de ne rien laisser paraître, pourtant je sais que cette simple attention pourrait me faire fondre en larmes. Il m'est de plus en plus difficile de cerner ses émotions. S'il ne consacre pas sa journée à Sohane, alors il est avec le roi. S'il ne m'évite pas à longueur de temps, c'est que la culpabilité lui est trop lourde à supporter. Et enfin, il m'accorde un centième de son attention dans un temps imparti. Pourtant je reste là, tel un clébard, à patienter en attendant qu'il s'occupe de moi.
Les pieds hors de l'auberge, j'aperçois la silhouette de Sohane, étreinte par l'obscurité. Mon géniteur s'écarte de moi pour ouvrir la marche, et j'ignore le froid béant que la distance laisse.
— Sa présence était-elle vraiment nécessaire ? se lamente Sohane.
— Autant que la tienne, répond mon père.
— En quoi ? Ce n'est qu'un expatrié qui se croit à sa place au sein de la noblesse.
— Tu as tendance à oublier qu'il est aussi mon fils.
— Ça vous fait un point commun, commenté-je.
Ma remarque jette un froid au cœur de la discussion, et je mentirais si je disais que je n'en suis guère satisfait. Je préfèrerais ne pas accentuer les dégâts de notre relation père-fils, vaine depuis toujours, or il s'agit bien là de la seule façon de capter son attention.
— La cérémonie a déjà dû débuter, annonce mon père, changeant de sujet. Vous devez hâter votre préparation.
Je lance une œillade perdue en direction de Sohane, dans l'espoir d'être éclairé par la moindre de ses réactions. Savoir s'il est aussi égaré que je le suis. Mais je ne tire rien de ses yeux sombres, plantés dans le décor qui s'étend face à lui. Les mètres nous séparant du palais s'amoindrissent, cela-dit je ne suis pas plus informé quant aux évènements à venir. Le brouhaha et les lumières décuplées qui émanent des vitraux ornant les murs du palais commencent à m'angoisser. J'entends une symphonie de violons mêlée aux harpes englober les salles, et des conversations dépourvues de sens s'y ajoutent.
La façade extérieure du palais est aussi dorée que l'était la terre qui encerclait ma maison, à l'heure du coucher de soleil. J'inspire profondément pour oublier ce petit pincement au cœur qui impacte mon humeur.
— Serait-il possible de savoir ce que je fiche ici ? m'excédé-je, lassé de les suivre comme si de rien n'était.
Mon géniteur s'arrête aux confins du couloir principal, me jaugeant d'un regard perplexe.
— Le roi organise une soirée dansante dans le but de consolider les liens politiques qu'il entretient avec les régents des villes voisines, explique-t-il. C'est fréquent, je pensais que tu étais au courant, mais tous les nobles habitant le palais y sont conviés.
— Je n'ai jamais habité ce palais, Arès. Excuse-moi de ne pas être à jour sur toutes vos soirées dégustation de thé entre aristocrates.
— Désormais, si. Et puis, cette soirée ne peut que te faire du bien, tu dois te faire connaître de la noblesse sous un autre jour. Ta première impression n'était pas la meilleure, Aimé, me rappelle-t-il.
J'admets qu'interrompre une cérémonie royale, durant le discours du roi, n'a pas été la manière la plus avantageuse d'être introduit auprès de l'aristocratie. Pour autant, je ne conçois aucun moyen de sympathiser avec eux. D'autant plus que je ne vois pas comment ils pourraient avoir envie de me côtoyer, après que je me sois accroché à eux, au point de maculer leur revêtement.
Sohane est interpellé par une hétaïre venant de l'autre extrémité du couloir, et alors qu'il entreprend de la suivre, mon père lui ordonne de m'accorder les mêmes services. Je ne pense pas que mon nom justifie des faveurs égales à celles d'un prince, mais je m'y accommode malgré mon malaise. Mon allure s'accorde à celle de Sohane, à mesure qu'on délaisse mon père.
— Je peine de constater que tu n'es pas mort avant même que la première épreuve ne démarre, s'exclame Sohane, faisant référence à ses prédictions passées.
Je ne prends même pas la peine de lui répondre, excédé par son comportement.
— Cela-dit, ça aurait été le cas, sans l'existence de ton camarade.
Cette fois, une rage sourde s'éveille en moi. Comment peut-il évoquer le sujet de Erèbe avec une telle désinvolture, tout en ayant la mort de son meilleur ami sur la conscience ? Ne se sent-il pas un minimum coupable ? Chaque individu connaissant le prince cadet Sohane Kihara affirme que ce n'est qu'un assassin sans cœur, et j'ai beau abhorrer les rumeurs non fondées, il ne fait rien pour démontrer le contraire.
La servante nous fait entrer dans une pièce étroite.
— Il faudrait que cet agraire se consacre à sa propre survie, au lieu de mener un combat perdu d'avance à vouloir te sauver.
S'il s'est aperçu de l'aide que j'ai reçue de la part de Erèbe, c'est qu'il n'a pu s'empêcher de me porter attention durant l'épreuve. Bien que ce soit minime en comparaison avec son insolence, je ne manque pas de le lui faire remarquer.
— Et il faudrait que tu te consacres à la tienne, au lieu de faire de moi ton obsession quotidienne.
Le silence qu'il m'offre me convient. Il se contente de me dévisager, avant de laisser la courtisane lui ôter sa tenue de combat.
Je ne sais plus où me mettre, me sentant subitement à l'étroit au cœur de cette petite pièce destinée à l'entretien d'une seule personne. Mes yeux s'égarent sur chaque parcelle des murs adjacents, car mon cerveau refuse d'en découvrir davantage sur lui et son corps. Une vile odeur de rose embaume la pièce, pourtant je ne sens que l'effluve exhalée par la nudité de Sohane. Claustré, je regrette de n'avoir rien à dire pour paraître inatteignable, quand mes paumes de mains deviennent moites sans raison. Mon genou remue dans le vide, comme si j'attendais une nouvelle irréfutable.
— Serait-ce un tel supplice, de regarder un corps qui te révulse au plus haut point ? souffle-t-il.
J'observe l'hétaïre, dont les années de formation lui ont appris à préserver une formalité respectable face aux nobles. Elle ne peut me sortir de cette situation compromettante, alors qu'elle n'est même pas autorisée à nous adresser la parole. Ses mains s'attèlent à la tâche qui lui est confiée, tandis que les miennes s'enfoncent dans la peau de mes cuisses.
— Bien plus que tu ne le crois, réponds-je, tourmenté. Je n'en dormirais plus la nuit.
Je sens qu'il hésite à ajouter quelque chose, bien que je ne puisse l'affirmer par faute d'observation. Le silence reprend ses droits dès lors que vient mon tour.
J'aurais pensé que quand sa préparation viendrait à son terme, Sohane partirait. Or, mais il demeure assis face à moi. J'aperçois l'ombre de sa silhouette étendre ses bras de part et d'autre du dossier contre lequel il est appuyé. Sa présence me broie et m'écrase.
Les doigts gelés de la courtisane s'insèrent sous mon haut et je résiste à l'envie irrépressible de la repousser. Ma mâchoire se contracte de frustration, incapable d'aller à l'encontre des ordres donnés par mon géniteur, je me plie aux coutumes. Bien que les tenues de Mahr soient devenues une hantise phénoménale, j'accepte de supporter les tissus fins ornés de broderies qui me collent à la peau. Je tente d'étirer la tunique, conçue pour s'arrêter au-dessus de mon nombril, cependant je suis interrompu par la courtisane, glissant une chaîne argentée autour de mon abdomen. J'en aurais presque oublié que nulle tenue est dépourvue de bijoux métalliques, aussi lourds que du cuivre. Mes avant-bras, mes cuisses, mon cou ainsi que la quasi-totalité de mon corps en sont désormais recouverts.
La pression n'est pas retombée lorsque je tente un coup d'œil en direction de Sohane. De son côté, il ne se gêne pas pour me détailler de la tête aux pieds, ses yeux longeant les mains de la servante lors du moindre mouvement effectué contre mon torse. Elle s'attèle à nouer les attaches des bijoux le long de mon corps, pendant que Sohane contemple l'assemblage. Je me demande s'il m'observe depuis le début, alors que ma propre nudité m'empêchait d'assumer le regard de la femme chargée de me changer.
— J'espère que tu parviendras à dormir cette nuit, le nargué-je, conscient que ce n'est pas le dégoût qui monopolise son attention sur mon corps.
Ses épaules et son regard se redressent simultanément, me surplombant de leur aura naturelle. Il appuie ses coudes sur ses genoux et rapproche tant son nez du mien que j'en baisse les yeux. Pour seule réponse, il se contente de poursuivre son observation silencieuse, les paupières arquées à la vue du métal qui enrobe mon torse.
— Ça t'amuse ? l'interrogé-je.
— Aussi étonnant que cela puisse paraître, beaucoup oui, affirme-t-il avec sérieux, bien qu'un sourire ne puisse que se deviner aux coins de ses lèvres.
Je n'ai jamais concédé au port des costumes de ce pays, alors je peux concevoir que me voir affublé de telles superficialités puisse être distrayant. Pour autant, l'observer briser une certaine barrière en m'offrant un demi-sourire est ce qu'il y a de plus distrayant en cet instant. Il ne s'éternise pas plus de quelques secondes, mais cela suffit pour laisser éclore dans mon esprit, l'idée qu'il puisse y avoir quelque chose de bon derrière ces couches d'animosité.
— On devrait y aller, suggéré-je, alors qu'il ouvre déjà la porte, tombant nez à nez avec mon père.
— Le roi tient à te parler, lui annonce celui-ci.
— Sait-il seulement que j'ai survécu aux épreuves ? rétorque Sohane.
J'ai l'amère impression d'apercevoir mes réactions à travers les siennes. Il faut croire que nos relations avec nos pères respectifs ne divergent pas tant que ça.
— Il en a été informé, oui.
Sohane acquiesce, les lèvres pincées par l'amertume, et déserte le couloir sans un mot. Quant à moi, je déduis que si je ne veux pas me retrouver esseulé dans les allées du palais, je ferais mieux de suivre mon géniteur. Lorsque j'arrive à son niveau, il se permet de m'analyser.
— Ça te va bien.
— Je sais, réponds-je.
— Tu ressembles à Iáson.
Voilà la raison pour laquelle j'obtiens un compliment de sa part : j'acquiers peu à peu le physique de l'enfant qu'il aurait voulu à ses côtés. Il voit son fils favori à travers moi, et c'est encore plus blessant que de l'observer chérir Sohane comme tel.
— Seulement d'extérieur, lui rappelé-je.
L'irritation me pousse à trouver mon chemin par moi-même. Je navigue entre les colonnes triomphales et les escaliers de pierre, fuyant mon père comme la peste.
Accueilli par l'ambiance festive et chaleureuse de la plus grande salle du palais, je m'adonne à la contemplation des tapisseries et des draperies qui recouvrent les murs. Les centaines de chandeliers illuminent les musiciens encerclant la zone réservée aux danses, où les individus échangent de partenaire à chaque mouvement successif. J'ai beau critiquer l'aigreur de Mahr, je dois admettre qu'en ce lieu, on ne peut espérer plus fervent.
Mon accoutumance me permet d'intégrer la foule sans attirer l'œil. Je m'infiltre entre les longues robes somptueuses qui traînent au sol, jusqu'à ce qu'une main ornée de bagues s'empare de mon épaule. Les cheveux bruns et soyeux qui frôlent ses épaules m'informent immédiatement de l'identité de l'inconnu.
— Prince Isayah, le salué-je, courbant mon dos pour l'honorer.
— Aimé, répond-il, imitant mon geste.
La panique s'ensuit alors qu'on me dévisage aux alentours, réalisant que le prince respecté vient de me faire une révérence. Je m'empresse de lui faire savoir qu'il n'a pas à me faire don d'un tel honneur, bien qu'il n'écoute rien de ce que j'ai à lui dire. Il se consacre à me présenter aux nombreux invités et à engager une conversation sans grand intérêt, dont je me lasse rapidement. Au final, lui aussi est si esseulé qu'il se satisfait de la moindre interaction. C'est pourquoi il ne peut se résoudre à me laisser m'échapper, malgré les dizaines d'inconnus qui se jettent à ses pieds.
Notre proximité me gratifie d'une vue plongeante sur son visage et les nombreux traits qu'il a en commun avec son frère. Cela-dit, il n'a rien d'intriguant. Tout ce qu'il y a à savoir de lui se trouve à la surface, à l'inverse de Sohane. Il a beau être cultivé, informé sur la situation politique du palais, et obéissant, je ne tire aucune satisfaction de notre échange. J'ai l'impression de converser avec une bête domestique, dressée dans l'unique objectif de complaire à son maître.
Mes interactions brutales avec son frère me manqueraient presque.
Lors d'un échange de trop, mon attention divague en direction du trône déserté par le roi. Celui-ci se trouve au sommet des marches, en compagnie de Sohane, tous deux enténébrés par l'ombre d'un rideau. Leur discussion est agitée et régie par l'aigreur et le dégoût. Ma curiosité est exacerbée par la gifle que reçoit Sohane, à l'instar d'Isayah et d'une majorité des invités. Il ne cille pas malgré la douleur apparente, conscient qu'il subit une humiliation publique, comme s'il y avait été habitué toute sa vie. Cela-dit, son regard noir reflète la rage qu'il amasse chaque jour.
— Je t'avais parlé de son mariage arrangé, intervient Isayah. Ce soir, il doit consacrer sa soirée à sa future épouse.
— Ça n'a pas l'air de le réjouir.
— C'est sûr, il n'en a aucune envie.
— Pourquoi l'obliger ?
— Je n'ai pas eu le choix non plus, admet-il, mais je me suis plié aux conditions de notre père. Sohane ne sait pas faire la différence entre contrainte et responsabilité.
Est-il réellement de sa responsabilité d'assurer des liens politiques qui étouffent des actes aussi offensants que des agressions sexuelles ? Je conçois que voir sa vie être dirigée par autrui puisse être en partie responsable de sa fureur, mais est-ce une raison valable pour nuire à celle des autres ?
— Ne peut-il pas au moins choisir la personne qu'il aime ? demandé-je, conscient que seul Isayah m'entend.
Celui-ci me dévisage, l'air hébété par mes paroles.
— Tu es bien la première personne à prendre son parti, affirme-t-il.
— Je ne prends pas son parti, je le comprends.
— Pour répondre à ta question : non. En tant qu'enfant cadet du roi, Sohane ne peut considérer que sa vie lui appartient. Elle appartient à la vie royale et ne doit que lui bénéficier. Tout comme la mienne.
— Il ne mérite pas mieux, mais c'est triste.
Je sens son jugement peser sur mes épaules, et le temps de réflexion qui lui est nécessaire pour ériger sa réponse le confirme bien.
— J'ai un avis partagé sur toi : soit tu seras bénéfique au bonheur de mon frère, soit tu contribueras à son mal-être. Ce qui est sûr, c'est qu'il attise ta curiosité, et que tu attises la sienne.
Pour la énième fois, je jette un coup d'œil dans sa direction, et remarque qu'il me fixe déjà du haut des marches qui nous séparent. Bien que ça me coûte de l'admettre, Erèbe avait raison : je le regarde.
Je le regarde beaucoup.
Mais il en est de même pour lui, n'est-ce pas ?
— Reste à savoir si c'est nocif ou non.
J'entends les mots de mon camarade se refléter à travers ceux d'Isayah, même si la réponse me semble évidente. L'obsession que j'ai développée envers Sohane n'est que malsaine. Je l'abhorre et c'est tout.
— Mon petit frère est détestable et c'est tout à fait justifiable. Mais si tu en as l'occasion, apprends à le connaître, Aimé. Il n'est pas vraiment mauvais.
— Navré de vous décevoir, mais ça ne risque pas d'arriver. Je serais le premier à me réjouir de sa mort.
Un sourire triste s'esquisse sur son visage, tandis qu'il me tend la main à l'instant où les musiciens se remettent à jouer. J'aperçois les couples reprendre leur valse au centre de la salle, joints par Sohane et sa partenaire. Je ne remarque que les boucles blondes qui perlent jusqu'à ses cuisses, blottie entre les bras du prince cadet. À ma grande surprise, Isayah m'entraîne à leurs côtés, m'incitant à suivre ses pas sur le rythme de la musique. On ne peut trouver plus maladroit que moi. Je n'ai jamais appris à danser, encore moins avec un prince. Je m'efforce de minimiser mes faux-pas, conscient des murmures qui circulent à mon propos.
C'est compréhensible, après tout, malgré mon identité méconnue du public, je danse main dans la main avec le prince héritier du trône.
Pourtant, ce n'est pas lui qui capte mon regard.
— Il ne le sait pas, mais j'admire mon frère, avoue Isayah contre mon oreille.
Ses mots s'échouent sur ma peau. Peu réceptif, je ne prête pas attention à ses paroles, alors qu'elles concernent l'unique personne que j'observe depuis un quart d'heure. Un duel de regard interminable s'éternise entre Sohane et moi. Au moindre pas de travers que j'effectue, je sens ses yeux sombres peser sur les mains de son frère, agrippées à mes hanches. Les miens sont annexés par l'étreinte fusionnelle entre les futurs mariés. Enfin, d'apparence, puisque Sohane a reçu une gifle pour y échapper, il y a quelques minutes de ça.
C'est un excellent comédien.
— Cette danse en ta compagnie est la première chose que je fais qui aille à l'encontre des règles. Parfois, j'aimerais avoir le cran de désobéir comme il le fait.
Je marmonne une réponse intelligible, fasciné par l'intensité de l'échange visuel que j'ai avec son cadet. Sohane fronce les sourcils en scrutant le nez de son frère frôler ma joue, ne faisant alors que confirmer une chose : Sohane jalouse l'intérêt que me porte Isayah. Aucune note ne me convainc de baisser les yeux, hormis celle qui annonce la fin de la danse. Je salue mon partenaire d'une révérence distinguée, les sens soudainement en alerte.
Je ne souhaite que prendre la fuite, mais je n'ai pas l'occasion de me redresser, la vue brouillée par une aura carminée. La fumée. Le monde s'arrête de tourner autour de moi, et je suis incapable d'entendre quoique ce soit d'autre que la vitesse à laquelle mon cœur bat.
Je n'aurais jamais imaginé que la situation pourrait se dégrader à ce point en une fraction de seconde. Tout ce que je saisis, ce sont les menaces de prévention qui m'éclatent les tympans, accompagnées d'une pression contre mon abdomen.
La mort ne me quittera jamais, où que je sois.
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Letsgoooo
On en parler sur insta my loves
@__malyana
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