13
𝓢ohane
❦
Je suis entré dans la salle de réception depuis presque une heure, à la recherche de quelque chose que je n'ai jamais trouvée. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je peine à trouver la paix. Je bouge, je tremble, j'avale ma salive et je jette des regards sur chaque personne qui me passe devant. Rien n'y fait, je croule de malaise.
J'aurais dû me douter qu'un dîner en mon honneur, serait la parfaite occasion de bien s'habiller et de créer des liens avec les autres. Ça n'a rien à voir avec moi, ils sont là pour leurs intérêts et je les comprends. Oui, chacun pense à sa propre personne, mais dans ce cas, s'ils se fichent de moi, alors qu'ils le fassent jusqu'au bout. Leurs coups d'œil occasionnels me tétanisent. Je suis seul, au pied de l'escalier, essayant de me fondre dans l'ombre de la balustrade, comme je le faisais si souvent quand j'étais enfant. Sauf que cette fois, ce n'est pas pour me cacher de mon père et de ses invités, mais des miens. Enfin, ceux qui prétendent être là pour moi.
Je doute qu'ils prennent la peine de prononcer ne serait-ce qu'une parole à mon sujet, sans parler d'une annonce en mon honneur. Plus je marche, plus je réalise que mon nom n'a jamais été aussi insignifiant.
Un noble me sort de mes pensées en me bousculant sans la moindre précaution. Il ne prend pas la peine de s'excuser, continuant sa conversation avec sa compagne, dont les cheveux bruns sont relevés avec soin, comme si je n'étais qu'un obstacle sur son chemin. Elle le retient et murmure :
— Ce n'était pas l'ancien prince ?
— Qu'est-ce que ça peut bien me faire ? rétorque-t-il, indifférent.
La jeune femme, sans même me jeter un regard, replace une boucle derrière son oreille, avant de chuchoter à son conjoint :
— Il vaut mieux éviter de le toucher.
Vraiment ?
On en est encore là ?
Déjà que je ne me sens pas à ma place, voilà que la honte s'ajoute à mon fardeau. Il n'y a rien ici pour moi, juste des regards hostiles, des murmures acérés. Chaque mouvement que je fais semble être une offense.
Je cherche une sortie, n'importe quoi pour fuir cette oppression silencieuse, mais quand je lève les yeux vers les escaliers, une silhouette familière se dessine au sommet. Une silhouette que je ne peux ignorer.
Ça me tue d'admettre que je retiens un soupir de soulagement quand Aimé passe les portes de la salle de réception. Ce n'est pas que je suis au bord de l'arrêt cardiaque quand il n'est pas là, c'est juste que depuis mon retour entre ces murs, il est tout ce qui me semble familier.
Au milieu de la salle, dont les hauts plafonds sont ornés de fresques dorées et de lustres qui me donnent la nausée, je retiens mon souffle. La lumière chaude, reflétée par les murs tapissés de velours pourpre, embrase son teint lorsqu'il pose sa main sur la rambarde de l'escalier. Son regard est glacial, il ne se préoccupe ni des commentaires qu'il éveille parmi les nobles, ni des regards avides qui s'arriment à lui à mesure qu'il descend les marches larges, flanquées de balustrades sculptées en bois d'ébène. L'escalier s'élève en une seule montée centrale avant de se diviser en deux ailes symétriques qui se courbent vers la gauche et la droite.
Il descend les premières marches avec une grâce mesurée, parcourant l'assemblée d'un regard perçant. Le roi s'arrête un instant à l'endroit où l'escalier se divise et domine la scène, avant de poursuivre sa descente.
Ses jambes sont drapées d'un pantalon en lin, mais son torse est à découvert. Il n'y a que la pointe d'un morceau de voile qui effleure son sternum et monopolise mon attention, aussi bien que celle de tous les autres invités.
Lorsqu'il atteint la dernière marche et me passe devant comme si je n'existais pas pour rejoindre la table des hauts-gradés, ma poitrine se serre. C'est tout ce que je lui demande : se tenir loin de moi et épargner mon cœur. Mais, il y a une différence entre le dire et le vivre.
Il s'installe sur le fauteuil le plus extravagant, en bout de table, entre celui d'Arsën et de mon père, tandis que je prends place juste en face de lui. J'ai le temps de me servir une assiette à laquelle je ne touche presque pas, et de remplir trois fois mon verre de vin, sans qu'il ne m'adresse l'ombre d'un regard. Je me revois des années en arrière, assis en face de mon père, à implorer son attention, pendant qu'il converse avec Isayah à propos de leurs futurs projets. Ce soir, Isayah n'est plus là, pourtant je n'existe toujours pas.
Il est à tomber.
Magnifique, imposant, confiant.
Ça me tue d'avouer que la couronne qui recouvre son crâne lui va à merveille et que je ne me vois même plus la lui ôter.
Je découpe un morceau de la tranche de cygne qui repose au milieu de mon assiette, sans pour autant le porter à mes lèvres. Tout ce que je veux, c'est éviter de montrer que mon regard est irrémédiablement attiré par lui. Pourtant, j'ai l'impression que chaque membre du conseil autour de cette table me méprise pour cette raison. Comme si j'incarnais l'ancien prince héritier, novice et crédule, obsédé par le nouveau roi au point de l'observer sans relâche, même au milieu d'un banquet qui m'est destiné.
Ma fourchette grince contre mon assiette.
Sans parler du tumulte incessant qui émane de la table, avec des discussions qui fusent de toutes parts sans que je puisse y participer, celle qui m'agace le plus est juste en face de moi. Arsën se penche vers Aimé et glisse des mots à son oreille. Ça n'en finit pas, ils échangent sous mes yeux pendant une vingtaine de minutes durant lesquelles Aimé ne cesse de toucher sa cicatrice à l'œil.
La frustration me crispe les muscles, et je finis par pousser mon assiette intacte au centre de la table avant de quitter ma place. Mon regard balaye la pièce à la recherche de Casey, que je trouve appuyé contre le buffet, en train de faire la cour à une jeune noble du royaume.
— Navré, madame, mais l'objet de mon intérêt est de retour, je vais devoir vous laisser, souffle-t-il dans un grand sourire en lui adressant une révérence.
Je m'appuie à ses côtés, dos au buffet, un verre de vin entre mes doigts tendus.
— Alors, qu'est-ce qui te contrarie ?
Le liquide me brûle la trachée lorsque je le porte à mes lèvres.
— Je vois, c'est si traumatisant que ça.
Il se sert lui aussi un verre et en profite pour remplir le mien, avant de les faire entrer en collision.
— À la tienne, et à ton retour sur tes terres natales.
Sa remarque m'amuse l'espace d'un instant, mais je n'ai pas la foi de lui répondre. Je crois qu'à part lui, tout le monde semble l'oublier. Oublier le fait que je n'ai pas vu mon pays depuis deux ans. Que je n'ai pas pu me recueillir sur la tombe de ma mère, ni sur celle de mon frère. Et que je n'ai pas vu la lumière du jour pendant plus de vingt-quatre foutus mois.
— Serait-ce un sourire que je perçois sur votre visage, monsieur Kihara ?
Je lève les yeux au ciel tout en buvant une nouvelle gorgée.
— Bon, tu comptes me dire ce que t'as ?
Non.
Je ne peux pas lui dire que ça me tend de savoir qu'Aimé peut être assis en face de moi sans jamais me porter la moindre attention. Ni que mon corps bout de jalousie à l'idée qu'il puisse rire à tout ce que son second lui dit au point d'oublier qu'il a organisé ce dîner pour moi. Je peux encore moins lui dire qu'au fond, j'espère qu'il dit la vérité, quand il affirme avoir été détruit par mon absence, parce que je n'arrive pas à le voir à travers ses actes.
Ça manque déjà de sens dans ma tête, alors à l'oral...
— Je suis sûr que je l'ai déjà vu quelque part, grogné-je.
— Qui donc ?
— Son foutu bras-droit.
— Arsën ? Il devait travailler au palais quand tu y étais.
Arsën éclate de rire à une remarque d'Aimé et lui tape l'épaule. Mais maintenant que je m'en suis rendu compte, l'idée qu'il ne m'est pas inconnu ne sort plus de ma tête.
— Sûrement.
Casey me tire hors de mes pensées en se plaçant entre moi et leur table.
— Et si on allait faire un tour ? s'exclame-t-il en me saisissant par les épaules.
— Ça suffit, Casey, rétorqué-je, alors que son geste brusque me fait renverser le contenu de mon verre.
Le vin imprègne le tissu de ma tenue et glisse le long de mon torse. Je me sens sale, collant et les larmes me montent aux yeux. Je déteste toute cette situation. Je déteste ne pas être considéré par le seul qui me donnait encore de l'espoir, être humilié devant l'assemblée qui me méprise, sentir mon corps être engouffré par la honte et la culpabilité.
Je les déteste tous, je me déteste moi.
Je prends une grande inspiration, les yeux clos, mais lorsque Casey frotte une serviette de table sur mon ventre, je perds patience. Je saisis son poignet et le repousse, avant de tourner les talons.
— Attends, laisse-moi t'aider !
Ignorant sa requête, je m'éclipse de la salle de réception par les portes arrière. Le palais est silencieux et sombre, tout comme l'intérieur de ma tête, si on ignore les milliers de voix qui hurlent en permanence. Je me dépêche d'arracher le haut qui colle à mon corps comme des mains qui glissent le long de mon abdomen pour se resserrer autour de mon cou. Torse nu au milieu du couloir, je m'appuie contre chaque paroi, titubant comme un animal blessé à chaque pas que je fais.
Ma vie est misérable.
Tous les choix que j'ai fait, toutes les décisions que j'ai prises m'ont amené ici.
J'ai échoué, maman.
Je ne suis jamais devenu quelqu'un, je suis toujours resté l'enfant pitoyable qui pleurait à chaudes larmes devant un oiseau mort.
Pardonne-moi, Isayah.
Je ne te ferai jamais honneur.
Je ne redorerai jamais le trône du royaume pour lequel tu t'es démené, pour lequel tu as donné ta vie.
Je m'assois au pied d'un escalier, sur lequel est accrochée une chemise dont je m'empare. Je l'enfile et la boutonne, même si je flotte dedans et qu'elle me donne encore plus froid. Elle sent bon.
Terriblement bon.
C'est agréable de l'avoir autour de moi, elle s'apparente à une étreinte que j'ai chérie plus que tout.
Quand je passe l'encolure sur le bout de mon nez afin de dissimuler les larmes qui strient mes joues, une pointe désagréable me pique la poitrine. Je glisse ma main dans la poche et saisis le morceau de papier froissé. En le dépliant, je reconnais mon écriture et mon cœur tombe à mes pieds. Il s'agit de la dernière page de mon livre, sur laquelle, dans un accès de rage, j'avais inscrit le prénom de celui qui ne me sortait plus de la tête.
Qu'est-ce qu'elle fait là ?
L'a-t-il gardée ?
— Tu t'isoles ? déclare une voix qui ne manque jamais de me faire tressaillir.
Je ne le vois pas, il est engouffré dans la pénombre du palais.
— Je t'ai toujours trouvé plus beau dans mes vêtements.
Ses boucles brunes apparaissent dans l'angle du couloir, tandis qu'il s'approche de moi en douceur.
Évidemment que ça lui appartient.
J'aimerais m'en débarrasser et lui montrer que ça m'importe peu. Que j'aurais enfilé la chemise, qu'elle lui appartienne ou non. Mais je ne veux pas qu'il voie que j'ai pleuré.
— Tu m'as suivi ?
— J'ai toujours un œil sur toi, répond-il.
Je pouffe de rire.
— Ça doit être ça.
Il hausse un sourcil, perplexe, puis me demande :
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Rien, me renfrogné-je, incapable d'admettre que je sais que c'est faux parce que je ne l'ai pas lâché du regard de la soirée.
— Tu penses que je ne fais pas attention à toi ? insiste-t-il.
Je garde le silence, le regard perdu. Je raisonne comme un enfant en manque d'affection, c'est déplorable.
— Je ne serais pas ici, si c'était le cas.
Il a laissé les invités et le reste de la table derrière lui pour me suivre. Il n'a pas hésité à quitter une réception, rien que pour moi, alors que, depuis toujours, mon père me martèle que la présence du roi est essentielle à ce genre d'événement.
Il doit être irréprochable, toujours visible, toujours bien représenté. Aimé a-t-il conscience du rôle qui lui a été confié ?
— Ton sbire, déclare-t-il.
— Qu'est-ce qu'il a ?
Un rictus s'esquisse sur son visage.
— C'est marrant que tu le reconnaisses.
— Aimé, tonné-je.
Il se racle la gorge et poursuit :
— Il est bien tactile.
— Et ?
— Il ne sait pas que tu détestes ça ?
Je hausse les épaules.
— Comment pourrait-il le savoir ? Les deux années qu'on a passées ensemble, on les a vécues de part et d'autre des barreaux.
— Il y a des détails qui ne trompent personne, il n'y a juste pas fait attention.
— Et toi, si, c'est ça ?
Aimé s'assoit à côté de moi sur la première marche de l'escalier. Ses hanches sont trop larges pour qu'on tienne tous les deux, alors je suis obligé de me pousser pour ne pas que ses cuisses me touchent. Il se penche en avant, ses coudes appuyés sur ses genoux, tandis qu'il incline sa tête, les yeux soulignés d'un sourire sincère.
— Sérieusement, Sohane, tu crois qu'il y a quelque chose chez toi, qui m'échappe à moi ?
J'enfonce mon visage sous le tissu de la chemise, pris au dépourvu.
— Sohane, je vais poser ma main sur tes cheveux, me prévient-il alors que je plisse mes paupières, recroquevillé sur moi-même.
Mon cœur bat la chamade, j'appréhende autant que je m'impatiente de sentir ses doigts s'introduire entre mes mèches. En l'absence de réponse, il se rapproche de moi sur la marche. J'entends le froissement de nos vêtements s'effleurer, et ses bagues tinter contre la balustrade à laquelle il s'accroche. Il ne dit pas un mot, se contentant d'expirer de l'air chaud à la naissance de mon cou.
— Je sais que tu as pleuré, et ça me brise le cœur, admet-il à voix basse. Ça me tue.
Pourquoi ?
Pourquoi faut-il qu'il soit aussi doux alors qu'il choisirait de brandir son épée plutôt que de me prendre dans ses bras. Je cligne des yeux, la gorge nouée, tandis qu'il souffle sur mes cils, avant de glisser son pouce dessus. Sa main encadre la moitié de mon visage, de son pouce appuyé sur ma paupière, au reste de ses doigts qui s'amenuisent sous mes cheveux. Mon mal de crâne s'évapore, à mesure qu'il masse mon cuir chevelu. Soudain, à travers le vacarme qui résonne depuis la salle de réception, et sous les chuchotements des courants d'air qui nous entourent, je l'entends souffler deux mots, d'une voix si basse, si muette, que je pense les imaginer.
— Mon amour.
J'ai toujours envie de pleurer quand il est là, c'est insupportable.
Je tourne la tête, même si ça signifie que je dois me priver de son toucher.
C'est pour le mieux.
Je voulais être aimé, je voulais être compris et vu.
Je voulais qu'il m'aime aussi désespérément que je l'aimais. Je ne voulais pas me réveiller chaque jour dans la crainte que ses sentiments aient changé ou qu'il se lasse. Je le voulais d'un amour certain, un amour dont je n'aurais pas à douter jour après jour, heure après heure, comme une obsession malsaine qui rongerait mon esprit et alimenterait ma frénésie. Je voulais qu'il me rende calme, confiant, et il y était parvenu.
Je lui avais donné ma confiance.
Et quand je lui ai dit que je voulais une vie avec lui, que je le choisissais plutôt que mon peuple, il a pris son épée et m'a laissé.
Tu comptais fuir. Fais-le.
J'en suis incapable, désolé.
Tu es exactement comme ton père.
— Tu repenses à ce jour-là, pas vrai ? coupe-t-il.
Tout le vin que j'ai ingéré me monte à la tête au pire moment possible. J'ai envie de vomir, de pleurer, mais je n'en fais rien. Je fais le vide dans mon esprit et fixe le mur, priant pour qu'il s'en aille avant que je ne craque devant lui.
— Je ne me souviens même plus de ce qu'on s'est dit ce matin-là. La querelle, les mots... Ça me semble tellement dérisoire maintenant, comparé à ce que j'ai ressenti en te perdant. Tout ce que j'ai traversé pendant ces deux années... Je t'ai cru mort, Sohane. Rien de ce qu'on a pu dire ce jour-là ne peut justifier toute cette souffrance, confesse-t-il d'un coup, la voix tremblante.
Je laisse échapper un léger souffle, un rire à peine audible, chargé de frustration.
— Pour toi, peut-être que c'était dérisoire. Mais pour moi, c'était tout. Ce n'était pas juste des mots, Aimé, susurré-je, dos à lui. C'était une dernière chance, une dernière opportunité de sauver ce qu'on avait... de nous sauver.
— Ce n'était pas dérisoire à l'époque, rétorque-t-il. Ça le semble aujourd'hui, parce que je ne comprends pas comment j'ai pu laisser ma fierté me pousser à te perdre. Mais à ce moment-là, j'étais aussi partagé que toi.
— Non, tu ne l'étais pas. Tu n'as même pas pris une seconde pour réfléchir à ma proposition. Je l'avais à peine émise que tu l'avais déjà rejetée.
J'ai de plus en plus de mal à reprendre mon souffle, s'il continue, je risque de m'étouffer avec mes propres regrets. Je ne le vois pas, mais je sens son regard chargé de pitié brûler ma nuque et ça me suffit à vouloir disparaître.
— Je pensais que si je gagnais cette guerre, je pourrais revenir vers toi, te protéger, te donner la vie que tu mérites. Je voulais te rendre fier... Je ne savais pas que je te perdrais pour de bon, avoue-t-il.
À bout de nerfs, je lui fais enfin face. Il est toujours assis à mes côtés sur la marche, et lorsque je me tourne vers lui, nos genoux se heurtent. Je contiens ma colère et assène :
— Mais tu ne comprends pas. Tout ce que je voulais, c'était toi. Pas une victoire, pas un palais, pas un titre. Juste toi, vivant, à mes côtés. Je n'avais pas besoin de faire l'expérience de ta mort pour savoir que ça m'aurait anéanti. Je l'avais déjà compris, moi.
Lui dire ce que je ressens demande une force que je ne pensais pas avoir. J'ai toujours eu du mal à exprimer ce que je pense, et je fais de mon mieux pour communiquer avec Aimé en ce moment. J'essaie de toutes mes forces de lui faire comprendre ce que je ressens, mais j'ai l'impression d'y laisser une part de moi. De me trahir.
— Quand je t'ai supplié de partir avec moi, tu m'as tourné le dos. Et maintenant, tu reviens comme si tout pouvait être effacé, comme si ces deux années n'avaient pas existé.
C'est trop dur.
Donnez-moi la force.
— Je suis désolé, murmure-t-il en baissant les yeux. J'étais encore bouleversé par la mort de ma mère à l'époque. Apprendre que tu y avais joué un rôle... ça m'a rendu fou.
— Je n'ai jamais voulu sa mort, Aimé, me sidéré-je. J'étais une victime de mon père, je n'avais rien à lui dire, s'il voulait raser Mahr tout entier, qu'est-ce que j'aurais pu y faire ?
— Rien... admet-il. Tu n'étais qu'un gamin.
— On l'est encore, soufflé-je.
On est encore des gamins.
— La guerre était là, juste sous nos yeux, et j'ai cru... j'ai cru que c'était notre seul choix.
— C'était le mien. Pas le tien, et moi, je t'ai quand même choisi. Je t'avais tout donné, Aimé.
Ma confiance, mon amour, mon cœur.
— Tu as choisi de risquer tout ça pour une cause qui ne valait pas nos vies.
Notre vie, à deux.
Il ne cherche même pas à me contredire, il avale tous mes reproches et se tient la tête comme s'il ne pouvait que les valider. Ça me fait d'autant plus mal, de savoir qu'il agrée avec moi, qu'il a mal agi et c'est tout.
Que chaque jour, ses regrets lui noueront la gorge, et me briseront le cœur. Qu'il n'y a pas d'autre explication à notre douleur.
— Tu as choisi de rester... et moi, j'ai dû partir sans toi. J'ai dû... mourir sans toi.
— Mais tu es là maintenant, désespère-t-il. On est ici, ensemble... Est-ce que ça ne compte pas ? Est-ce qu'il n'y a pas une chance de passer outre, de... recommencer ?
Recommencer ?
Recommencer quoi ? Les longs mois où l'on s'est tourné autour, l'unique baiser qu'il m'ait offert, les années de souffrance qui ont suivi ? On n'a jamais été quelque chose, alors recommencer quoi ?
— Ça ne change rien. Ce que tu as fait, ce que tu n'as pas fait... ça m'a brisé. Je ne peux pas faire comme si ça n'avait pas d'importance. Deux ans... c'est long pour nourrir de la rancœur.
— Deux ans, c'est aussi long pour nourrir des regrets. Des putains de regrets qui me rongent chaque jour qui passe. Je ne te demande pas de tout oublier, Sohane. Je te demande juste... une chance. C'est à toi de décider si tu peux encore me faire confiance, si tu peux encore... nous laisser un espoir.
Je ferme les yeux, terrassé. Mes jambes se déplacent sans que mon cerveau ne les guide et je me redresse, le cœur lourd, avant d'assurer :
— Je ne peux pas.
Il ne me suit pas, ne me retient pas. Il se contente de m'observer déserter le couloir, un sourire triste plaqué aux lèvres, pendant que des larmes roulent le long de ses joues.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top