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(Petite envie de mettre de la musique pour un chapitre basique ? Oui
Je le fais ? Oui)

Bonne lecture : )













𝓐imé





Sans les secousses, je ne me serais jamais réveillé. Surtout à une heure aussi matinale. Erèbe se dresse devant moi et se donne à cœur joie d'affirmer qu'il avait raison, que j'aurais dû rejoindre ma chambre à une heure respectable. Cela-dit, ce qu'il ne sait pas, c'est que l'alcool n'est pas le seul responsable de mon exténuation.

Sohane en fait partie.

Sans lui, je ne me sentirais pas aussi vaseux. Je n'aurais pas gaspillé au moins deux bonnes heures avant de retrouver l'auberge, détrempé par la pluie en plus d'être blessé.

Toutefois, sans son égocentrisme puéril, je n'aurais probablement jamais eu vent de la présence de Tara sur les lieux. Un mal pour un bien.

Mais peu importe ce qui est advenu avant, ce qui compte aujourd'hui, c'est de ne pas mourir. À l'inverse de la veille, l'arène est bondée de soldats dressés pour l'occasion. Les armes et les cris de motivation me prennent par les tripes ; ils m'encrent d'autant plus dans la réalité. Erèbe ne s'éloigne pas de ma gauche, tandis que je cherche Raven du regard.

S'il s'avère qu'elle ne s'est pas découragée, elle doit se tenir cachée sous ses vêtements, au milieu d'une foule d'hommes. Il est évident que je ne compte pas lui apporter une aide qu'elle n'a pas demandée. J'ai encore moins la vanité de penser qu'elle lui serait utile. Cependant, je préfère avoir conscience de sa position avant que les hostilités ne commencent.

En tâchant de la trouver, je vacille par la faute d'un faux-mouvement qui ne manque pas de tirailler ma blessure à la cheville. Erèbe me rattrape de justesse en empoignant mon épaule d'un air sévère, dépassé par mes excès de maladresse qui nous handicapent tous les deux.

— Concentre-toi Aimé, ce n'est pas un entraînement, menace-t-il.

Son front percute le mien en guise de motivation. Maintenant que j'y fais attention, je lis dans son regard que rien de tout ça n'est nouveau pour lui. Il n'est ni impressionné, ni décontenancé. Au contraire, il sait exactement ce qu'il doit faire, quand et comment. Ce n'est pas la première fois qu'il participe aux sélections, et il m'aura fallu du temps avant de m'en rendre compte.

Je me résous à lui faire confiance, après tout, je suis aux portes de la mort. Mes lèvres se scellent dans l'attente d'un quelconque signe. J'imagine qu'un coup de sifflet doit servir d'annonce comme lors du duel de Sohane. Hors, le hurlement de douleur qui retentit dans mon dos me signifie que non. Certains n'attendent pas de permission pour donner la mort, ils le font lorsque ça leur chante, et ce n'est en rien étonnant pour des hommes de Mahr. L'étau se resserre en quelques secondes.

Mes paumes sont compressées sur le manche de mon sabre mais n'osent pas le dégainer. Je ne sais pas ce que j'attends, mais je suis incapable de regarder autre chose que le sol.

Cette aura apocalyptique me ramène quelques mois en arrière, lorsque ma mère a perdu la vie sous l'agonie d'une blessure mortelle. Son image me hante, et alors que je devrais prendre part au combat, elle me paralyse. Une boule douloureuse se loge dans ma gorge face au souvenir de ma mère.

Des heures ou des secondes s'écoulent alors que les sons tranchants de peaux arrachées se répercutent jusqu'à mes tympans. J'en perds toute notion du temps.

— Je te l'ai dit Aimé, hurle une voix qui m'est familière. Aucune hésitation.

Je constate que du sang recouvre mon corps. Ce n'est pas le mien, mais celui de l'homme que Erèbe vient d'assassiner sans aucun scrupule pour me sauver la vie.

S'il est ici, c'est qu'il a échoué aux dernières épreuves sans pour autant y perdre la vie. D'après ce que j'ai compris, sortir des sélections sans pour autant les remporter, ou mourir, relève du miracle. Pourtant, il prend la peine de s'occuper du fardeau que je suis, alors que j'entrave son chemin jusqu'à la réussite.

— Il faut que tu te battes ! Personne ne te fera de faveur.

Il vient de m'en faire une, sauf que je suis incapable de lui faire honneur. À quoi bon tuer pour tuer, alors que l'effectif d'hommes n'est même pas adéquat dans les rues du pays ? Rien de ce que représente Mahr n'est bien pensé, et c'en est désolant.

Mes membres rouillent face au chaos qui s'étend au cœur de l'arène. Nul ne peut réaliser combien assister à un tel bain de sang me retourne l'estomac. Je sais que j'ai pris la décision de ne plus être l'homme faible que j'étais – celui qui a perdu sa mère en raison de sa couardise – mais la vue du sang m'est insupportable. Les yeux des cadavres à mes côtés sont révulsés et de leur bouche glisse un liquide écœurant, dont seule la description pourrait me faire vomir.

N'aurait-il pas fallu que quelqu'un s'interpose ? Que l'un d'entre nous refuse de prendre parti pour un tel massacre gratuit ? Je m'effondre sur mes genoux à l'instant où le coup de sifflet retentit enfin. Mais que représente-t-il, à présent que le mal est fait ? Ceux qui ont perdu la vie ne reviendront pas et ceux qui sont encore là, ne le sont que d'apparence.

Pour ma part, je dois la vie à Erèbe. Si je parviens encore à respirer après ces quelques minutes de dévastation c'est uniquement grâce à lui. Ses doigts se resserrent sur mon épaule et m'invitent à relever le regard. J'ai du mal à admettre que notre réalité est si drue qu'elle se reflète dans ses iris. Il en crache la noirceur et pleure du sang.

Je ne sais pas pourquoi il me protège, mais je ne pourrai jamais effacer de ma mémoire la brutalité dont il a fait preuve. Même si elle était inévitable. L'imminence de violence qui longe les terres de ce pays me révulse, si bien que je m'arrache de l'emprise d'Erèbe, à la recherche d'un coin isolé. Lorsque je suis protégé des regards, je régurgite tout ce qui obstruait mon œsophage. Me vider n'est en rien soulageant, mais ça me permet au moins de reprendre mes esprits, mettre mes idées au clair dans cette torpeur paralysante. J'essuie ma bouche du revers de la main et m'éloigne du vacarme qui me poursuit. Je me laisse tomber au sol au moment où Erèbe fait son apparition.

Sans dire un mot, il s'assoit à mes côtés et fixe ses bottes tachées de sang de longues minutes, l'esprit perdu.

— Tu me rappelles mon meilleur ami, souffle-t-il, coupant court au silence. Que ce soit physiquement ou mentalement.

Conscient qu'il me révèle quelque chose de personnel, je fais l'effort de lui accorder mon attention, malgré les souvenirs qui menacent de me faire vomir à nouveau. Je remarque à sa mâchoire contractée qu'il prend sur lui pour me parler sans craquer, comme s'il se sentait illégitime de faiblir devant autrui.

— Il était surtout persuadé qu'un avenir meilleur nous attendait au-delà de la frontière. Il voulait faire de grandes choses, mais n'osait jamais lever la main sur quiconque.

— Et... soufflé-je, craignant de connaître la réponse. Où est-il aujourd'hui ?

— Six pieds sous terre, tranche-t-il sans hésitation. Si je ne peux m'empêcher de vouloir t'aider, c'est parce que je le vois à travers toi. C'est illusoire, mais j'ai l'impression de pouvoir me racheter en te sauvant, parce que je n'ai pas pu le sauver lui.

Cette information me comprime la poitrine. J'avais quelques préjugés à l'égard d'Erèbe, mais ses confessions me poussent à croire que je l'ai jugé trop vite. Il n'est pas odieux, ce n'est ni plus ni moins qu'un homme brisé.

Ses ondulations blondes couvrent ses yeux, maintenant qu'il s'est incliné. Je ne peux qu'imaginer la succession de paroles, d'images et de promesses qui se sont envolées le jour où il a appris sa mort, et je ne peux que supposer combien ça l'affecte au quotidien. Toutefois je glisse ma main dans son dos comme si je pouvais partager sa douleur, voire l'apaiser.

— Il était tellement doué, que c'en était effrayant, mais sa naïveté a eu raison de lui, affirme-t-il en monopolisant mon attention. Je refuse de laisser ça arriver à nouveau, tu dois me promettre que te battras Aimé.

Je hoche la tête sans réfléchir, juste parce que le voir aussi démuni me brise le cœur.

Seule une question sans réponse ma taraude, bien que celle-ci me paraisse à présent évidente.

— Pourquoi détestes-tu autant le prince cadet ?

— Parce que c'est lui qui l'a assassiné, répond-il, la voix étranglée.

Ne sachant que faire d'autre, j'acquiesce et lui serre la main. Sohane – sans même en avoir conscience – ne cesse de renforcer la rancœur que je lui porte. Il s'affuble d'une carapace que personne ne semble réussir à percer, et en profite pour agir comme bon lui semble. Il s'étonne que son père ne puisse valoriser ses actes, à côté de ceux de son aîné, mais il détruit tout ce qui l'entoure. Je n'ai même pas aperçu son ombre aujourd'hui, pourtant je suis persuadé qu'il détient le plus gros nombre de victimes à son actif.

— Je me vengerai Aimé, sache-le, me prévient-il. Je ne sais si la façon dont tu le regardes est purement admirative ou juste malsaine, mais tu devrais te méfier de lui. Tôt ou tard, il te trahira.

— Je ne le regarde pas, répliqué-je.

Ou en tout cas, je le fais plus que je ne le voudrais. Parce que à part de la colère, je ne tire rien de mes échanges avec Sohane. Pourtant, Erèbe m'observe d'une manière drastique, qui me laisse penser que je viens de mentionner la chose la moins cohérente qui puisse exister.

Son souffle s'échappe en douceur de ses lèvres, comme s'il se résignait au fait que je ne puisse comprendre ce qu'il essaie de m'expliquer.

— Je ne serai pas toujours là pour toi.

— Je ne te demande pas de l'être. Et puis, moi aussi je saurai te défendre un jour.

— J'attends de voir ça, s'amuse-t-il en frottant mes cheveux drus.

Je le laisse me guider jusqu'à l'auberge. Sur le chemin, il m'explique que les premières épreuves ne servent qu'à éliminer les plus faibles d'entre nous. Ceux qui sont morts aujourd'hui ne valaient littéralement rien au combat. Pourtant, s'ils se sont engagés, c'est que – comme moi – quelque chose d'assez important les y a poussés, alors je ne peux m'empêcher d'être empathique à leur égard.

La difficulté s'immisce au fur et à mesure. Plus les épreuves s'enchaînent et moins on est certain de s'en sortir. Ce ne sont plus que les meilleurs d'entre nous qui auront la chance de prouver que leurs capacités se démarquent de celles des autres.

L'appréhension strie les traits d'Erèbe, bien qu'il tente de la refouler. Et je ne comprends cette dernière que lorsque, après un mouvement brusque, il gémit de douleur et qu'un liquide carmin forme un cercle déformé sur son uniforme. Je m'empresse de soulever son haut, les yeux écarquillés face à la plaie béante qui longe ses côtes.

— Ce n'est rien, murmure-t-il.

— Comment ça ce n'est rien ? Erèbe tu as besoin de soins, l'hémorragie est trop importante.

Sa réticence me laisse perplexe. Pourquoi refuse-t-il de se faire aider, alors qu'il risque sa vie ? Nul ne sert d'interagir, alors je le traîne devant la salle qui fait guise d'infirmerie dès lors qu'on atteint l'auberge. La serrure est fermée, et malgré les bruits de mon poing qui résonnent contre la porte, personne n'ouvre. Pourtant, les ombres qui effleurent mes pieds ne peuvent tromper personne.

— Je t'ai dit que c'était inutile, se déroge Erèbe.

Je m'empare de son col avant qu'il n'ait l'occasion de s'enfuir et le contraint à rester à mes côtés. De l'incompréhension déforme son visage lorsqu'il réalise qu'il est incapable de s'arracher à ma poigne.

— Tu ne paies pas de mine, mais tu as une sacré force, s'étonne-t-il.

J'ignore sa remarque, déterminé à lui faire bénéficier des soins qu'il mérite.

— Tara, c'est Aimé. Ouvre s'il te plaît.

La seconde qui suit, j'aperçois le corps à moitié vêtu de Raven étendu sur la paillasse centrale, et Erèbe entre à ma suite sans que je ne puisse le retenir. Seul le bandage crasseux qui lui a été fait la veille recouvre à peu près sa poitrine, pourtant sa semi-nudité ne laisse aucun doute quant à son genre. Tara se précipite dos contre porte, pourvue d'un air trahi. Raven se redresse, pas le moins du monde gênée par son accoutumance. Elle ne tente même pas de se couvrir lorsqu'elle s'approche.

— Ma vie est déjà en péril, et tu ramènes la brute de service, s'exclame-t-elle.

— Doucement, je n'ai jamais demandé à être traîné ici, se complaint le concerné.

Ils s'affrontent du regard, tandis que je me creuse les méninges dans l'espoir de trouver une issue. Tara peut être rationalisée, mais malgré le peu que j'en sais sur Raven, il me paraît évident que c'est loin d'être son cas. Impuissant, je me contente de lever les mains comme si ce simple geste suffisait à étouffer les tensions. Erèbe entreprend de s'en aller, espérant mettre fin à cette interaction, mais il est interrompu par le poing de Raven qui percute le centre de sa blessure apparente. Ses paupières vacillent sur le coup.

— Si tu oses ne serait-ce qu'évoquer mon existence auprès des autres, je t'écorcherai vif, le menace-t-elle. Ce n'est pas l'expérience qui me manque.

— Je n'en ferai rien, admet-il, éteignant la douleur d'une main tremblante.

Raven me dévisage un moment, puis se résout à rejoindre Tara afin qu'elle finisse de l'inspecter avant de passer au tour d'Erèbe. Quant à lui, il ravale sa salive, les cheveux emmêlés et le corps suant, tout en s'approchant de moi. Son allure pathétique me fait grimacer.

— Tu tolères ça ? m'interroge-t-il. Je veux dire... qu'une femme déroge aux lois et se fasse passer pour un homme au point de se battre parmi eux comme si de rien n'était ?

— Je ne vois pas en quoi ça me concerne, lui réponds-je. C'est son choix, je n'ai rien à lui dire.

— Et si elle est incapable de se défendre, ou qu'elle meurt sous tes yeux ?

— On est tous exposés au risque, qu'elle soit une femme n'y change rien, je ne la prendrai pas plus en pitié qu'un autre.

— Je comprends... c'est juste que je n'ai jamais été exposé à ce cas de figure.

— Erèbe, elle s'en sortira, j'en suis sûr.

Il acquiesce, troublé. Ses yeux se perdent dans les miens malgré la transcience de la situation. Situation qui doit être réglée au plus vite, au risque d'attirer l'attention. Erèbe analyse ma réponse comme si celle-ci lui était familière, avant de se résoudre à me faire part de ses songes.

— Tu lui ressembles vraiment, me murmure-t-il.

— À ton meilleur ami défiguré par l'épée de l'homme que j'exècre ? Merci, je m'en réjouis, ironisé-je.

Il hoche la tête en douceur, habitué à mes réactions sarcastiques lorsque je me sens gêné par une situation.

— C'est à se demander si...

Je perçois dans sa voix une émotion refoulée, tandis qu'il ne peut se résoudre à me lâcher du regard, comme s'il venait de percer un secret à jour.







Venez en parler sur insta !!

J'espère que les cours se passent bien pour vous (bientôt fini tenez bon), ou le boulot, ou quoique vous fassiez d'ailleurs  <3

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