12
(Le chap 11 est sorti juste avant ne lisez pas celui-ci en premier)
𝓐imé
❦
Rentrer a été un martyre.
Si d'ici demain je croise Sohane, je l'étripe.
Avant de m'étaler sur une paillasse dans un coin de l'auberge, je décide de me rendre à l'infirmerie. Tous les soldats dorment à poings fermés, éparpillés sur le sol. Je tente de n'écraser personne, laissant malgré moi une fine traînée de sang sur mon passage. L'infirmerie n'est en réalité qu'une petite pièce au fond du réfectoire principal, où sont supposés sommeiller les agents de soin.
La fente lumineuse sous la porte laisse danser des ombres sur le sol, alors j'entre sans frapper, convaincu que quelqu'un se trouve à l'intérieur. A l'instant où mon gabarit apparait dans l'embrasure, l'unique personne présente revêt sa tête d'une large capuche qui engouffre la totalité de ses cheveux. Accoutumé dans les mêmes tons que moi, je présuppose que ce soldat est ici en quête d'un service, à la suite d'une blessure. Pourtant, il se contorsionne pour me tourner le dos.
— Tout va bien ? m'enquis-je.
Aucune réponse. Je me sens stupide d'un coup.
— Voilà, j'ai ce qu'il te faut, s'exclame une femme, dont la voix m'évoque quelque chose, en entrant à son tour dans la pièce.
La première chose que je perçois sont les cheveux blancs qui effleurent ses épaules, mais elle me reconnaît bien plus vite que moi et s'empresse de fermer la porte derrière elle.
— Tara ?
Elle me fait signe de me taire, rangeant avec délicatesse les bandages qu'elle avait en main, comme si je n'étais pas supposé les voir. Coincés à trois dans une salle aussi petite que mon ancienne chambre, je suis soulagé de la voir écarquiller ses grands yeux verts. Soulagé de la savoir en vie.
— Tu es parti, conclut-elle.
— Non, on m'a amené ici sans que j'aie mon mot à dire. Je ne t'ai pas laissée.
J'ai l'amère sensation qu'elle me voue une confiance aveugle lorsqu'elle acquiesce, persuadée que je ne pourrais lui mentir.
— Moi aussi. J'étais infirmière au palais, mais en me trouvant dans son lit, Arès m'a envoyée ici, chuchote-t-elle. Il a dit que tu ne devais pas répéter les mêmes erreurs que lui.
Mes dents grincent en prenant conscience des conclusions que mon père doit tirer de cet accident. S'il l'a envoyée ici, c'est parce qu'il pensait que je l'en remercierais. Je n'ai aucun lien d'affection avec Tara, hormis le désir de la savoir en sécurité, alors c'est l'unique raison pour laquelle je suis reconnaissant envers mon père. Il l'a préservée en l'envoyant loin du palais, avec moi.
— J'ai besoin de tes services, mais termine de t'occuper de lui avant, affirmé-je, désignant du menton l'inconnu tourné vers le mur.
Ses joues pâlissent. Pétrifiée, elle ne cille pas, donnant l'impression de se trouver dans une situation sans issue.
— Un problème ?
Tara secoue la tête avec vivacité, pourtant sa conviction ne déteint pas sur moi. Peut-être que si ses mains n'étaient pas aussi moites à vue d'œil je l'aurais crue, toutefois de la peur reflue dans son regard et je m'en contrarie.
— Tara, s'il y a quelque chose dis-le moi.
Ses lèvres s'entrouvrent et laissent échapper quelques balbutiements indéchiffrables, mais elle est interrompue par le soldat qui daigne enfin me faire face.
— Tara, non, la supplie-t-il.
L'ombre de sa capuche enténèbre son visage partiellement éclairé par les bougies. Je perçois son menton, le bout de son nez et ses pommettes, tous aussi fins et délicats que de la dentelle. Tara semble désespérée, partagée entre une loyauté envers son camarade et le respect qu'elle m'accorde, alors qu'il n'y a pas lieu d'être. Moi et Sohane l'avons aidée parce que c'est ce qu'il y avait à faire, pas pour qu'elle se sente redevable.
— Il ne nous veut pas de mal, susurre-t-elle. Je lui fais confiance.
— Je ne fais confiance à personne.
Sa voix tire sur les consonances graves, mais n'en reste pas moins agréable à écouter.
— Raven...s'épuise Tara.
Ce n'est pas un prénom habituel pour un homme et je le réalise dès qu'il se présente devant moi pour me placer un couteau sous la gorge.
Même quand Sohane n'est pas dans les parages, je me fais menacer de mort maintenant ?
Le mouvement brusque fait tomber sa capuche. Je me retrouve alors face à des cheveux châtains, aussi courts que les miens, qui tombent en cascade sur sa nuque.
— Je devrais le tuer maintenant.
— Elle ne le fera pas, m'affirme Tara. Pas vrai Raven ?
Sa voix se fait plus ferme, tandis qu'elle cherche confirmation dans le regard de son amie.
— Je t'assure que tu n'es pas la première à me dire ça aujourd'hui. Pourquoi je m'en prendrais à toi ? lancé-je.
— Peut-être parce qu'aucune femme n'a jamais intégré la garde royale ? Si tu es au courant, je suis en danger.
Dès lors que je m'étonne de sa réponse, je réalise qu'il y a un problème. En quoi le fait qu'une femme participe aux épreuves devrait me surprendre ? J'en oublie les enseignements de ma mère quelques jours après sa mort, c'est pitoyable. La blonde glisse ses doigts sur l'épaule de ladite Raven et l'incite à baisser son arme.
— Tu la connaissais, avant toute cette histoire ? demandé-je à Tara.
— Non, je l'ai rencontrée hier soir, répond-elle. Elle m'a demandé de l'aide pour camoufler sa poitrine.
— D'où les bandages, je conclus.
Elle acquiesce, prête à réaliser ce pour quoi elle était allée les chercher à l'origine. Raven se laisse déshabiller tandis que je leur tourne à mon tour le dos, concédant l'intimité qui leur est nécessaire. J'entends les couches de vêtements tomber au sol, conscient que sa carrure consistante n'était due qu'à l'accumulation de tissu sur son corps.
— Pourquoi tu lui fais confiance ? s'enquit Raven d'une voix moins assurée qu'au préalable.
Je me retourne, et la découvre là : le torse compressé par des bandelettes blanches. Ses épaules sont plus larges que la moyenne, et des cicatrices strient ses bras tels des éclairs.
— Aimé est le fils d'Arès Gahéris, répond Tara, comme si seule cette information comptait.
Il faut croire que oui, puisque Raven semble à la fois étonnée et satisfaite par cette réponse. Je grogne tel un enfant, seul dans mon coin, dépassé par l'assimilation constante que l'on fait entre moi et mon géniteur. Ma réaction infantile à au moins le don d'arracher un sourire à Tara, même si Raven n'en est – quant à elle – que plus excédée. La brune envisage de se morfondre sous sa capuche après avoir récupéré ses habits, toutefois Tara ne lui en laisse pas l'occasion. Elle lui dépose du coton humide sur les pommettes et finit par décoiffer ses sourcils avec délicatesse. Raven bénéficie des soins de Tara sans jamais la lâcher des yeux.
— Parfaite, s'extasie Tara. Tu peux y aller maintenant je vais me charger d'Aimé.
— Non, je préfère rester ici, admet-elle après avoir secoué la tête.
Tara ne s'en importune pas et la laisse appuyer sa présence dans la pièce, plus massive et destructive que la sienne. Derrière la blonde, Raven ressemble à une grande ombre obscure qui l'étreint à distance. Alors je laisse Tara s'occuper de ma plaie sans m'attarder sur le regard meurtrier que me lance sans cesse sa camarade.
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