Le paysan se doit d'être intelligent

Fraîchement lavé, peigné, et changé, Crow faillit s'étouffer en voyant l'heure indiquée sur la vieille l'horloge. Il avait beaucoup trop tardé dans la baignoire, mais la perspective de pouvoir se détendre dans de l'eau brûlante tout en jouant avec la mousse rose pâle avait été trop tentante. Il avait dix minutes pour enfiler une paire de chaussure et de courir jusqu'à la salle à manger avant d'arriver en retard. Enfilant à toute vitesse une paire de bottines à talon à sa taille, Crow eut juste le temps de pester sur le fait qu'il n'était pas une fille avant de détaler à toute allure vers ce qui lui semblait être le bon chemin.

Passant devant une tenture pour la troisième fois en deux minutes, Crow abandonna. Il s'était perdu. Tout simplement. Se laissant glisser le long du mur, il s'assit dos à la tapisserie, retraçant dans sa tête le parcours qu'il avait fait avec Yaiba. Il lui avait d'abord montré les jardins exotiques, puis la salle du trône, la véranda, la cuisine, la salle de musique, le couloir menant aux quartiers de l'armée, la salle de tactique, la tour de magie, ses appartements... Une minute, le renard ne lui avait jamais montré la salle à manger ! Se relevant d'un bond et prêt à faire subir les pires tortures au tacticien pour l'avoir fait courir comme un lapin, le hérisson prit pour destination les appartements de Yaiba.

Arrivé devant les portes doubles, –Crow était persuadés que la sienne n'avait qu'un battant– il eut le bon réflexe de toquer avant d'entrer. Passant la tête à travers l'ouverture, il tomba sur un long couloir, agrémenté que quelques portes le long du chemin. Curieux, la queue de Crow se balança doucement, indiquant son hésitation. Il finit par rentrer à petits pas et alla droit vers la porte au bout du couloir. Entendant de nombreux rires et éclats de voix, Crow hésita devant la porte. Il ne voulait pas déranger. Posant la main sur la poignée, il hésitait encore.

« Puis-je vous aider... Monsieur... ? »

Crow, laissant échapper un couinement, fit un bond de plusieurs dizaines de centimètres de hauteur en entendant la voix guindée du servant qui l'avait accueilli plus tôt. Faisant des mouvements bizarre avec ses bras, il s'exprima de façon brouillonne sur la venue de sa visite, qu'il s'appelait Crow et que bon sang, il ne fallait pas effrayer les gens comme ça. Le sourcil levé, un sourire moqueur aux lèvres, le majordome désigna la porte derrière Crow.

« Mais vous êtes devant la salle à manger, monsieur Crow. »

Celui-ci stoppa tout mouvement et regarda le majordome, avant de regarder la porte, puis à nouveau le majordome.

« C'est...

C'est exact monsieur Crow, c'est la porte menant à la salle à manger.

Mais... Il...

Vous devriez vous dépêcher Monsieur Crow, j'ai ouï dire que vous étiez attendus avec une grande impatience. »

Sur ces mots, le majordome partit par l'une des nombreuses portes, retournant vaquer à ses occupations. Abasourdi, le chanteur entra, sans toquer cette fois, et fut surpris de découvrir un spectacle... de gamins. Le renard et le lion semblait se disputer, tandis que les deux éminents personnages royaux ricanaient dans un coin. Ils étaient tous couvert de nourriture. Crow avait échappé à une bataille de bouffe.

J'espère que c'est pas une tradition d'être couvert de bouffe avant de manger...

Pouffant, le roi l'invita à table. Se retrouvant à côté du prince Rom, le jeune chanteur se sentit observer sans qu'il ne sache pourquoi. Ne voyant personne caché dans l'ombre des colonnes, il leva la tête et découvrit trois étages de balcon, et, penché au-dessus des rambardes, les courtisans. Ils n'avaient pas fait une bataille de bouffe au sus et à la vue des flatteurs... Si ? Baissant la tête dans son assiette, il observa le plat qu'on lui avait servi. De la viande rouge, évidemment. Le roi, avec son grand sourire étincelant, leva sa coupe en cristal bleu roi, vite suivit par son fils – qui avait la même d'une teinte plus clair – et par les autres. Le silence se fit.

« A notre nouveau porteur de voix ! Qui, je l'espère, permettra à notre armée de reprendre du poil de la bête ! »

Suivant le flux, Crow releva un peu plus son verre et but le contenu d'un cul-sec, les oreilles tintant à cause du « Au porteur de voix ! » hurlé par les courtisans et le prince lui-même. L'alcool fut immédiatement resservi dès que les gobelets se posèrent sur la table. La gorge en feu, le porteur de voix toussa. Plus jamais boire de l'alcool comme ça, il avait compris. D'une voix puissante, le roi ouvrit les festivités et les plats commencèrent à défiler à travers les tables. Les courtisans, attablés aux balcons, ne se préoccupaient plus de la table royale, préférant manger. Un léger brouhaha prit place dans la salle.

A ses côtés, le prince Rom discutait politique avec son père. Yaiba, quant à lui, s'amusait à titiller la patience d'Aion, qui grinçait des dents. Mangeant par des mouvements mécaniques, Crow se concentra sur la tenture situé derrière Aion, se souvenant des préceptes de politesse que lui avait inculqué sa grand-mère.

« Détends-toi. »

Surpris, le chanteur fit crisser son couteau sur l'assiette, lui envoyant des frissons dans le corps. Sa queue se hérissa et il se tint plus droit. Regardant à sa droite, il croisa le regard serein du prince.

« Mais je suis détendu.

C'est ça, et moi je m'appelle Shuzo. Ses amis ricanèrent. Je t'ai connu plus détendu, sur le port par exemple...

C'était une méprise ! Je... J'étais en colère et tu... Vous ! Vous m'aviez suivi.

Tu peux me tutoyer, et c'est vrai que nous étions en tort, tu m'en vois désolé. Mais plus sérieusement, arrête de ressembler à un robot, tu deviendras une proie facile pour eux sinon. »

Il fit un mouvement de tête vers les balcons, et le chanteur vit les regards scrutateurs des flatteurs, comme un oiseau de proie s'apprêtant à fondre sur sa cible. Il était un herbivore entouré de carnivores. Littéralement. Rabaissant la tête, Crow jeta un regard en coin au prince, remarquant de la nourriture sur son épaule.

« Euh... Les iris ciel de l'héritier se tournèrent vers lui. Tu as... Un morceau de brocoli... Là.

Oh, merci. Il donna une pichenette sur le légume qui s'échoua lamentablement au sol.

Ça arrive souvent... J'veux dire, les batailles de bouffe ?

C'est à cause de cet idiot de quatre yeux... Répondit Aion.

J'y peux rien si tes cheveux ressemblent vraiment à ceux d'une fille !

Comment oses-tu parler de ma magnifique crinière, sale renard dégénéré !

Il a pas tord... Soutint Crow, à la plus grande surprise des autres attablés. Sérieusement, qui peut avoir des cheveux aussi long sans être une fille ? »

Le regard d'Aion transperça Crow et c'est de justesse qu'il évita une tomate farcie, sous le rire discret du roi. Furieux, le lion continua de lui balancer divers fruit et légumes, tous évités de justesse. Tout en continuant de lui jeter la nourriture, Aion se mettait à le maudire.

« Comment un rat aussi insignifiant que toi peut parler ainsi de ma chevelure ? Je vais t'apprendre les bonnes manières moi ! Tu vas passer de rat des champs à rat de ville, tu parleras dans un langage soutenu et tes sales habitudes disparaîtront !

Tu te rends compte, Aion, qu'il a plus de manières que toi actuellement ? Intervient Yaiba qui se prit une banane en pleine poire.

On ne joue pas avec la nourriture~. Chantonna Crow, un sourire innocent aux lèvres. »

Il continuèrent ce petit manège quelques minutes, faisant fi des courtisans qui prenaient un air outré en voyant un second combat de bouffe. Ce fut l'arrêt magnifique de Rom qui récupéra d'une main de maître une pomme qui allait faire un malencontreux trajet vers les colonnes qui permit aux autres de se calmer. Sa posture tranquillisa de suite les deux zigotos.

« Calmez-vous, les pauvres femmes de ménage vont encore nous réprimander pour ce gaspillage. Quelques rires parmi les courtisans fusèrent sous la réplique du prince. Cependant, Aion soulève un point important, Crow, es-tu allé à l'école ?

Euh... Le regard intimidant du roi derrière son fils l'empêcha de mentir. Non... »

Des exclamation démesurée firent écho à ses paroles. Un chanteur qui ne sait pas lire, ni écrire ? Quelle honte pour le royaume ! Serrant les dents, le hérisson tenta cependant de les calmer :

« Mais malgré cela, je...

Nous t'assignerons des précepteurs, le coupa le roi, ignorant sa tentative d'explication, tu recevras une éducation digne d'un noble.

Mais...

Le dîner est terminé, je vous prierai à tous de vaquer à vos occupations. Le repas était succulent, les cuisinières ont fait des merveilles encore une fois ! »

Un murmure d'approbation parcourut les flatteurs et, en quelques secondes, les balcons se vidèrent, ne laissant que la table royale encore pleine. Le roi sortit peu après, souhaitant une bonne nuit aux adolescents. Crow se tortilla sur lui-même, ne sachant pas quoi faire. Un silence tomba sur la table, bien vite brisé par le rire des trois compagnons.

« Vous avez vu la tête du vieux Givrar quand Aion a commencé à balancer de la bouffe ? Du grand spectacle ! Commença Rom, les yeux rieurs.

Moi, ce qui m'a impressionné, c'est quand Crow a suivi l'étiquette à la lettre, sans que personne ne lui fasse une remarque, et la façon dont il les a snobés quand ils commencèrent à l'appeler ! Continua Yaiba, excité.

On m'a appelé ? Demanda le concerné, qui n'avait rien entendu.

Ceci explique cela... Mais franchement Crow, bravo ! Tu les as cassés ces emmerdeurs de première avec tes gestes de cour !

D'ailleurs, comment ce fait-il qu'un vermisseau tel que toi connaisse les nobles bases de l'étiquette ?

C'est... Crow rougit. C'est ma grand-mère qui m'a tout appris, avant de devenir fermière, elle était servante à la cour de Tsurezurenaru Ayatsuri Mugenan.

La chance ! Se sont exclamés les trois prédateurs. »

Crow rougit jusqu'aux oreilles et se tassa sur lui-même. Sans sa grand-mère, son séjour ici serait un enfer. Les quatre Mumons discutèrent encore un moment de tout et de rien avant que Yaiba ne se lève et annonce qu'il était tard et que demain serait une grosse journée. Se souhaitant bonne nuit, ils se donnèrent rendez-vous au même endroit demain matin pour le petit déjeuner.

Mais les prédateurs ne vinrent pas à la table. Il était neuf heures, et Crow avait attendu de pied ferme leurs présences à sept heures tapantes. Une servante, ayant de la compassion pour ce nouveau venu, lui annonça que des affaires urgentes avaient retenus les trois carnivores et que cela risquait de prendre du temps avant que cela ne se calme. Déçu de ne pas avoir été prévenu plus tôt, Crow remercia quand même la jeune femme avant de se diriger vers la sortie. Mais ce fut un majordome qui l'arrêta, lui donnant une enveloppe et un parchemin plié à la va-vite. Interloqué, le hérisson attendit d'être dans sa chambre pour les ouvrir. L'enveloppe recelait un emploi du temps digne d'un noble, mais avec de nombreuses matières digne d'un enfant en primaire. Voir toutes les matières basiques étaient pour les enfants. Mais c'était ainsi l'éducation que le roi lui avait prévu.

Le parchemin, quant à lui, était un petit texte comportant trois signatures. De nombreuses ratures agrémentaient le texte et les taches d'encres n'étaient pas en reste non plus. Haussant un sourcil, Crow lu tranquillement.

Cher... Yo mon...Petit.... Crow,

Désolé de ne pas être présent ce matin, mais la frontière a décidé de faire des siennes, et le roi nous a réquisitionné pour calmer le jeu. On a entendu dire que ton emploi du temps n'était pas des plus simples, mais ne perd pas espoir ! On pense...

Ici Aion, tu as intérêt de finir cette histoire et fissa ! Moi, le Grand Soleil Noir, te l'ordonnes et s'attend qu'à son retour, tu sois un chanteur digne de pouvoir chanter pour ShinganCrimsonZ.

Et le roi est vraiment idiot parfois, il t'envoie une lettre alors qu'il est persuadé que tu ne sais pas lire.

Pendant que Aion et Yaiba se mettent sur la gueule, je vais continuer. Ces matières sont un passage obligé pour que tu puisses accéder aux choses plus délicates. Comme l'a si bien dit Aion, tout le monde pense que tu es l'idiot du village, prouve leurs qu'ils ont tort ! Si tu te débrouilles bien, dans une quinzaine de jours, il ne te restera que les cours de guitare.

Yaiba, Aion et Rom.

Crow pouffa de rire en voyant que même à l'écrit, leurs comportement ne changerait pas. Il imaginait sans peine Yaiba et Aion en train de se regarder dans le blanc de l'œil tout en disant les pires infamies avant que Rom ne débarque et les assomme pour qu'ils se calment. Pliant soigneusement le parchemin, le hérisson le posa sur son oreiller en attendant de trouver un lieu convenable où le poser. Des coups discrets à la porte le sortit de sa bulle et c'est avec effroi qu'il tomba sur des jumeaux habillé trop excentriquement pour leurs bien.

« Je... peux vous aider ? »

L'un des deux remonta ses lunettes, faisant briller le verre.

« Chevelure bicolore, peu de muscle et fin, hauteur plus petite que la moyenne, des iris marrons... Je vois je vois.

Heu... Pardon ?

Veuillez pardonner mon frère, il manque à toute ses bonnes manières. Voici Akira et je suis Kakira. Nous sommes les tailleurs royaux. »

Les yeux malicieux, les félins le détaillèrent sous toutes les coutures pendant que Crow se présentait. C'est l'arrivée de ces tailleurs qui fut le premier pas dans le calvaire du jeune hérisson.

Après la sortie du duo insupportable, qui piaillaient pour savoir qu'elle teinte entre le rouge sang et le rouge sombre lui conviendrait le mieux, Crow dû écouter les palabres qu'il connaissait déjà. Les professeurs s'accordèrent à dire que le hérisson était le pire élève qu'ils avaient eu. Quand il ne dormait pas, il s'amusait à dessiner, fredonner voir faire quelques vocalises ou des origamis en papier. Il pouvait rêver des heures avant de décréter qu'il avait faim et qu'il aille en cuisine pour aller chercher quelques collations malgré les nombreuses protestations de ses professeurs. Tuer le temps était le maître mot de l'élève, bien trop ennuyé par des leçons et des cours qu'il connaissait déjà par cœur. Cependant, les enseignants semblaient s'être rendus compte que le jeune hérisson répondait sans problème à toutes leurs demandes et autres devoirs, décrétant par la suite qu'il avait reçu une éducation correcte.

C'est au bout d'une semaine que le roi, atterré par les comptes rendus de ses employés, convoqua le futur chanteur. Devant les courtisans, encore, il se fit vertement réprimander, et les raisons de cette rébellion restèrent méconnu, malgré les maintes tentatives de défense du hérisson. En guise de punition, il était confiné dans l'enceinte du château, bien qu'il n'en soit jamais sorti depuis son arrivé. Par il ne savait qu'elle raison, ses cours furent suspendus et il reçut une lettre le lendemain de sa sanction.

L'ouvrant, il découvrit une invitation à un gala pour le présenter aux nobles, qui se tiendrait dans deux mois environ, même si la date n'était pas encore confirmée. Les jumeaux tailleurs passèrent toute la matinée à prendre de nouvelles mesures pour lui confectionner un costume pour la soirée. Bien sûr, Crow ne pouvait pas rester tranquille plus de deux minutes. Comme il avait les bases d'éducation, il avait été décrété qu'il devait recevoir une éducation pour se comporter comme un noble.

Vint un professeur de danse, suivi d'une femme lui donnant des cours de diction et de vocabulaire soutenu, ensuite un professeur de chant, pour qu'il évite les fausses notes, bien qu'il n'en ait naturellement pas besoin, et, enfin, un professeur des arts et des bonnes manières. Ces quatre professeurs se relayaient dans la journée, ne laissant aucun répit à ce pauvre Crow, qui s'effondrait de fatigue à la fin de la journée. Après cinq horribles jours passés auprès des enseignants, il eut droit à de nouvelles matières. Stratégie, géopolitique, économie, et, pour son plus grand bonheur, un professeur d'instruments. Monsieur Arisugawa, – mais de quel race pouvait-il être issu ? – lui avait fait essayer des instruments un à un, avant de se rendre compte que ce n'était que sur Red Tomahawk que Crow pouvait faire quelque chose de potable.

Bien sûr, les cours furent intenses mais portèrent leurs fruits. Au bout de quelques jours, Crow était incollable sur tout et sa progression à la guitare était rapide. Il pouvait jouer tous types de morceaux, mais dès qu'il essayait de chanter, les parties plus complexe devenait un vrai cafouillis.

Les heures passèrent, les jours, et les semaines. Les cours prirent fin, même celui de guitare, ayant toute les bases, il devait maintenant progresser par lui-même. Au final, il ne lui restait qu'un mois pour préparer des paroles pour le groupe royal afin de faire un tabac au gala. Cependant, sans musique, sa voix refusait de faire ne serait-ce que faire des vocalises et son cerveau s'éteignait. Mais à défaut d'avoir les paroles, il avait les idées ; ses nombreuses visites dans les jardins royaux pendant ses temps libres lui donnait l'inspiration suffisante.

Le parterre de roses écarlate était son havre de paix, et il n'était pas rare, les mois précédents, de le voir cacher dans les rosiers, fuyant les professeurs trop insistant sur les devoirs.

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