Le chanteur de ShinganCrimsonZ
La vie semblait si simple maintenant... s'il n'y avait pas eu cette histoire de gala qui devait présenter le hérisson devant toute la cour. Bien que le retour des trois carnivores l'avait rassuré, cela lui avait, paradoxalement, rajouté plus de stress. Marchant d'un pas traînant dans les couloirs, Crow, futur chanteur de son état, se triturait les neurones pour sortir des paroles de son cerveau. Peine perdu. Il ne restait qu'une semaine avant le bal, et il n'avait toujours rien. Si seulement il pouvait avoir un bureau dans sa chambre, donnant sur le jardin de rose, là il aurait eu de l'inspiration !
Mais les serviteurs ne pouvant accéder à sa demande, pour une raison obscure, il devait faire le trajet jusqu'au jardin tous les jours dans l'espoir que idées lui viennent en tête. Aujourd'hui, il avait décidé d'y aller aux aurores, peut-être qu'en voyant le lever de soleil, il aurait une idée ? Suivant ses pensées, il emprunta un corridor qu'il n'avait jamais visité auparavant et un battement sourd l'attira dans une aile qu'il n'avait jusque-là jamais exploré. Curieux, il suivit le son, et fut étonné d'entendre un accord plaqué sur une guitare électrique, reposant sur un accord de basse. Accélérant, il finit par courir dans le couloir sans se soucier des tableaux retraçant l'histoire de la musique qui l'entouraient.
Foulant le tapis carmin, il s'arrêta dans un dérapage contrôlé devant une double porte en chêne massif. Des motifs d'anges jouant de la musique étaient délicatement sculpté dans le bois sombre. L'écho de la musique parvenait de la pièce caché par les battants. Hésitant, le hérisson posa sa main sur la poignée sculpté en forme de rose. Il pesa le pour et le contre avant de l'ouvrir.
Passant sa tête à travers l'encadrement, il resta bouche bée de la vue qui s'offrait à lui.
Les murs, recouvert de tentures en velours pourpre et bordés de quelques tableaux représentant des paysages, s'accordaient parfaitement au parquet de pièce. La pierre du plafond avait des sculptures d'anges, des moulures finement travaillée et même une peinture représentant un orchestre harmonique peint à même le plafond. Un piano à queue trônait fièrement dans un coin, clapier ouvert et attendant de pouvoir être l'instrument d'un musicien. De nombreuses et immenses fenêtres donnant sur les jardins royaux étaient les seules sources de lumière de la salle de musique.
Et, au centre, trois hommes, dos au soleil levant qui éclairait la pièce d'une teinte sanguine et rosée, et qui jouaient comme jamais Crow n'aurait cru possible. Les yeux fermés, la tête battant au rythme de la musique, les doigts grattant avec dextérité les cordes, les personnages royaux étaient dans une bulle hermétique, intouchable.
Des dieux de la musique.
Entrant à petit pas dans la pièce, refermant sans bruit la porte, complètement hypnotisé par la vision qui s'offrait à lui, le hérisson s'assit à même le sol et les écouta dans un silence religieux. Une unique larme roula sur sa joue et se perdit dans ses vêtements. La grande porte-fenêtre donnant sur le balcon était ouverte, apportant le vent aux senteurs de fleurs. Il était tombé dans les roses de ShinganCrimsonZ, découvrant d'un coup la signification du fameux proverbe du pays, « Notre vue teintée de cramoisi. ».
La musique se termina sur trois notes faites par une cloche, et Crow comprit la raison de sa venue.
-0-
Pour la dixième fois en une heure, Crow, futur chanteur de son état, rajustait son col d'un doigt nerveux. C'était plus fort que lui, la chemise noire, bien que possédant une douceur et une légèreté appréciable, serrait son cou comme un étau. Ou plutôt, la lavallière trop serrée détruisait les bienfaits de la chemise, en plus des nombreuses couches de vestes qui étaient, il fallait le dire, très lourdes. Son pantalon de cuir noir lui tenait trop chaud et ses bottines à talons étaient très bruyantes. Ce n'était pas une bonne soirée qui commençait pour le hérisson. Tout cet attirail ne le faisait pas passer inaperçu, au contraire.
Ses oreilles bourdonnaient à cause du bruit ambiant. La Huge Room portait bien son nom ; pouvoir accueillir autant de courtisans et de nobles dans une seule pièce était effrayant. Le jeune herbivore, qui tremblait d'effroi en entendant les noms de quelques têtes couronnés au début du gala, était presque blasé devant l'atmosphère hypocrite qui y régnait. Ses trois amis, pris dans une conversation qui avait l'air importante, ne pouvaient le sauver de son ennui, l'accès aux jardins étaient interdit et les balcons étaient pris d'assaut à cause de la chaleur étouffante qui régnait dans la pièce.
La capitale de ShinganCrimsonZ était touché par un climat océanique, des hivers doux et humides et des étés frais malgré le soleil ardent. L'arrière pays, lui, était un climat pleinement continental, les variations de températures étaient affolantes et il était presque miraculeux que le royaume soit si riche de ses cultures malgré les étés brûlants et les hivers gelant une bonne partie des récoltes. Ce miracle n'était dû qu'aux prouesses musicales des agriculteurs ; ils avaient développés toute une culture musicale pendant les semis et les moissons, allant même jusqu'à composer des partitions spécialement pour les catastrophes naturelles. La magie de la musique ne pouvait pas soigner tous les maux, mais elle était une médecine et une aide parfaite pour les travailleurs.
Le château, en lui-même, était un mystère absolu ; si la capitale entière reste dans un climat océanique, le château semble avoir un climat propre à lui-même. Les hivers restent doux mais sec, les étés, humides et incroyablement chaud ; les intersaisons ne se ressentent que pendant une quinzaine de jours et les agitations naturelles ne touchent jamais les murs de la construction. La lune qui éclaire les pièces la nuit est toujours rouge, quel que soit la phase lunaire et le ciel reste dans un violine constant. Malgré ces défauts, personne ne s'est plaint, comme si le corps des habitants s'étaient habitués aux caprices du château.
Cependant, les invités, qu'ils soient amis ou ennemis, en ressentaient pleinement les effets ; Crow avait appris, lors de l'un des rares cours qu'il l'intéressait, que le château possédait sa propre musique, et, par conséquent, une vie propre qui protégeait les habitants. Les servantes qui marchaient dans les couloirs, les gloussements des lavandières, les martellements du forgeron, les cris et les sons cuivrés provenant des cuisines, les chuchotements des courtisans, les insectes bourdonnants dans le jardin, le grattement des plumes sur les parchemins... toutes ces choses créaient une harmonie musicale qui nourrissait continuellement le château et augmentait ses réserves de magie. Si quasiment tout les habitants avaient passé le test du château pendant les deux premières semaines et supportaient sans problèmes les affres du temps, Crow, lui, a dû attendre plus longtemps.
Lors de sa démonstration face aux courtisans, la puissance de sa voix a portée dans tout le bâtiment, et la musique du château s'était tu pendant une brève minute, laissant toutes choses, même les insectes, dans le silence. L'âme du palais royal l'avait prit comme un affront, une offense, une déclaration de guerre. C'est pourquoi, pendant près d'un mois, Crow dû supporter la chaleur cuisante de l'été et se perdit régulièrement dans les couloirs. Les porteurs de voix avaient souvent une relation houleuse avec l'âme des palais, eux seuls pouvaient la tuer à petit feu et de la pire manière possible les bâtiments centenaires. Sa démonstration a été l'une des pires introduction que l'on puisse faire, même si, pour sa défense, il n'était au courant de rien à ce moment-là.
C'est donc en restant à côté du buffet que Crow passa sa frustration en raflant les provisions de biscuits secs et de petits gâteaux. Observant la foule, il surprit quelques regards qui convergeaient dans sa direction mais il ne prit pas la peine de réagir. Il devait rester de glace pour qu'il se fasse une place dans cet univers noble.
C'est alors qu'une tête blonde s'arrêta à ses côtés, tout sourire. Les cheveux coupés au carré et hérissés, les yeux bleus pétillant de malice, un sourire étincelant et des vêtements un peu trop colorés était la description la plus objective que Crow pouvait donner. En son for intérieur, il hurla de rire face à l'attirail bouffant et clairement gênant que portait l'inconnu. Fait surprenant, le blondin semblait posséder plusieurs queues touffues et des oreilles pointues, le faisant penser à un renard. Il fut vite rejoint par ses acolytes, des jumeaux, semblait-il, aux cheveux marines. Se penchant vers le rouquin, l'inconnu ouvrit la bouche et sa voix joyeusement hautaine perça le silence qui s'était soudain installé dans la salle.
« Alors, c'est toi, le chanteur ? »
La foule, soudainement muette, attendait sa réponse. Cherchant du soutien, Crow sentit ses oreilles chauffer en voyant que même ses amis semblaient intéressés par la réponse qu'il allait donner à l'inconnu. C'est à ce moment que le hérisson tilta que les habits que portaient les trois marioles provenaient de Trichronika. Et que la caractéristique première de la famille royale était la chevelure dorée et plusieurs queues. Beni soit les cours de connaissance des grandes familles aristocratiques. Relevant la tête, Crow se donna contenance ; carrant les épaules, il répliqua avec toute la noblesse dont il était capable et qu'on lui avait inculqué :
« Alors, c'est vous, le prodige ? »
Il retint son souffle, observant la réaction de la foule. Bouche bée, des exclamations étouffées fusèrent, mais les courtisans ne bougeaient pas, attendant la suite. C'était une épreuve de force, et Crow devait faire ses preuves. Les jumeaux s'étaient avancés d'un pas, prêt à défendre leur prince. Celui-ci continua la conversation, pas désarçonné pour un sou :
« Hé bien... Pour une surprise... Je n'aurai jamais cru que les chanteurs pouvaient avoir une voix aussi... intéressante que la tienne.
– Et moi, je n'aurai jamais cru qu'il était possible de chanter avec une hypocrisie aussi dégoulinante que la vôtre, altesse. »
Oui, Crow avait une voix presque discordante quand il parlait, et alors ? Personne ne s'en est plaint quand il chantait. Les fennecs firent un autre pas en avant, et le futur souverain, étonné, n'avait pu empêcher ses yeux de s'écarquiller. Quelques cris étonnés jaillirent de la foule mais la situation resta statique.
« Alors c'est bien vrai, tu proviens de la campagne. Je suis surpris qu'un chanteur soit né parmi les herbivores ruraux.
– T'as un problème avec ça ? Grogna Crow, qui sentait ses limites sauter en entendant le mot « campagne » et reprenant son comportement habituel.
– Pas spécialement, mais franchement, des producteurs de lait ? Le prince retint à grand peine un gloussement. Enfin, on dit que quelques plantes utiles peuvent s'y trouver. Mais bien que je sois un lys, tu restes et restera un chardon. »
Traduction ; malgré tes efforts et ton talent, je te serai toujours supérieur. La queue battant d'agacement, les mains dans les poches et les épaules voûtés, la posture du hérisson montrait qu'il était à deux doigts de sauter sur le prince. Mais ce fut la voix calme de Ryohei qui l'empêcha de commettre le pire.
« En réalité, Prince Shuzo, Crow est une églantine. »
La tension retomba d'un coup, bien qu'un blanc immense passa dans la foule, même Shuzo ne savait pas quoi dire. Crow assimila difficilement les paroles du renard et le fit savoir sous les rires de spectateurs.
« Ryohei ! Je sais pas ce qui me retient de t'étriper !
– Il parle de l'aquilentum, autrement dit les églantines, des roses sauvages, idiote de bestiole. Répliqua Aion, la voix étouffée par sa main, derrière lui.
– Mais bien sûr ! Rom les prit dans les bras, les faisant tous pencher en avant sous le poids. Nous sommes teintés de cramoisi, des roses rouges épineuses mais aussi fragiles ! Sans les églantines, celles à laquelle nous sommes greffés, nous ne pourrions pas exister.
– C'est ce qui en fait sa beauté. Assura Ryohei. Et ainsi...
– Les lys seront toujours seules. Assena Aion comme coup final d'un ton emplit de fatalité. »
Ravalant un commentaire désobligeant, le prince blond tourna les talons la tête haute et s'enfonça dans la foule, laissant le groupe seul. Les jumeaux fennecs les fusillèrent du regard avant de suivre leur maître. La foule de courtisans se dissipa, laissant les musiciens tranquille et le brouhaha revint. Crow avait réussi le test haut la main, tout en gardant son sang froid. Maintenant, il devait leur prouver qu'il était un chanteur pour qu'ensuite il fasse ses preuves sur le terrain. Mais ce sera un autre jour. Pour le moment, le hérisson était statufié, persuadé qu'il évoluait dans un rêve éveillé. Les hauts personnages de ShinganCrimsonZ étaient venu l'aider, lui, un paysan qui menait une existence inconnue de tous il y a à peine deux mois.
La gorge nouée, il ravala les larmes de joie qui montaient un peu trop rapidement. La main légère de Yaiba sur son épaule le fit sursauter et il se retourna vers ses amis. Mince, cela devait être la première fois qu'il pouvait se référer à des personnes de cette manière ; au village, il était d'abord fui puis était devenu la proie facile à harceler. Même sa famille le fuyait, le reléguant aux tâches ménagères et à prendre soin des bovins. Leurs regards inquiet le fit sourire et une unique larme coula sur sa joue, les faisant paniquer. Riant de leurs inquiétude il les rassura en quelques mots et une ambiance reposée prit place dans le groupe.
Les courtisans s'éloignèrent, chuchotant entre-eux, regardant régulièrement Crow. Ils jugeait sa prestation face à l'aristocratie et lui attribuait une note, en fonction de celle-ci, des portes vers d'autres cours s'ouvriront ou non à lui. Le hérisson avait passé son premier test, il devait passer le second sous peu, à son plus grand désespoir. Il ne se sentait pas encore prêt ; même si le royaume n'était pas en guerre, même si ce n'était qu'un test qui ne montrerait que le centième de ses capacités, il avait l'impression que ses cordes vocales avaient été coupés suite à son altercation avec le prince Shuzo.
Il perdit tout son souffle quand il se prit une grande claque dans le dos de la part de Rom, tout sourire. On avait l'impression que quelqu'un lui avait annoncé noël avant l'heure. Le regard malicieux, il le poussa doucement vers la scène sans qu'il ne s'en rende compte ; il était encore sonné de sa rencontre avec la royauté étrangère.
Ce fut la vue des spectateurs qu'étaient la noblesse, à peine caché par le micro un poil plus haut que lui, qui le fit revenir à la réalité. Il regarda brièvement l'immense pendule au fond de la salle. Il était l'heure de leurs représentations. Crow s'étonna : il s'était ennuyé pendant toute la fête et pourtant le temps était passé si vite ? Il était minuit passé et la fête avait commencé sur les coups de 18 heures.
Il trembla légèrement de peur ; son instinct d'ancienne proie le sommait de fuir ce lieu rempli de chasseurs qui le regardaient avec gourmandise. Toutes les belles paroles encourageantes de ses amis s'envolèrent telles de la fumée. Sa queue se balança, montrant son indécision.
Pourquoi était-il là déjà ? Il n'était qu'une proie au milieu de ces bêtes sauvages, prêt à se faire déchiqueter en morceaux. Et s'il n'avait aucun pouvoir ? Et si sa voix, que sa grand-mère chérissait tant, lui faisait soudainement défaut ? Et si tout cela n'était qu'un rêve ? Et s'il se réveillait brusquement sous les coups de bâton de son père, alors qu'il s'était endormi en surveillant le troupeau des vaches ?
Un parfum de rose atteignit ses narines, calmant instantanément ses nerfs. Les fenêtres étaient fermées, mais tout le monde pouvait sentir le doux parfum des fleurs rouges, si belles mais si piquantes. Crow prit une grande inspiration, bientôt suivit par ses amis ; ils respirèrent le parfum qui les avaient tant inspiré.
L'ombre d'un sourire apparut sur les lèvres de chaque membre de ShingancrimsonZ. Crow, prit d'une soudaine inspiration, se mit à hurler les mêmes paroles qu'il avait prononcé à son troupeau lorsqu'il voulait avoir leur attention.
« C'est parti le bétail ! »
Et leur attention, il l'avait eu. Les regards noirs qu'il reçu ne le fit même pas tressaillir. Au contraire, ces regards remplis d'animosité lui donna un courage qu'il ne crut jamais avoir. Un sourire carnassier aux lèvres, il regarda Aion qui posa les premières notes. Rapidement, le prince Rom, Ryohei et lui-même le suivirent.
Pendant toute la chanson, il se rendit compte que c'était la réalité. Chaque paroles qu'il prononçait, chaque chœurs et chaque rugissements qui ponctuaient la chanson lui donna des frissons d'anticipation et de joie. Les aspirations, les rêves, les convictions et les objectifs de ses amis se montrèrent lors de la chanson et le hérisson comprit chacune d'elle. Tous se dirigèrent vers Crow qui les aspira comme une éponge. Il prit une décision, il ferait en sorte de les aider à réaliser chacune d'elles. Mais leurs visions teintées de rouges ne le seront pas à cause du sang versé. Mais grâce aux pétales de roses cramoisies tombantes.
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