Prologue
J'avais sept ans la première fois que mes yeux croisèrent les iris à la couleur particulière de ce jeune homme qui se tenait face à moi. Il était déjà adolescent tandis que je n'étais qu'une enfant à l'époque.
« Dit papa, à quoi il ressemble le diable ? »
Je me souviens du visage de mon père qui s'était tordu de dégoût. Déjà à l'époque, je n'étais pas comme les autres enfants. J'étais différente. Je ne rentrais pas dans les cases.
« Le diable ? s'esclaffa-t-il, le diable porte le visage de ta mère. » Avait-il répondu d'un air sombre tout en reprenant la fourchette en argent qu'il avait déposée au bord de son assiette.
Mon père n'était pas le diable, mais il sortait tout droit des enfers. Il avait épouser ma mère parce qu'elle était l'un des meilleurs partit de New York, issue d'une famille d'aristocrate. Et lui, c'était un petit arriviste devenu un véritable magnat des affaires, rêvant de s'élever socialement. Il avait réussi à avoir la main de ma mère grâce à un petit jeu de manipulation malsain, qu'il servait habituellement à ses clients. Mais il ne savait pas que ma mère était folle. Elle était compulsive, ravagée et était devenue passionnée, voire même obsédée par lui. Elle entendait des voix, qui résonnaient comme une malédiction. « Dit Scarlett, tu les entends toi aussi les voix dans ta tête ? »
Mon père avait eu bien des maîtresses avant ma naissance, plongeant ma mère dans un chagrin sans fin. Elle l'aimait tellement.
Je n'ai que très peu de souvenirs de ma mère. La seule figure maternelle que j'avais eue était celle de ma grand-mère. Elle m'apprit dès le plus jeune âge que tout ce qui était beau et brillant dans ce bas monde était aussi empoisonné que le venin d'un serpent. N'ayant obtenu aucune réponse de la part de mon père, je m'étais donc tournée vers ma grand-mère.
« Dit mère-grand, à quoi il ressemble le diable ? »
Mère-grand avait souri, pas d'un sourire amusé, pas d'un sourire sincère. Non, d'un sourire feignant le désespoir.
« Mon dieu Scarlett, que tu ressembles à ta mère ! » Je me souviens qu'elle avait attrapé ma petite main de ses longs doigts minces, et quelques heures plus tard nous nous retrouvâmes dans un musée, exposant des sculptures grecques. Elles étaient grandes, pâles et entièrement nues. Mère-grand me tira, sans me laisser le temps d'étudier avec mes yeux d'enfant, l'art qui s'étendait autour de moi. Nous marchâmes quelques instants avant que ma grand-mère s'arrête devant la statue d'un homme. Ses traits étaient fins, une grosse barbe recouvrait ses joues et son menton, comme celle des Vikings que j'avais pu voir à la télé un soir lors d'une émission documentaire. La statue n'était pas comme les autres. Elle dégageait un aura sombre et triste. L'homme portait d'un drap qui partait de son épaule et recouvrait toute la partit inférieur de son corps. Sa tête était ornée d'une couronne. Dans une de ses mains, il tenait une laisse qui emprisonnait un chien à trois têtes.
- Pourquoi sommes-nous ici mère-grand ?
- C'est bien toi qui voulait savoir a quoi ressemblait le diable non ?
- Mais, mère-grand ça ne ressemble pas a maman.
- Non mon enfant, avait-elle répondu d'une voix douce. Cette statue en face de toi, c'est Hadès, le dieu des enfers.
- Mais ! Avais-je protesté d'un ton plaintif, papa a dit que le diable avait le visage de maman !
Mère-grand avait souri de nouveau, elle se pencha vers l'avant et s'agenouilla devant moi.
- Vois-tu Scarlett, pour les Grecs le diable avait le visage d'Hadès, pour les Romains il portait le visage de Pluton et pour les chrétiens, il empruntait les traits de Satan. Vois-tu Scarlett, le diable n'a pas de visage particulier. Tout dépend des croyances et des religions. Mais pour la plupart des gens, il empreinte le visage de nos regrets ou de nos plus grandes peurs. Pour ton père, c'était ta mère.
Les paroles de mère-grand faisait échos dans ma tête, encore et encore. J'étais restée de longues minutes a contempler la statue d'Hadès. Je me demandais, à quoi il ressemblerait mon diable à moi ?
C'est à cet instant, lorsque je détournai les yeux pour chercher ma grand-mère du regard, que je vis pour la première fois son visage.
C'était un jeune homme d'environ dix sept ans, bien plus grand que moi. Ses traits étaient si fins qu'ils étaient semblables à ceux d'une peinture de la renaissance, et son teint si pâle qu'il avait des transparences de porcelaine, presque maladive. Ses cheveux étaient aussi bruns qu'un fusain. Il se tenait debout, face à la statue. Il avait une carrure fine, presque squelettique. J'étais qu'une enfant, mais à cet instant je décrétai qu'aucun humain sur cette terre ne serait aussi beau que celui-ci. Il ressemblait à un ange, un ange noir. Mon regard dû se faire insistant, car le bel homme détourna le regard. Il avait un regard qu'on ne pouvait oublier. Un regard sombre, empli d'une lueur de danger, à la fois terrifiante que captivante.Il me toisa d'un regard interrogatif.
- Cela fait un moment que vous regardez cette statue. Vous plait-elle, jeune fille ?
Il avait une voix cassée de nature. Son ton était clair et posé ce qui me tétanisa sur place. Son aura emplissait toute la pièce. Il était impressionnant. Pas même mon père ne m'avait fait peur comme ça.
- Ce n'est pas très poli de ne pas répondre.
- Mon père m'a dit de ne pas parler à des inconnus ! avais-je répondu d'un ton qui se voulait insolent, tout en tournant la tête pour voir si ma grand-mère était dans les parages.
- Et ton papa ne sait pas qu'il est plus dangereux de laisser son enfant seul ?
- Je suis venu avec ma grand-mère !
- Tu es bien bavarde, pour un enfant qui ne doit pas parler aux inconnus. » Un petit sourire narquois se dessina sur ses fines lèvres. Puis, il reposa son regard sur la statue.
- Moi elle me plait cette statue. Beaucoup de gens méprisent Hadès, mais c'est un dieu juste qui porte une lourde tâche.
- C'est le DIABLE ! m'écriai-je.
Il ricana.
- Pour toi régner sur le royaume des morts est obligatoirement quelque chose de mauvais. Qui veillerait sur nos morts s'il n'y était pas.
- Mais le diable est mauvais !
- Mais Hadès n'est pas le diable jeune fille, c'est le roi du royaume des morts. Le diable, il te force à faire des péchés pour que tu lui vendes ton âme. Il est mauvais certes, mais ce n'est pas Hadès, même si Hadès est cruel.
- Mère-grand m'a dit que...
- Chacun a le droit de croire à ce qu'il veut. Me coupa-t-il d'un ton sec. Il avança vers la statue un pas lent et assuré, et une fois arrivé à la hauteur du visage d'Hadès, il pencha sa tête et déposa ses lèvres sur celle de la statue. Mes joues s'empourprèrent et détournèrent le regard avant de m'échapper en courant.
J'étais trop jeune à l'époque pour le savoir, mais j'avais rencontré mon diable...
Six ans plus tard, j'avais treize ans, ma vie bascula du tout au tout.
Mère -grand était décédée pendant que papa était en voyage. Mon monde s'écroulait. Je me souviens, c'était un soir pluvieux d'automne, mon père rentra à la maison. Je m'apprêtais à lui sauter dans les bras. Je m'apprêtais à être réconforté, lorsque deux silhouettes apparurent dans l'encadrement de la porte d'entrée. L'une était grande et élancée, l'autre était à peine plus petite que moi.
« Scarlett, je te présente ta nouvelle maman Elise et ta sœur, Salomé. »
À cet instant, je compris pourquoi le diable de mon père avait pris l'apparence de ma mère.
Je ne m'entendais pas bien avec ma nouvelle sœur, qui avait le même âge que moi. Mon grand frère avait beau tenté de m'expliquer qu'elle était bel et bien de la famille, et que ce n'était pas une arriviste, je n'y arrivais pas. Mon père la choyait plus que moi. Il acceptait tous ces caprices. Et celle qui était censée remplacer maman était encore plus capricieuse que sa morveuse de fille.
Mais plus nous grandissions, plus c'était marquant. Les traits de Salomé étaient aussi fins que les miens, ses yeux aussi claires.
C'est lors de notre seizième année que je compris. Nous étions en automne, encore. Il pleuvait ce soir-là, encore. Une dispute éclata entre mon père et ma belle-mère. « Si tu nous avais choisis il y a seize ans on n'en serait pas là. »
On n'en serait pas là.
On n'en serait pas là.
On n'en serait pas là.
On n'en serait pas là.
On n'en serait pas là.
J'avais tourné la tête vers Salomé, dont les yeux étaient emplis de larmes. Tout était évident. Mise à part la couleur de cheveux et le style vestimentaire, nous nous ressemblions trait pour trait. Nous ressemblions à notre père.
Ce soir-là, je partis de la maison. Je me demande encore ce qu'il serait arrivé s'ils ne s'étaient pas disputés. L'aurais-je revu ce soir là ?
Sur son lit de mort, mère-grand m'avait mise en garde. « Ne tombe jamais amoureuse mon enfant. » Mais j'étais jeune et inconsciente à l'époque. « Ne tombe jamais amoureuse. » Me répétait-elle sans cesse jusqu'à son dernier souffle. « Ne tombe jamais amoureuse. »
Mais mère-grand, lorsqu'on grandit comme moi, sans amour, la seule chose dont on rêve c'est d'être aimé.
Tu sais mère-grand, je suis tombé amoureuse une fois. Je suis tombée amoureuse de cet homme que j'ai rencontré sous une pluie battante devant un bar de Manhattan.
Tu disais qu'après la pluie venait le beau temps, mais mère-grand, il pleuvait si fort ce jour-là...
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