2. L'agonie est solitude
J'avais les nerfs à vif et le cœur en sang.
L'eau ruisselait le long de mon visage depuis de longues minutes. Les effets de la drogue se dissipaient et je commençais à ressentir le manque. J'avais chaud. Puis froid. Mes membres tremblaient. Ils ne me répondaient plus, je perdais leur contrôle. Ma tête tournait, vibrait. Comme si mon crâne se rétrécissait petit à petit sur mon cerveau. Je n'arrivais plus à réfléchir. Seules les voix se distinguaient très clairement.
Je ne tenais plus.
Je pouvais plus tenir.
Je ne voulais plus tenir.
La discussion avec mon père remontait a à peine quelques heures et mon cœur avait tellement saigné que mon envie de l'embrocher s'accroissait
« Tu sais mère-grand, si tu me l'avais dit avant, tout aurait été différent... »
Comment avait-elle pu me cacher l'existence de Salomé ? Elle, à qui je faisais le plus confiance. Je lui en voulais de m'avoir donné l'espoir qu'un jour, papa me regarderait non pas avec mépris, mais avec amour.
Appuyée contre la paroi de la douche, je me laissais glisser vers le sol, me recroquevillant sur moi-même. Les larmes perlaient sur mes joues se fondant à l'eau de la douche. J'étais prise de nausée et de tremblements. L'eau ne réussissait pas à évacuer la transpiration qui émanait de ma peau. Il me fallait ma dose.
Je sortis ruisselante de la douche, traversant le couloir complètement nu. L'appartement était dénué d'existence. Seul le bruit perverti de New York venait l'animer. Je titubais d'un pied sur l'autre, m'appuyant contre les murs du couloir pour regagner ma chambre.
Comment avaient-ils pu, tous ? Mon frère avait accueilli Salomé et Élise sans même une pensée pour mes sentiments, pour mon ressenti. Mère-grand n'avait même pas pris la peine de m'expliquer que l'amour n'existait pas et mon père se servait de moi pour arriver à ses fins et cela depuis toujours. Chantage et manipulation psychologique. Ça marchait sur les faibles. Et j'étais faible... comment ne pas l'être quand votre mère préférait vous abandonner, sombrant dans son malheur pour trouver sa rédemption plutôt que d'aider sa fille en détresse.
« Dis-moi maman, pourquoi m'as-tu laissé avec les monstres qui serpentent dans ma tête ? Pourquoi m'as-tu laissé, maman ? Tu sais maman, que reste-t-il d'un enfant après sa mère ? Que reste-t-il ?»
Les voix hurlaient, déchaînées par des forces surnaturelles. J'avais l'impression de descendre en enfer.
« Saute de la fenêtre »
« Saute »
« Saute »
« Meurt »
« Meurt »
« Personne ne t'aime »
« Ta grand-mère t'a menti »
« Ton frère t'a remplacé »
« Mets fin à tes souffrances »
Allongé sur le dos, les bras étendus sur le côté, j'attendais que les comprimés fassent effet. Pourquoi m'accrochais-je à cette vie ? Petit à petit, je sombrais dans une démence libératrice. Mon corps ne répondait plus de mon esprit et mes pensées me renvoyaient toujours au même endroit. Elles me renvoyaient toujours cette nuit. À chaque comprimé ingéré, à chaque poudre reniflée, à chaque joint roulé, il se matérialisait devant moi. Comme s'il était le seul à pouvoir stopper le démon grandissait chaque jour dans ma tête. L'homme au teint malade. L'homme aux yeux de loups.
Cinq ans plus tôt...
J'avais quitté l'appartement en pleure, Salomé sur mes talons.
- Scarlett attend !
- Lâche-moi les baskets, sale bâtarde !
J'entendais ses pas se précipiter derrière moi. Je l'observais par-dessus mon épaule tout en allongeant ma foulée pour qu'elle ne puisse me rattraper, en vain. Elle avait les yeux rougis et une expression honteuse sur le visage. Elle savait. Elle avait toujours su que nous étions liées par les liens du sang et elle me l'avait caché. Notre relation n'avait jamais été au beau fixe. Nous nous disputions pour tout et nous nous tolérions qu'en public. Mais une fois toutes les deux, les joutes verbales se faisaient violentes et plus d'une fois nous en étions venus aux mains.
- Scarlett ! hurla-t-elle en m'attrapant par l'épaule. Scarlett où tu vas ?
J'étais à bout de nerfs, et voir son visage si semblable au mien me perturbait. Comment n'avais-je pas pu m'en rendre compte ? Nous étions si similaires. Notre peau claire, nos nez fins et nos yeux bleus. Les deux seules différences notables étaient son roux flamboyant et son corps plus charnus. Elle était ma sœur. Elle était la fille de mon père et il l'avait eue la même année que moi. Il l'avait chérie et aimée plus que moi.
- Je n'aurais qu'une seule et unique question. Tu le savais ?
Je connaissais la réponse, mais je voulais l'entendre de sa bouche. Elle avait fixé mon visage un instant, essayant de jauger l'étendue de ma colère. Mais j'étais resté de marbre, ne laissant apparaître aucune émotion. Personne n'avait le droit de voir ma vulnérabilité en cet instant. Personne.
- Depuis toujours. Papa est toujours venu me rendre...
Je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase que ma main fendit l'air et s'abattit violemment sur sa joue. Elle lâcha l'emprise qu'elle effectuait sur mon bras et frotta avec sa paume sa joue endolorie, la rancœur déformant ses traits.
- Et en plus tu me lances un regard haineux, ricanais-je en tournant les talons. Ta gifle est largement méritée. Tu devrais même me remercier de ne pas t'arracher les yeux. Toi et ta mère vous êtes deux pauvres petites arrivistes qui se faufilent dans les foyers d'autrui et semez la pagaille, car personne ne veut de vous. Vous êtes pathétique.
- Peut-être, mais père nous aime. Nous savons que celle qui est considérée comme une erreur, comme une bâtarde ici c'est toi. Cracha-t-elle tel une vipère.
Ses mots me heurtèrent en plein cœur. Elle avait raison. Mon père l'aimait plus que de raison et il avait toujours aimé sa mère, toujours. Elle était son premier amour et j'en étais persuadé. La colère s'empara de mon corps.
« Tue-la. »
« Tue-la. »
« Tue-la. »
Je fis rouler ma nuque d'un côté à l'autre. Taisez-vous satanées voix.
« Tue-la . »
Si vous continuez comme ça, je vais finir par succomber à vos demandes.
Je me tenais toujours dos à elle. Les nuages tapissèrent le ciel et une petite pluie fine perlait sur mon visage.
« Maman t'aime Scarlett. Tu es ma plus belle création , tu es si belle. »
« Le diable de ton père, c'est ta mère. »
« Mère-grand, mon diable à moi, il ressemble à quoi ? »
Le chaos s'emparait de moi. J'étais faible, si faible. Je voulais que cela s'arrête. Je voulais leur faire mal. Très mal. Aussi mal que celui que j'éprouvais à l'intérieur de moi.
- Je suis peut-être une bâtarde à ses yeux, mais je porterais son nom pour toujours.
Je m'éloignai sans même me retourner vers ma sœur.
La pluie s'épaississait. Elle était glaciale ce soir-là. J'avais éteint mon téléphone. Les bras croisés contre mon torse, tenant les deux extrémités du long manteau en laine afin d'éviter le froid polaire d'atteindre mon corps fatigué et frêle. Je déambulais dans les rues de Manhattan sans but précis. Je voulais faire taire ces voix, avec n'importe quoi, avec n'importe qui.
« Tu sais mère-grand, ce soir-là n'était pas un hasard. Je pense que c'était le destin. Oui tu peux rire, mais moi je pense que le diable avait orchestré cette rencontre. »
Étrangement, les rues étaient vides cette nuit-là. Je me souviens qu'il se tenait devant un bar, emmitoufler dans un long trench de couleur noir. Il portait un grand chapeau, enfoncé jusqu'au milieu du front, cachant son regard. Il avait une silhouette androgyne et se tenait droit comme un i. Il tenait du bout de ses longs doigts gantés un cigarillo, qu'il amenait d'un geste nonchalant jusqu'à ses lèvres. Elles avaient une odeur particulière, ses cigarettes. Une odeur que je n'oublierais jamais. Elles avaient une odeur sucrée, une douce odeur de cerise.
Je ne pus détourner le regard de cet homme qui se tenait sur le trottoir d'en face. Je m'arrêtai quelques minutes en retrait, l'observant, le détaillant sans retenue. Sans savoir pourquoi cette scène me fascinait. On aurait dit une scène tout droit sortie d'un film des années cinquante.
L'homme dégageait quelque chose de particulier. Une aura sombre qui me semblait familière, mais don je n'arrivais pas à me remémorer.
J'étais triste, si triste que je ne répondais plus de moi. Sur un coup de tête, je traversai la route et me rapprochais petit à petit de l'inconnu. Je ne voyais toujours pas son visage caché sous son grand Fedora, mais derrière le rideau de pluie, je le sentais me dévisager.
- Excusez-moi. Auriez-vous une cigarette ?
Il pencha légèrement la tête vers moi. Je pus apercevoir quelques bouts de sa peau cristalline. Elle était lisse, mais semblait maladive. Il avait des traits d'une finesse esquisse, faite aux pinceaux. Son nez était droit et sa bouche fisse, légèrement rosé. Il glissa délicatement sa main dans la poche de son manteau et en sortit un petit étui en argent. Des initiales y étaient gravées.
S.V
- Quel drôle de manière de stocker ses cigarettes.
- Votre père ne vous a jamais dit qu'il valait mieux éviter de parler avec des inconnus ?
Sa voix me fit frissonner. Il avait une voix à la fois douce et rauque, semblable à une mélodie pour mes oreilles.
- Mon père ne m'a pas appris les bonnes manières.
- C'est pourtant le rôle d'un père.
- Pas tous les pères ne remplissent cette tâche. Vous avez du feu ?
Il esquissa un sourire et sortit une chaîne du tour de son cou. Au bout y était accroché un orbe en cristal avec un sceptre, orné d'une croix sur le dessus. Il appuya sur le côté et une flamme jaillit du drôle d'objet. Je penchai ma tête vers avant, le cigarillo coincé entre mes lèvres et l'approcha de la flamme, inspirant profondément sur le filtre pour l'allumer.
- Quel âge avez-vous ? Le questionnais-je sans retenue.
- Bien trop vieux pour vous.
- Quel drôle de briquet vous avez là, monsieur bien trop vieux pour moi. D'où provient-il ?
Il tira une nouvelle taffe et réajusta son chapeau un peu plus vers l'arrière. L'averse diminuait et le temps semblait s'arrêter.
- Vivienne Westwood.
Je me mis légèrement sur la pointe des pieds pour mieux voir son visage, il me semblait familier, mais je ne savais pas où avais-je bien pu le voir.
- Vous ai-je déjà vu ?
- Vous ne vous souvenez pas de moi ?
- Nous nous sommes déjà rencontrés ?
- Je ne sais, à vous de me le dire.
Je me reposai sur mes talons et fis un pas de recul, dubitatif.
- Je ne comprends pas. Vous me demandez si je me souviens de vous, mais c'est à moi de vous dire si oui ou non nous nous sommes déjà rencontrés ? Ça n'a aucun sens ! m'énervais-je
Il esquissa un sourire. Puis releva sa manche gauche d'un geste du poignet pour regarder sa montre.
- Ce qui a dû sens pour certains n'en a pas forcément pour d'autres. Excusez-moi, mais je ne suis pas très bavard et je n'ai pas trop le temps pour discuter.
Il fit un pas sur le côté et écrasa son cigarillo sur le sol avec la semelle de ses oxfords, puis il me tourna le dos et s'apprêta à rentré dans le bar.
- Vous savez, je ne suis pas une grande fumeuse.
Il me regarda par-dessus son épaule et poussa la porte du bar.
- Alors, pourquoi m'avoir taxé une clope dans ce cas ?
- À vrai dire, vous m'avez intrigué. Ma réponse avait franchie la barrière de ma bouche sans mon consentement et je m'en voulais d'avoir été si honnête.
Mais lorsqu'il releva légèrement sa tête et que son regard s'encra dans le mien, tout mes regrets s'estompèrent. Il m'ensorcela aussitôt . Ses iris étaient d'une couleur particulière, un mélange d'or et de bronze. J'hésitais entre les yeux d'un serpent, ou bien les yeux d'un loup.
- Suivez-moi...
Et je le suivis sans poser de question.
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Hello ! J'espère que vous allez bien !
Voici le chapitre 2. J'ai tellement hâte de vous sortir les suivants vous pouvez pas savoir !
Un certain SV rentre en scène et comme vous pouvez le constater il est aussi intrigant que difficile à cerné.
Petite dédicace aux fans de Ai Yazawa dont plusieurs personnages m'ont inspirés pour cette histoire ! Pour ceux qui ont lu ou vu les manga et animés de l'auteur je pense que vous pourrez facilement reconnaître quels personnages m'ont inspirés pour Scarlett et Sylvestre !
J'espère que ce chapitre vous a plus hésitez pas à me donner vos retours !
Xoxo 💋
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