Le vingt-sixième
Nous sommes assis sur son lit, l'un en face de l'autre. Abigaël a remis son t-shirt. Il m'a avoué qu'il avait tellement pleuré que son haut s'était retrouvé trempé. Je l'ai cru. Il n'a pas de raison de me mentir. Moi, j'ai enlevé mes chaussures pour les laisser dans le coin près de sa porte. Nous devons nous sentir à l'aise pour la suite.
— Je crois qu'il faut qu'on discute tous les deux, commence-t-il. Plus sérieusement. J'ai le droit d'être honnête ?
J'acquiesce et il se rapproche de moi avec ses mains. Nos genoux se touchent. Ma bulle est sereine. Je n'ai pas peur.
— Le fait que tu ne dises rien quand j'ai essayé de te parler, ça m'a blessé. Ou le fait que tu ne réagisses pas quand ton frère est arrivé et que tu le suives sans rien dire, ça m'a aussi blessé. Et tu n'as jamais répondu à mes appels.
Il baisse le regard vers ses mains et ses épaules s'affaissent.
— J'ai vraiment cru que je t'avais fait du mal.
Cela me blesse que j'ai pu, moi-aussi, lui faire du mal.
— J'aurai aimé que tu dises à ton frère que je ne t'ai jamais forcé à rien. Tant pour la discussion que pour ce qui s'est passé après dans la chambre.
Il joue avec ses doigts et continue de les observer. Il n'ose plus me regarder.
— J'ai eu l'impression d'avoir été horrible avec toi. Une espèce de mec qui force quelqu'un à faire ce qu'il veut. Je suis pas comme ça.
Sa voix se casse.
— Je suis pas parfait mais je veux tout faire pour être quelqu'un de bien. Pour toi.
Je me rapproche encore un peu plus de lui et pose mes paumes sur ses jambes. Il doit être rassuré.
— Avec ce qu'on a vécu, lui et moi, Tristan aura toujours le sentiment de devoir veiller sur moi. Tout le monde me le répète. C'est comme ça. Il se donne un but pour le reste de sa vie.
Je prends ses mains entre les miennes et il lève les yeux vers moi.
— Et j'ai conscience que j'aurai dû lui expliquer que je ne risquais rien avec toi, mais j'en avais pas la force. Je ne voulais penser à rien.
Nos doigts se resserrent et s'entrelacent.
— Ce soir-là, c'était trop, soupiré-je faiblement. Je pensais à ma mère, à mon père, à ce qu'à subit Tristan... La discussion qu'on a eue à remonter trop de souvenirs et j'aurai dû te le dire.
— Tu voulais en parler ou je t'ai poussé à le faire ?
— J'en avais besoin. Je voulais que tu saches tout ça.
Nous nous sourions un peu et mon regard retourne à nos mains. Ses taches de rousseur s'étendent jusque sur ses phalanges.
— Au début, ça me faisait peur que tu apprennes ce qu'était ma vie avant Louise et Marc, avoué-je. Et après, on s'est rapproché et j'ai eu besoin que tu le saches. Pour que je puisse te considérer comme une part de ma bulle.
— Ta bulle, elle est importante pour toi ?
— Elle m'aide à mettre une limite à mon espace. J'en ai besoin pour ne pas me sentir constamment submergé. Et ce matin, elle s'était reformée d'un seul coup, bien plus grande. J'ai eu peur qu'elle ne puisse plus jamais me permettre d'être proche de toi.
— Et là ? J'en fais partie ?
— Elle nous englobe totalement.
Abigaël passe ses jambes autour des miennes et se rapproche encore.
— Est-ce que tu avais envie de faire tout ça avec moi ?
— Oui.
— Est-ce que ça t'a plus de le faire ?
— Beaucoup.
— Est-ce que nous deux, ça fonctionne ?
J'attrape sa main et repose ma paume contre elle, écartant les doigts. La sienne est un peu plus grande que la mienne.
— C'est la première fois que je suis heureux en passant du temps avec quelqu'un qui n'est pas de ma famille. Tout le monde cherche à s'éloigner de moi. Mais pas toi. Tu es encore là et tu m'acceptes comme je suis. Alors oui, pour moi, ce qu'il y a entre nous, ça fonctionne. Même très bien.
Il replie ses doigts et me tire vers lui pour me prendre dans ses bras. Nous ne disons rien de plus. Nous avions besoin de nous rassurer. De savoir que notre relation peut marcher.
On s'allonge dans son lit, ses bras encore autour de moi. Il me câline les cheveux. Mes paupières sont lourdes et je baille.
— Désolé...
— Ça va ? s'enquiert-il.
— Je suis fatigué...
— On peut faire une pause et reprendre après, si tu veux. Pour ne pas que tu aies une autre crise.
— Je préfère. On a encore des choses à se dire.
Je le sens sourire dans mes cheveux. Mes doigts remontent dans sa nuque.
— J'ai de la chance de t'avoir, affirmé-je.
Il dépose un baiser sur ma tête.
— De nous deux, c'est moi le plus chanceux.
Je me rapproche encore de lui et mes mains trouvent des places contre son torse. Il sent encore l'abricot. Nos jambes s'entremêlent et je me laisse bercer. Je me sens en sécurité dans ses bras.
* * *
Le réveil est rude. Je m'assois sur le lit, un peu perdu et constate rapidement que ce n'est pas le mien. Abigaël s'est endormi contre moi, à ronfler un peu. Il marmonne aussi. Sa main est fermement accrochée à mon sweat. Cette fois, je ne m'en irais pas sans lui. Je tourne la tête et regarde l'heure afficher sur son réveil. 5H57. Je secoue un peu Abigaël. J'ai passé la soirée et la nuit dans sa chambre. Nous avons dormi plus de onze heures. Je n'avais jamais autant dormi. Nous avons cours dans une heure. Je le secoue encore un peu.
— Laisse-moi dormir, gémit-il en se retournant vers le mur.
— Abi, on a cours ce matin. Dans une heure.
Il s'assoit sur le lit, les yeux fatigués et les cheveux en vrac.
— P'tain... T'as dormi là ? Mes parents vont me tuer...
Je me lève en enfilant mes chaussures.
— Tu leur diras qu'on a discuté tard hier soir et que c'était plus simple que je passe la nuit ici.
Je tâte mes poches et je lâche un juron.
— Quoi ?
— Toutes mes affaires sont chez moi. J'ai même pas mon portable.
Il renifle un coup et se lève de son lit pour prendre son téléphone. Il a la marque de l'oreiller sur sa joue.
— Louise et Marc sont hyper inquiets. Ils m'ont envoyé une dizaine de messages. T'es parti quand ?
— Hier midi.
Il me tend l'appareil et je remonte la conversation. Je ne demande pas son approbation et les appelle. Je m'en veux de les avoir autant inquiétés. Je ne pensais pas qu'ils pourraient l'être un jour à ce point. Ils décrochent aussitôt.
— Allô ? hésité-je.
— Noé !
Elle m'a reconnue instantanément.
— Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ? Pourquoi tu n'es pas rentré ? Nous avons été tellement inquiets avec Marc !
— Pardon... J'ai oublié mon téléphone.
— Oui, il est sur la table à côté de nous.
Elle soupire et je l'entends parler à Marc. C'est lui qui prend le téléphone. Abigaël récupère des vêtements propres et part dans sa salle de bain. Il me laisse de l'espace pour parler avec eux.
— Noé, la prochaine fois, tu nous préviens.
— Pardon. Je ne le referais plus, m'excusé-je encore une fois.
— J'espère bien ! On s'est fait un sang d'encre. Sache que quand tu reviendras, tu seras puni. J'espère que tu le sais.
— Je le mérite.
Il soupire et sa voix s'adoucit.
— Mais tu vas bien ?
— Oui. J'avais besoin de parler avec Abigaël.
— Vous allez à l'école ensemble ?
Il sort de la salle de bain, me sourit et passe sa main dans ses cheveux trempés. Il prend des douches extrêmement rapides.
— Oui. Et je rentre directement à la maison après les cours.
— C'est bien.
Marc me souhaite une bonne journée et Louise reprend la conversation.
— J'aurai besoin de parler avec vous, affirmé-je.
— Ce soir, mon chéri. On parlera ce soir.
— D'accord. Je vous aime fort.
— Tu sais qu'on t'aime fort aussi.
— Je sais.
Elle me souhaite une bonne journée et je redonne à Abigaël son téléphone.
— Tout va bien ? me demande-t-il en le rangeant dans sa poche.
— Je vais être puni. Mais ça va.
Je lui souris.
— Merci Abi. Pour tout.
Il embrasse ma joue et me tend des vêtements propres.
— Pour te changer et ne pas mettre des vêtements de la veille. Et de rien.
Je serre les tissus contre moi.
Abigaël est fantastique.
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